Cyberharcèlement: «On m’accuse d’être autophobe, liberticide. Et comme je suis une femme, je suis forcément castratrice»

PRIS POUR CIBLE Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, subit des attaques constantes sur les réseaux sociaux et par mail depuis plusieurs années

Delphine Bancaud
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Chantal Perrichon
Chantal Perrichon — Ligue contre la violence routière
  • Depuis 2010, Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, reçoit des flopées de mails insultants et menaçants, elle est insultée sur les réseaux sociaux et des pages de sites Internaute véhiculent des fake news sur elle.
  • Dès qu’elle commente une nouvelle mesure de sécurité routière dans les médias, les « corbeaux du web » se mettent en action pour tenter de la déstabiliser.
  • Malgré l’inquiétude qui ne la quitte pas, cette femme de conviction ne compte pas lâcher son combat.

 

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Logo de la série prispourcible - 20 Minutes

Tout le monde connaît Chantal Perrichon, la présidente de la Ligue contre la violence routière, pour ses prises de position médiatiques. Mais rares sont ceux qui savent qu’elle est cyberharcelée. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de cette cyber-violence.

 

« Dans notre société, dès qu’on bénéficie d’une petite notoriété, on devient une cible sur Internet. Car certains ne se sentent exister qu’en s’attaquant à des personnes connues. Pour moi, le cauchemar a commencé en 2010, lorsque les sénateurs et les députés ont voté un assouplissement des délais pour récupérer les points de permis de conduire perdus, avant que le gouvernement de l’époque ne reprenne la main sur ce dossier.

Cette décision avait été saluée par les associations d’automobilistes, mais fustigée par les défenseurs de la sécurité routière. J’étais montée au créneau dans les médias pour expliquer que l’affaiblissement du permis à points allait faire remonter la mortalité routière. Ça a déclenché une flopée de mails injurieux et de menaces, envoyées sur la messagerie de la Ligue contre la violence routière et qui me visaient directement. J’étais écœurée et je ne comprenais pas. La sécurité routière, c’est un sujet de santé publique. Comment expliquer que cela suscite une telle violence chez des gens qui ne partagent pas mon point de vue ?

« Il n’y a qu’un pas entre le verbe invectif et le passage à l’acte violent »

Même chose un an plus tard, quand je me suis prononcée en faveur de l’interdiction des avertisseurs de radars annoncée par le gouvernement. Aux mails agressifs, se sont ajoutés les appels à me faire la peau sur les réseaux que je qualifie d'« asociaux ». C’était tellement violent que Matignon s’en est inquiété et m’a proposé une surveillance policière lors des conférences que je donnais. Car les « réseaux asociaux » favorisent la rupture de digues pour l'autocensure. Dès lors, il n’y a qu’un pas entre le verbe invectif et le passage à l’acte violent.

A chaque nouvelle mesure de sécurité routière qui va déplaire aux conducteurs, dès que je suis invitée sur plateau télévision ou sur une radio pour la commenter, c’est la même rengaine. Les cyber attaques redoublent. Exemple : avec l’obligation pour les employeurs de dénoncer leurs salariés auteurs de délits routiers. Et lors du passage à 80 km sur le réseau secondaire, une foultitude de mails délirants et agressifs ont été postés à mon attention. La haine suinte en permanence sur les réseaux asociaux. Les « invitations » à me fracasser se sont multipliées. On m’accuse d’être autophobe, motophobe, liberticide. Et comme je suis une femme, je suis forcément castratrice ! Il y a même des pages entières de sites ou de blogs qui véhiculent des infox sur moi. On dit que je ne conduis jamais, que j’ai une Rolls avec chauffeur, que je reçois des sommes faramineuses du gouvernement, alors que je suis bénévole ! Sans compter les photomontages, comme celui où j’apparais vêtue d’un costume de djihadiste avec un poignard à la main. Certains sites se font héberger aux Honduras et aux Etats-Unis pour essayer de se protéger des recherches effectuées par la police.

« Doit-on vivre debout ou à genoux face à ceux qui font l’apologie de la destruction ? »

Du coup, pour me protéger de toute cette bassesse, on a mis des dispositifs en place. Désormais, je ne lis plus directement les messages adressés à l’association. Mes camarades de La ligue contre la violence routière filtrent tous les messages que je reçois. D’autant que pour continuer à intervenir dans les débats et répondre aux polémiques, il faut que mon esprit soit libre et que je ne subisse aucune pression. Et quand ils estiment que ça va vraiment trop loin, ils m’incitent à porter plainte. Je l’ai déjà fait trois fois. La première fois, l’enquête de police a finalement conduit à un procès. Il s’agissait d’un technicien bien intégré dans la société qui sévissait à mon égard sur Internet, en employant plusieurs identités. Au procès, il a tenté de se dédouaner, en expliquant qu’il ne m’en voulait pas personnellement et qu’il avait « pété les plombs » à cause de sa dépression. Il a été condamné certes à me rembourser mes frais de justice, mais je n’avais pas demandé de dommages et intérêts. Car ce n’est pas ce qui compte pour moi. Ce que je veux c’est que ces personnes soient sanctionnées, et je souhaite la levée de l’anonymat sur les « réseaux asociaux ». Car il faut que leurs proches sachent à qui ils ont à faire. A des corbeaux qui jouissent de leur entre soi haineux.

Ma famille a souvent peur pour moi et je vis avec un perpétuel sentiment d’inquiétude. D’autant que depuis deux mois, je suis aussi harcelée au téléphone car mon numéro a été diffusé sur Facebook en incitant à l’appeler. Lorsque le téléphone sonne, je ne décroche plus jamais directement. J’attends d’écouter mes messages pour rappeler. Mais il est hors de question que j’arrête mon combat à cause de pleutres. Doit-on vivre debout ou à genoux face à ceux qui font l’apologie de la destruction ? La cause que je défends est juste et dans la rue, les gens m’arrêtent souvent pour me dire « ne lâchez rien ». La voix de tous ceux qui nous appellent après un drame et ces soutiens lors de rencontres imprévues justifient le fait que jamais je ne capitulerai face à la lâcheté ».

Retrouvez tous les épisodes de la série,  ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.