France-Maroc : « On s’habitue vite au firmament »… C’est donc ça, vivre sa meilleure vie de supporteur des Bleus ?
FOOTBALL Ce mercredi soir, face au Maroc, l’équipe de France de Didier Deschamps va disputer sa troisième demi-finale en quatre compétitions internationales, ce qui est presque une anormalité aux yeux de l’histoire du football
- L’équipe de France affronte le Maroc en demi-finale de la Coupe du monde, ce mercredi, à 20 heures, au stade Al-Bayt d’Al-Khor, dans la banlieue de Doha.
- C’est la troisième fois en quatre compétitions internationales que les Bleus de Didier Deschamps atteignent le dernier carré, ce qui vous pose une réputation.
- S’il est difficile d’expliquer cela de manière rationnelle, encore que, ayons au moins conscience de vivre une époque bénie de l’histoire de l’équipe de France.
De notre envoyé spécial à Doha,
Les Bleus nous posent un cas de conscience à l’heure d’affronter le Maroc ce mercredi en demi-finale du Mondial. Mais du genre positif, qui nous donne envie de nous creuser le carafon pour comprendre comment une équipe d’abord frappée du sceau de la scoumoune, amputée de pléthore de ses meilleurs éléments, peut se retrouver un mois plus tard dans le dernier carré d’une Coupe du monde, quatre ans après avoir été sacrée en Russie, et tenter de réaliser un doublé historique. On se souvient d’avoir écrit ici même il y a quelques semaines que cette prouesse n’était pas possible en l’état et qu’au fond ce n’était pas si grave que ça. Parce qu’à la table des prétendants au titre suprême, on avait déjà été bien gâtés ces 25 dernières années. Et pourtant nous y revoilà.
Soyons clairs, nous ne retirons pas une ligne de ce que l’on a dit. Parce que c’était le sens de l’histoire, parce que le Trophée Jules Rimet ne s’offre quasiment jamais deux fois de rang aux mêmes mains. Parce que c’est tout simplement trop compliqué dans le football moderne des nations de rester au somment avec une telle régularité. Parlez-en aux trois derniers champions du monde italiens, espagnols et allemands, ils vous diront la difficulté, non pas de défendre son titre, juste celle de sortir des poules quatre ans après avoir été sacrés. Et pourtant nous y revoilà.
Ce que font les Bleus depuis six ans, mais on pourrait aussi bien dire quarante ans (six demi-finales de Coupe du monde sur les neuf dernières participations !) avec trois accessions dans le dernier carré sur les quatre compétitions internationales disputées, est proprement hallucinant. Anormal, même, si l’on reprend les mots de Claude Onesta, l’ancien sélectionneur des Bleus du hand qui, question victoires, touche quand même un peu sa bille. Deschamps avait beau dire le soir de l’annonce de sa liste que cette statistique ne lui faisait pas peur car toutes les stats sont faites pour être contredites, on n’achetait pas. ET POURTANT NOUS Y REVOILA !
« On est vraiment gâtés »
Gavés de sensations fortes depuis que DD a pris les clés de la fourgonnette, les supporteurs français sont des petits veinards. Invités à nous dire s’ils avaient conscience de vivre une période bénie de l’histoire du foot français, tous hochent la tête. Laura, 22 ans, qui rêvait de vivre son « France 98 » à elle, se sait privilégiée : « Avec un peu de recul, moi qui n’ai pratiquement connu que l’ère Deschamps, je me rends compte de la chance que j’aie de pouvoir vivre cette époque dorée. Mais je ne suis toujours pas rassasiée ! On s’habitue vite au bonheur et au firmament. Mais les petits couacs sont là pour nous rappeler que rien n’est acquis et que l’on est extrêmement chanceux de se maintenir à un si haut niveau depuis longtemps. » Du haut de ses 60 ans, Bruno, lui, a connu les périodes douloureuses, « la défaite contre l’Allemagne en 82 » quand « on jouait bien mais qu’on perdait ». Alors aujourd’hui, il est au max. « On est vraiment gâtés, dit-il. Pourvu que ça dure ! ».
« On regarde désormais les Allemands, les Italiens ou les Brésiliens dans les yeux. Nous ne sommes plus la petite nation du foot capable d’exploits mais bien un vivier de talents qui fait douter et déjouer les meilleures sélections, se réjouit Romain, 40 ans. A voir si cela perdurera dans le temps. Les périodes fastes sont souvent suivies de traversées du désert et nous l’avons déjà vécu avec la période Domenech. L’Euro 2021 nous a bien rappelé que tout ça tenait encore sur un fil. Il faut savourer ces moments car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Mais la France est indéniablement entrée dans la cour des grands. »
Bien qu’il ne soit (peut-être) pas un lecteur assidu de 20 Minutes, on a aussi posé la question à Raphaël Varane pour voir si, de l’intérieur, le groupe aussi se rendait compte de la portée de ses performances. « On a conscience que ce qu’on réalise depuis des années c’est quelque chose de grand, mais c’est difficile de vraiment s’en rendre compte, a-t-il expliqué. On reste concentré sur ce qui est devant nous, c’est comme ça qu’on a bâti nos succès et c’est comme ça qu’on va continuer. On se rendra compte de tout ça une fois que ça sera terminé. » Si possible au soir du 19 décembre, pas avant.
Une force collective
Ceci étant posé, essayons maintenant de comprendre comment et pourquoi la fée s’est penchée au-dessus de notre berceau pour nous dorloter comme des enfants pourris gâtés. Mais peut-on seulement expliquer ce qui touche à l’irrationnel, ce qui n’est mû par aucune logique ? Par définition, non. Ou alors, pour ça, il nous faut du solide, du genre qui s’y connaît question hégémonie et longévité. On a donc appelé Jérôme Fernandez, pilier des invincibles handballeurs français pendant près de 20 ans. Pour lui, les similitudes entre les Bleus du hand et la bande à Deschamps sont nombreuses.
« Un sélectionneur qui est là depuis pas mal de temps et qui s’appuie sur une ossature qui a beaucoup d’expérience, et ce malgré les absences de joueurs cadres. Les Lloris, Varane, Griezmann, Giroud, des mecs qui ont leurs habitudes, qui ont la culture de la gagne et qui sont performants au moment où il le faut. Vous greffez à ça des jeunes talents qui ont été bien intégrés par les anciens, et ça vous donne déjà des pistes. Il n’y a pas de recette miracle bien sûr mais, nous, on s’est appuyé sur ces mêmes ingrédients depuis une trentaine d’années et ça a marché. »
Interrogé mardi en conférence de presse sur les secrets d’une telle réussite, Didier Deschamps a employé la même expression. « Il n’y a pas de recette miracle », a-t-il dit avant de finalement livrer quelques ingrédients : « C’est un amalgame de plein de choses : la qualité des joueurs, la force collective, l’état d’esprit. Et puis certains matchs tiennent à peu de chose. » Pour ce qui est de la force collective, on a assez écrit dessus pour ne pas trop y revenir. Oui, c’est un fait, ce groupe semble guidé par une force qui nous dépasse, savant mélange de confiance, de foi et de chance, aussi. Ce sont ces fameuses petites choses dont parle le sélectionneur et qui font basculer le cours d’un match en votre faveur et pas en celle de l’adversaire. Par facilité (et aussi parce que ça nous fait bien marrer) on appelle ça la « chatte à Dédé ».
La chance, une amie qui vous veut du bien
Au début du XXIe siècle, autre période glorieuse des Bleus où le matou à Deschamps n’existait pas encore, cela portait un autre nom. Quand un confrère lui faisait remarquer, dans le documentaire L’Equipe Enquête sur la victoire à l’Euro 2000, qu’en finale les Bleus étaient passés à ça de la défaite face aux Italiens, Youri Djorkaeff souriait : « C’est la maîtrise ». Franck Leboeuf et Bixente Lizarazu se montraient plus cashs. Le premier parlait « d’une chance de cocu monstrueuse », le second se remémorait « la frappe de Wiltord [qui] passe entre les jambes d’un défenseur et sous le bras du gardien » avant d’ajouter en se marrant « les chatards !!! ».
« Mais ce n’est pas pour rien que la chance réussit toujours aux grandes équipes, théorise Fernandez. Elle se provoque. Sur notre cycle de domination entre 2008 et 2012, quand on est champions olympiques à Pékin, j’avais l’impression que quel que soit l’adversaire qu’on aurait eu en face, il ne pouvait rien nous arriver parce qu’on était sûrs de nos forces et qu’on provoquait cette fameuse chance. Eux, c’est pareil. Le penalty manqué par Kane l’autre jour, je ne suis pas sûr que ça serait arrivé à Griezmann ou à Mbappé. Sans parler du but de Giroud, qui est au bon endroit, au bon moment. » C’est ce qui fait la force des grandes équipes, cette gestion des moments clés d’une rencontre.
Savoir subir pour finalement piquer quand ça fait le plus mal, laisser l’adversaire prendre confiance et croire en son destin pour finalement lui tapoter sur l’épaule, lui montrer le mode d’emploi et le détruire psychologiquement. Un journaliste du Guardian a parfaitement résumé cela après la défaite des Three Lions : « Les Anglais y croyaient. Les Français le savaient. » Jérôme Fernandez : « C’était pareil pour nous, que ce soit contre les Croates ou les Danois. On savait qu’on avait tellement d’expérience et de cohésion que, dans les moments clés, on allait faire la différence. C’est ce qui s’est passé pour les Bleus en quart de finale. Et quand ça vous arrive, il faut profiter du moment et surfer sur la vague pour ne rien laisser aux autres, car on sait que la domination n’est pas éternelle. » Tant qu’elle dure jusqu’à la fin du mois, ça nous va. Après ça, promis, on passe le flambeau (ou pas).