Coupe d'Europe de rugby : Nigel Wray, le président des Saracens qui a chamboulé « l'équité sportive »
RUGBY L’emblématique président des Saracens, qui a offert trois titres européens à son club, est dans la tourmente après un dépassement de « salary cap »
- Nigel Wray a racheté le club des Saracens en 1995, alors qu’il était au bord de la relégation.
- Ce millionnaire britannique a par la suite consacré des sommes astronomiques et une énergie folle pour faire des Sarries des triples champions d’Europe
- En presque 25 ans, il a bâti une véritable institution, même au-delà du sport, aujourd’hui dans la tourmente pour une affaire de salary cap
Billets de banque tendus vers le ciel et couvre-chefs floqués « -26 », les supporters de Gloucester ont fait preuve, samedi, d’humour british pour la réception des Saracens. Il y a quelques jours, les Sarries ont été accusés, après une enquête du Dailymail, de ne pas respecter le salary cap (un plafond sur la masse salariale globale dans le but d’équilibrer les effectifs) en essayant de le contourner via des liens commerciaux établis entre Nigel Wray – richissime propriétaire du club depuis 1995 – et certaines de ses stars comme Owen Farrell.
En conséquence, le champion d’Angleterre en titre, qui affronte le Racing dimanche en Coupe d'Europe, a été condamné à près de 6 millions d’euros d’amende et 35 points de retrait au classement, ce qui cloue évidemment les Londoniens à la dernière place de la Premiership, avec -26 points. Une sanction jamais vue dans l’histoire du rugby.
Proche de ses joueurs
Après avoir fait fortune entre autres dans l’immobilier, Wray s’est pourtant forgé une réputation quasi irréprochable dans le monde de l’Ovalie. A commencer par ses joueurs, avec qui il entretient une relation très étroite. Arrivé en 2000 aux Saracens, Abdel Benazzi en a rapidement fait l’expérience : « Quand j’ai débarqué en Angleterre, il m’a tout de suite accueilli à bras ouverts et m’a logé pendant deux mois, raconte l’ex-international français. C’est un homme réservé, généreux et très proche de ses joueurs. Il organisait beaucoup de réceptions chez lui dans une ambiance très familiale », se souvient Abdel Benazzi.
Soucieux du bien commun, ou du moins d’une bonne image, le proprio des Sarries s’est attelé à développer le rugby féminin et à mettre l’accent sur la formation des jeunes. Avant d’ouvrir en 2000 la Saracens Sport Foundation, dont l’objectif était « d’inspirer et de changer les vies grâce au pouvoir du sport ». Un message que n’a pas oublié Abdel Benazzi.
« Il fallait être performant sur le terrain mais aussi avoir un rôle social dans la cité. C’était très important dans sa conception des choses. Il était animé par une grande ambition du futur. »
Dans le privé, le businessman est un très grand collectionneur de reliques sportives. Ballon du dernier but de Pelé avec le Brésil, médaille des premiers JO, ou bien les gants qui ont mis Mohammed Ali à terre, son domicile est un véritable musée. « J’ai rarement vu quelqu’un passionné de sport en général autant que lui », admet Benazzi, aujourd’hui encore en contact régulier avec son ancien président.
L’épopée « Saraboks »
L’humain et le sportif donc, mais pas sans argent. En actionnaire dévoué, Nigel Wray est arrivé aux Saracens à une période où remporter trois Coupes d’Europe relevait de l’impensable. Tout juste de retour en première division en 1995, les Rouge et Noir se sont retrouvés l’année suivante au bord de la relégation, au moment où Nigel Wray décide de racheter l’affaire. « Il a investi énormément d’argent dans le club, atteste Abdel Benazzi. A l’époque où j’y étais (2000-2003), les Saracens étaient déficitaires de 2 ou 3 millions de livres tous les ans. » Il a donc fallu rééquilibrer les comptes.
N’y arrivant pas seul, Mister Wray a accueilli en 2009 le Sud-Africain Johann Rupert (troisième plus grande fortune d’Afrique) dans le capital du club.
Il a rassuré tout le monde en disant “je ne vends pas l’âme du club, j’ai simplement besoin d’un partenaire pour pouvoir progresser” », poursuit Benazzi.
Un pari gagnant au vu du palmarès forgé depuis cette arrivée providentielle. Durant ces neuf années sous bannière sud-af, et cette dernière saison, la planche à billets a bien tourné pour offrir aux Saracens cinq championnats d’Angleterre (2011, 2015, 2016, 2018 et 2019) et trois Champions Cup (2016, 2017 et 2019) gagnés grâce à une armada de joueurs d’élite. Le rugby devient nettement plus facile quand on peut attirer des cadors. Interrogé en conférence de presse après cette sanction infligée aux Sarries, l'entraîneur de Clermont Franck Azéma expliquait avoir eu l’impression de se faire voler une Coupe d'Europe lorsque l'ASM avait été battue en finale par les Anglais en 2017.
« C’est une frustration légitime. Ce que tu recherches avant tout en sport, c’est d’avoir une équité. Si les Saracens n’ont pas respecté le salary cap, c’est bien qu’ils soient sanctionnés. Les Saracens restent une équipe qui travaille bien, ça reste de très bons joueurs. Mais c’est l’association de ces joueurs-là qui te permet d’aller chercher des phases finales. On avait déjà souffert dans le passé face à une armada de Toulonnais qui avait fait mal sur la Coupe d'Europe. C’est dur de batailler avec ces équipes. »
Stars sur le départ
Allusions à peine voilées à d’autres gros clubs qui pourraient avoir des méthodes similaires pour se créer des dream-team en contournant les règles. « Je souhaiterais qu’on soit aussi sévère en France que la sanction infligée aux Saracens », ne cache pas Jean-René Bouscatel, ancien président du Stade Toulousain. « On sait officieusement, par ce que disent les joueurs, les agents ou les autres présidents, qu’il y a des pratiques un peu limite, mais c’est difficile de le prouver. Et je ne pense pas que ce soit généralisé », tempère l’ex-haut membre de la LNR. Nigel Wray se défend d’ailleurs d’avoir brisé le salary cap et assure que « investissement n’est pas salaire », et qu’il a donc le droit d’être en affaires avec certains de ses joueurs. Le club anglais a d’ailleurs fait appel de la sanction.
Toujours est-il que l’accumulation de superstars (Itoje, Vunipola, Farrell) ne pourra pas continuer. Nigel Wray va devoir libérer de la masse salariale pour rentrer dans les clous, alors que les Saracens risquent de se retrouver en deuxième division la saison prochaine. Mais Abdel Benazzi n’a aucun doute sur le soutien que recevra son ancien propriétaire : « Je l’ai eu au téléphone, il est très affecté. Mais les joueurs ne le lâcheront pas. Même s’ils redescendent en Championship Cup, la majorité restera pour que ce ne soit qu’un mauvais souvenir. »