Ils doivent être heureux à Doha. En récupérant l’organisation des championnats du monde de natation en grand bassin, dont les premières courses commencent ce dimanche, la capitale qatarie s’imaginait déjà voir les records du monde tomber, Caeleb Dressel, Léon Marchand, Katie Ledecky ou Ariarne Titmus flamber. Idéal pour faire un pied de nez, en sus, au voisin saoudien, dans cette lutte d’influence régionale via le sport.

Il n’en sera rien, ou presque, et on imagine déjà Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, ricaner dans son palais. A Doha, les délégations arrivent en ordre très resserré, sans les principales têtes d’affiche. Les Etats-Unis arrivent au Qatar avec seulement 18 nageurs, dont 5 femmes, sans notamment les multimédaillés olympiques Ryan Murphy ou Katie Ledecky.

Même chose pour l’Australie, qui se déplace au Proche-Orient sans ses principales têtes d’affiche, comme Emma McKeon et Ariarne Titmus. Et la France dans tout ça ? Même combat. Seulement 12 tricolores viendront défendre le drapeau dans les bassins de Doha, derrière la cheffe de file Charlotte Bonnet. Pas de Léon Marchand, donc, ni de Maxime Grousset, de Florent Manaudou ou de Béryl Gastaldello, les fers de lance de la natation française.

Présence non obligatoire

« Avant chaque saison, on définit l’objectif principal de l’année, et là, c’est évidemment les Jeux, nous explique Julien Issoulié, le directeur technique de la Fédération française de natation. Ces Mondiaux, on ne les a pas mis comme un passage obligatoire pour l’équipe de France. Ce n’est pas bien de dire que ce ne sont pas des championnats du monde, car il y aura des titres, mais pour nous, ce n’est pas l’objectif. Les athlètes avaient une totale liberté quant à leur choix. »

Pour Léon Marchand, qui devrait remplir allègrement le panier de médailles français à Paris cet été, le choix avait été fait dès le début de la saison, en concertation avec ses coachs. « Il y a plusieurs raisons à son absence, détaille Nicolas Castel, son coach. La première, c’est que ça tombe pendant ses compétitions universitaires [aux Etats-Unis], qui sont pour lui toutes aussi importantes. La deuxième, c’est qu’on est en pleine période de travail. Et la troisième, c’est parce que c’est un championnat du monde qui va être un peu biaisé par le niveau général. La performance ne voudra peut-être pas dire grand-chose. »

Pour ceux qui restent à la maison, la volonté de ne pas perturber une routine, surtout dans une année olympique, où on essaie de répéter les choses qui marchent, est souvent invoquée. Aller vers la nouveauté, c’est aussi générer plus de stress. Inutile, à cinq mois des Jeux olympiques. « Ceux qui ne viennent pas sont généralement dans des cycles qu’ils travaillent année après année, et ça leur va bien d’avoir ce temps de travail important à ce moment de la saison », reprend le DTN.

Une médaille dévalorisée ?

Alors, quelle brillante idée a eu la Fédération internationale de natation (Fina) d’organiser ces Mondiaux à cette période-là ? Un concours de circonstances, lié notamment au report d’un an des JO de Tokyo, qui a provoqué ensuite une cascade de changements dans le calendrier de la Fina jusqu’à repousser les Mondiaux de Doha début février, si proche des JO et sept mois seulement après les championnats du monde à Fukuoka (Japon), où Léon Marchand avait brillé.

« Ce n’est pas idéal, mais on s’adapte, en sourit Charlotte Bonnet. On n’a pas vraiment le choix et, malheureusement, on n’a pas eu notre mot à dire. » La médaillée de bronze aux JO de Londres, en 2012, a fait, elle, le choix de venir à Doha, même si elle est également en période de préparation. « Pour moi, se confronter aux meilleurs est une bonne prépa pour les Jeux. Et ça sera mes derniers Mondiaux, donc j’avais à cœur d’y participer. Si j’avais fait l’impasse dessus, je pense que je l’aurais regretté. Je serai quand même assez reposée pour être en capacité de faire des bonnes choses, mais l’objectif principal reste les JO. »

« Certains ont choisi de faire entrer ces Mondiaux dans leur planification parce que ça permettait d’avoir un cycle de jours de compétitions, de revoir les stratégies de courses, analyse Julien Issoulié. Tous ceux qui y vont ont pour objectif de nager à leur meilleur niveau possible. » Mais, que vaudra une médaille glanée sur ces championnats au rabais ? « C’est quelque chose que j’ai entendu, mais s’il y a médaille au bout, pour moi, elle ne sera pas dévalorisée du fait des absents, rétorque Bonnet. Ils font l’impasse dessus, c’est leur choix. Une médaille à ces championnats du monde n’aura pas moins de valeur que sur un autre grand championnat. » Un poil moins qu’une médaille d’or aux JO, quand même, non ?