Roland-Garros : « Un futur top 10, et pas dans 15 ans »… Jannik Sinner, bientôt la nouvelle terreur du circuit ?

TENNIS L'Italien, 19 ans, affronte ce mardi Rafael Nadal en quart de finale pour sa première participation Porte d'Auteuil

Nicolas Camus
Pour sa première participation au tournoi, Jannik Sinner affronte Rafael Nadal en quarts de finale de Roland-Garros, le 6 octobre 2020.
Pour sa première participation au tournoi, Jannik Sinner affronte Rafael Nadal en quarts de finale de Roland-Garros, le 6 octobre 2020. — Christophe Ena/AP/SIPA
  • Jannik Sinner affronte ce mardi Rafael Nadal en quart de finale de Roland-Garros.
  • A 19 ans, l’Italien est l’une des sensations du tournoi, qu’il dispute pour la première fois.
  • Calme et réservé, il est l’antithèse de son glorieux aîné, Fabio Fognini.

De notre envoyé spécial à Roland-Garros,

Avant, quand on entendait parler d’un joueur italien dans les travées de Roland, on s’attendait toujours à se voir raconter la dernière de  Fabio Fognini. Une engueulade avec un arbitre, peut-être ; une insulte sortie toute seule envers un adversaire, sûrement ; une décla d’après-défaite que personne n’aurait voulu entendre, éventuellement. Mais cette année, tout fout le camp. Le bon Fabio, opéré des deux chevilles en juin, n’a fait qu’un passage express à Paris, laissant la place à un tout jeune compatriote sans doute moins fun mais au profil pas moins excitant : Jannik Sinner.

Inconnu du grand public au début de la quinzaine, Sinner, 19 ans, a sorti le bulldozer pour s’ouvrir un chemin vers les quarts de finale. Goffin (quand même 13e mondial), Bonzi et Coria se sont retrouvés dans le fossé après trois petits sets. Zverev, tête de série numéro 6, a à peine mieux résisté en 8e de finale, dimanche. Cette victoire face à l’Allemand lui a permis de rejoindre quelques grands noms dans les livres d’histoire du tournoi parisien : il est le plus jeune joueur à atteindre les quarts depuis Djokovic en 2006, et le premier à le faire pour sa première participation depuis Nadal en 2005. Petit clin d’œil, c’est le propriétaire des lieux qui l’y attend, mardi.

« Un joueur qui m’impressionne depuis déjà deux ans »

« Est-ce que je suis surpris ? Oui, un petit peu, bien entendu, a avoué l’Italien dimanche. Mais je ne m’intéresse pas vraiment à ce type de record. Ce qui compte, c’est de bien jouer, d’essayer de gagner chaque match. » De la relève italienne, on connaissait déjà Matteo Berrettini, 24 ans et numéro 8 mondial. Même s’il est passé au travers sur ce tournoi en se faisant sortir par l’étonnant qualifié allemand Altmaier au 3e tour, c’est lui le fer de lance du tennis italien, qui (avec Martina Trevisan chez les femmes) n’a plus été aussi fringant depuis des lustres. Et qui a peut-être trouvé un nouveau fuoriclasse.

S’il n’était pas forcément attendu là aussi tôt, Sinner ne tombe pas non plus du ciel. Déjà 75e mondial – après un bond de près de 500 places ces 12 derniers mois –, il a été désigné « révélation de l’année » par l’ATP en 2019. « C’est un joueur qui m’impressionne depuis déjà deux ans, indique Lionel Zimbler, le coach de Benjamin Bonzi, expédié au 2e tour. Le voir là n’est pas une surprise, je l’ai vu faire de très gros matchs sur les tournois challengers ou plus récemment à Rome. Je m’étais dit qu’avec lui il se passerait quelque chose. C’est un futur top 10, et pas dans 15 ans. Je vois ça rapidement, s’il ne lui arrive rien. »


L’entraîneur marseillais dresse un portrait flatteur : « Il joue bien sur toutes les surfaces. C’est un joueur très complet, qui évolue très bien chaque année. Il a encore une belle marge de progression, notamment au service et dans ses déplacements vers l’avant. Mais tactiquement, c’est déjà bien en place, avec une panoplie de coups différents très intéressante. Il retourne très très bien. Il a progressé mentalement cette année, je trouve. Il a du talent, de l’instinct, et un truc que tous les joueurs n’ont pas : cette solidité en étant agressif. Il crée du jeu mais pour le faire rater, il faut envoyer. »

Voilà pour la fiche technique. Pour ne rien gâcher, Sinner est une vraie curiosité. Par ce que l’on voit de lui, déjà. Avec son abondante chevelure rousse et son tempérament de glace, il oblige à ranger la boîte à clichés sur le joueur italien, que Fognini, entre autres, avait bien remplie. « Savoir rester calme » est d’ailleurs sa plus grande qualité, selon lui. « Il n’y a pas de cinéma, pas de fioriture, mais ce n’est pas plat non plus, précise Zimbler. Je ne trouve pas qu’il ne dégage rien, loin de là. »

Le tennis plutôt que le ski

Son parcours est original, aussi. Né dans le Tyrol italien, une région frontalière avec la Suisse et l’Autriche, il a été un skieur de très bon niveau quand il était jeune, et ne s’est vraiment mis au tennis qu’à l’âge de 13 ans. « Le ski, ça dure une minute et demie, le temps de la course et c’est tout. C’est beaucoup trop court pour moi, a-t-il expliqué au Monde. J’adore jouer et voir l’adversaire. Au tennis, tu sais s’il est frustré ou content… Je trouve ça plus marrant. »

Riccardo Piatti, référence du coaching en Italie, s’occupe de lui depuis ses débuts. Grâce à l’ancien entraîneur de Ljubicic et Djokovic, son ascension a été fulgurante. Six ans après avoir rangé les skis, le voilà donc aux portes des demi-finales d’un tournoi du Grand Chelem. La marche pour y grimper sera très haute face à Rafael Nadal.

L’Espagnol se méfie tout de même, lui qui a pu apercevoir quelques bribes du talent de Sinner en s’entraînant avec lui la semaine dernière. « Il a énormément de potentiel. Il est jeune et s’améliore, semaine après semaine, estime-t-il. Ce ne sera pas un match aisé. Il manie sa raquette très vite et frappe des coups extraordinaires. » Zimbler voit l’Italien « bien embêter » sa Majesté, quand même. « Je n’ai pas du tout l’impression que le gamin est en sur régime, dit-il. Mais ça dépend aussi des conditions, très particulières cette année. »

Quoi qu’il arrive, Jannik Sinner aura un nouveau statut à assumer en quittant Paris. Celui de nouvelle terreur potentielle du circuit. « Il va être présent au plus haut niveau dans les années à venir, il n’y a pas beaucoup de doutes là-dessus », disait Justine Hénin à la RTBF, dimanche. « Il faudra voir comment il gère tout ça, comment son ego et son humilité évoluent dans les semaines à venir », note Lionel Zimbler. On a peut-être été mal habitués, mais là, on n’est pas trop inquiets.