« Rien d’autre que du neuf avec du vieux »… Le projet de relance de la Super Ligue est-il bien sérieux ?
football Depuis quelques semaines, les partisans de cette nouvelle compétition, rejetée avec force il y a 18 mois, recommencent leur travail de lobbying
- Le projet de Super Ligue, enterré en moins de deux jours en avril 2021, semble connaître un retour de flammes ces dernières semaines.
- Les présidents du Real Madrid, du Barça et de la Juventus continuent de soutenir cette compétition, qui vient de se doter d'une agence et d'un directeur général pour assurer le lobbying auprès de tous les acteurs.
- Il y a toutefois encore de nombreux obstacles à surmonter pour les partisans de la Super Ligue, qui sucite toujours de farouches oppositions.
Pour un peu, on penserait que c’est le karma qui a frappé. Et mérité en plus. Ce lundi à Nyon, Andrea Agnelli et Joan Laporta ne seront pas concernés par le tirage au sort des 8e de finale de la Ligue des champions, programmé à midi. Le président de la Juventus et son homologue du Barça pourront entamer les petits fours sans se presser, ils ne sont attendus qu’à 13 heures, pour le tirage des barrages de la Ligue Europa. Cocasse, au moment où les deux dirigeants sont, avec Florentino Perez, en pleine relance du projet de Super Ligue. Remarquez, la situation peut aussi donner du crédit à leur bataille. Celle de protéger la place de leur club dans le clan des nantis.
« Un univers parallèle »
Torpillée en à peine 48 heures au printemps 2021, cette idée de Ligue européenne fermée réunissant les équipes les plus bankables du continent pour brasser toujours plus de milliards renaît de ses cendres depuis quelques semaines. Non pas que les oppositions se soient éteintes, à commencer par celles du président de l’UEFA Aleksander Ceferin et de l’ECA (l’association européenne des clubs, sorte de Medef appliqué au football). Le dirigeant slovène l’a rappelé dès mars dernier au détour d’un sommet organisé par le Financial Times, où il a devancé l’intervention d’Agnelli en débinant les irréductibles partisans de cette compétition, « des gens qui doivent vivre dans un univers parallèle ».
Quant à l’ECA, Nasser Al-Khelaïfi, nommé à sa tête dans la foulée de la tentative de putsch de l’année dernière, est resté inflexible lors du déjeuner avec le président de la Juventus avant le match de Ligue des champions du PSG en Italie la semaine passée, selon les indiscrétions rapportées par L’Equipe. « Notre opinion n’a pas changé », nous confirme Daniel Rommedahl, directeur général du FC Copenhague et membre du puissant syndicat.
Tout ça n’empêche pas le Real Madrid, le Barça et la Juve de continuer à œuvrer, persuadés de détenir la clé de l’avenir du football et bien désolés de voir qu’ils sont les seuls à en avoir conscience. Au-delà des petites phrases des trois présidents sur la « nécessaire modernisation » du sport, un élément tangible a donné du corps à cette résurrection, mi-octobre : l’annonce de la création de la société A22 Sports Management, dont le but est explicitement de « parrainer et aider à la création de la Super Ligue », avec à sa tête un directeur général du nom de Bernd Reichart.
Une formule revue et corrigée (vraiment ?)
L’Allemand, ancien patron du groupe de médias RTL Group, passé par l’agence Sportfive et le groupe espagnol Atresmedia, est ainsi devenu la nouvelle incarnation de l’empire du mal. « Son objectif initial sera d’initier un dialogue approfondi avec un groupe complet d’acteurs du football, notamment des clubs, des joueurs, des entraîneurs, des supporters, des médias et des décideurs politiques », explique un porte-parole de la société à 20 Minutes.
Sacrée mission que de faire le tour des popotes pour vendre un produit qu’une écrasante majorité a rejeté il y a 18 mois. Mais Reichart ne part pas perdant. Après avoir discuté avec quelques clubs ces dernières semaines, il a obtenu un rendez-vous avec Aleksander Ceferin en personne, ce mardi à Nyon. Pour convaincre son monde, le DG dispose d’un argumentaire élaboré avec soin. Les défenseurs de la Super Ligue ont appris de leurs erreurs, promis :
L’initiative avait quelques faiblesses, reconnaît-on chez A22 Sports. La leçon principale, c’est qu’une future compétition ne peut naître que d’un dialogue ouvert et que la promotion et la relégation doivent être la base de toute compétition sportive. Il ne peut y avoir de places garanties. »
Exit donc le système fermé qui a hérissé les poils de tous les amateurs de foot. Mais pour en savoir plus sur le format proposé, il faudra encore patienter. « Le dialogue doit précéder la proposition d’un format concret qui inclurait un certain nombre de clubs participant à la compétition. Contrairement à l’année dernière, il n’y a pas de formule toute prête dans les cartons », insiste le porte-parole de la société basée en Espagne, dont l’un des actionnaires est l’homme d’affaires franco-marocain Anas Laghrari, proche de Florentino Perez. « Rien d’autre que du neuf avec du vieux », balaye sans ménagement Daniel Rommedahl.
Alors qu’un objectif de lancement pour la saison 2024-2025 avait initialement été évoqué, aucune date n’est plus à l’ordre du jour. La concertation et la politique des petits pas avant tout, on l’aura compris. Pour autant, doit-on croire à une réelle possibilité de voir un jour cette compétition sur les rails ? « Pas du tout », répond du tac au tac Dominique Courdier. Le directeur de News Tank Football, une agence de veille stratégique à destination des dirigeants, voit deux raisons principales à cet échec annoncé :
- « La force de l’opposition, qui rassemble l’UEFA, la Fifa, l’ECA, les Ligues. Regardez ce qu’en dit Javier Tebas en Espagne, par exemple. Cette résistance est toujours ferme et déterminée. Au passage, on peut noter que l’ECA a obtenu deux sièges au comité exécutif de l’UEFA et un droit de veto pour toute évolution des coupes d’Europe. On peut penser que l’UEFA attend une certaine fidélité en retour. »
- « Si jamais cela ne suffisait pas, ça se finirait au niveau politique. Et les dirigeants européens sont dans l’ensemble contre l’idée d’une Super Ligue. Tous défendent un modèle sportif qui n’est pas le modèle américain. Et ceux qui seraient le plus proche des idées de la Super Ligue disent que de toute façon, elle existe déjà. Qui retrouve-t-on aujourd’hui chaque année en quart de finale de la Ligue des champions ? Ils pensent que ce n’est pas la peine d’aller inventer une nouvelle compétition pour défendre les plus gros clubs. »
Quoi qu’il en soit, il faudra attendre le premier trimestre 2023 pour savoir quelle tournure peuvent prendre les événements. C’est à cette période que la Cour de justice de l’UE, saisie par un tribunal espagnol, doit rendre sa décision sur un présumé abus de position dominante de la part de l’UEFA. Si la CJUE donne raison aux plaignants, le Super Ligue pourra arguer que l’instance dirigée par Ceferin n’a plus le monopole de l’organisation de compétitions en Europe. Et donc passer à l’action. « Mais les oppositions, notamment politiques, seraient toujours là », nuance Dominique Courdier.
Une pierre en plus dans le jardin de la Super Ligue. « Ils ne peuvent pas revenir d'entre les morts… même si c'est bientôt Halloween », flinguait fin octobre une source au sein de l’UEFA contactée par l’AFP. Attention quand même à l’excès de confiance. Il y a quelques jours, le président du Milan AC Paolo Scaroni confirmait de ne pas vouloir de cette compétition, tout en sommant l’instance européenne de ne pas s’endormir. « La Super Ligue est mise de côté, mais ce qui ne l’est pas, ce sont les problèmes qui ont fait naître cette idée, rappelait-il. J'espère que l'UEFA va faire en sorte de trouver des solutions. » Et ce n’est pas forcément la nouvelle formule de la Ligue des champions, lancée en 2024, qui a convaincu tout le monde.