Triathlon : Pourquoi Xavier Jourson, ex-rugbyman pro de 120 kg, court-il le Norseman, « l’Ironman le plus dur au monde » ?

HORS-TERRAIN Ancien troisième ligne formé au LOU Rugby, l’athlète de 36 ans, désormais installé à Montréal, veut devenir samedi « le premier finisher noir » du mythique triathlon norvégien

Jérémy Laugier
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Xavier Jourson s'est lancé le défi d'une vie, en prenant le départ du Norseman, samedi au lever du soleil, dans un mythique fjord norvégien.
Xavier Jourson s'est lancé le défi d'une vie, en prenant le départ du Norseman, samedi au lever du soleil, dans un mythique fjord norvégien. — Xavier Jourson
  • Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous consacrons à l’incroyable défi de Xavier Jourson, ancien rugbyman professionnel de 36 ans vivant à Montréal.
  • Celui-ci a préparé durant deux ans et demi le Norseman, perçu comme « l’Ironman le plus dur au monde ». Il se jettera samedi (4h30) d’un ferry dans un fjord norvégien, avec 23 kg de moins que durant sa carrière de rugbyman.

« Je n’ai jamais fait un seul triathlon de ma vie, ni même la moindre course, et je m’attaque samedi à l’Ironman le plus dur au monde. » Non, ce n’est pas une punchline tirée d’une fiction américaine à succès mais la trajectoire bien réelle de Xavier Jourson. A savoir celle d’un ancien rugbyman professionnel formé au LOU, passé par la Pro D2 et la Fédérale 1 de 2007 à 2016, et qui s’est lancé un défi insensé en 2020 : « devenir le premier athlète noir à boucler le Norseman ». Le Guadeloupéen de 36 ans s’attaquera donc, samedi en Norvège, au défi d’une vie : faire partie des héroïques finishers d’une course réunissant 311 triathlètes devant enchaîner 3,8 km de nage (départ d’un bateau à 4h30 dans un fjord), 180 km de vélo et 42 km de course à pied, soit 5.235 m de dénivelé positif au total.

Cette idée folle trouve son origine au début de la période Covid-19, lorsque Xavier Jourson, qui a quitté la France pour devenir trader à Montréal trois ans plus tôt, tombe par hasard sur le livre Finding Ultra de Rich Roll. L’histoire de cet ancien avocat alcoolique ayant pris part à l’Ultraman d’Hawaï l’inspire immédiatement. Alors qu’il s’entretient à la salle de sport, sur les playgrounds de basket et en courant un peu, il décide d’investir dans un vélo.

« Ils sont malades d’écrire "This is not for you" »

« Quand j’ai voulu l’acheter à Montréal, le vendeur était surpris que je veuille me mettre au cyclisme, se souvient-il. Ça a touché mon orgueil et j’ai changé de magasin, mais c’était pareil ailleurs. J’ai pris conscience qu’ils n’avaient jamais dû voir un black de 120 kg voulant un vélo de course. » Pas de quoi faire hésiter notre gaillard, bien au contraire. Puis vient le deuxième étage de la fusée en avril 2020.

En soirée, un ami me dit : "Xavier, ça fait trois mois que tu fais du vélo, tu as maigri, tu es vegan. C’est cool, mais c’est quoi la prochaine étape ? Tiens, tu connais le Norseman ?" Il était 3h30, on était un peu éméché. Je me connecte sur le site de ce truc et je vois écrit d’emblée "This is not for you". Ils sont malades d’écrire ça ! Je fonctionne ainsi : tant qu’on ne me dit pas que c’est impossible et que je vais échouer, je n’ai pas d’intérêt à le faire. Donc là, sans savoir quoi que ce soit de cette course, j’annonce aussitôt que je la ferai. »

La Transition, tel que cet ancien troisième ligne de 1,88 m nomme son challenge XXL, est lancée pour plus de deux ans, avec vingt-deux heures d’entraînement par semaine en moyenne, et une priorité absolue fixée sur la natation. Le tout sous les ordres de Georges Gay (56 ans), vice-président de la fédération québecoise de triathlon, et l’un des très rares triathlètes noirs à boucler quatre Ironman dans les années 2000. « Quand Xavier m’a contacté, je me suis immédiatement reconnu dans son ambition et sa détermination, confie celui-ci. Je le vois comme un petit frère. »

Depuis deux ans, Georges Gay prépare Xavier Jourson au Norseman.
Depuis deux ans, Georges Gay prépare Xavier Jourson au Norseman. - Xavier Jourson

Des échanges avec Lilian Thuram et un mail de Lance Armstrong

Son rythme d’entraînement le fait fondre de 120 à 97 kg, ce qui n’est pas sans entraîner des blessures régulières (genou, bras, épaule). Il lui faut un an pour être vraiment capable de rester plus de 7 heures consécutives sur un vélo. Xavier Jourson va jusqu’à prendre… des cours de ballet pour optimiser ses pointes de pieds, afin de l’aider sur la partie nage. « Je me suis vite dit que ce que j’étais en train de faire était "fucked up". Donc autant partir sur un documentaire qui relate toute cette histoire. » En avant donc pour un tournage en août 2020 à Percé, où il voit les choses en grand en louant bateau, hélico, et en s’entourant d’un réalisateur, pour avoir des séquences de nage filmées.

Avant ces quelques jours en Norvège, où il est accompagné d’une dizaine de personnes, notamment pour être filmé en kayak, moto et hélico, Xavier Jourson sait qu’il en est exactement à 56.123 dollars investis de sa poche dans ce projet. « Fucked up » donc, comme ses échanges réguliers autour de son projet avec l’ancien footballeur Lilian Thuram et l’acteur Saïd Taghmaoui. Il reçoit même un mail de Lance Armstrong, ravi d’avoir été l’une de ses sources d’inspiration. « J’ai besoin de figures héroïques et Lilian Thuram m’a aidé sur toute la partie sociologique, afin de faire changer les mœurs », précise-t-il.

« C’était mort, mais je savais que j’allais le faire »

Car Xavier Jourson ne compte pas se contenter de la dimension sportive : il veut que son défi soit aussi entrepreneurial et sociétal, surtout après la mort de l’Afro-Américain George Floyd, tué par un policier le 25 mai 2020 à Minneapolis. « Cette course, c’est le moyen de démontrer que je peux briser des stéréotypes sur la communauté noire avec des actes, notamment sur la nage. J’ai conçu mon projet ainsi pour permettre à beaucoup de monde de s’y identifier. Mon but dans tout ça, ce n’est pas de me faire mousser mais de transmettre et de sensibiliser. Barack Obama a fait prendre conscience aux noirs qu’ils pouvaient devenir président un jour. C’est la même chose que je vise en faisant le Norseman. »

Avec sa performance, il va donc tenter d’ouvrir davantage une discipline « à l’écosystème très fermé ». C’est pourquoi il assume son choix d’inclure des légendes du sport comme Mohamed Ali et Jesse Owens dans son teaser de documentaire, prévu pour le début d’année 2023. Mais au fait, pourquoi peut-il prendre le départ du redoutable et ô combien prisé Norseman, alors qu’il n’avait pas engrangé de points en amont permettant une qualification sportive, ni même tenté dans le bon timing d’être tiré au sort ?

C’était mort, mais je savais que j’allais le faire quand même. Pendant un an et demi, je discutais avec Castelli et Strava. J’obtenais même des contrats de partenariat, mais je n’étais toujours pas inscrit. J’ai joué "all in" et ça m’a souri en novembre 2021, quand j’ai fini par convaincre le manager général de la course Dag Oliver de me donner mon sésame. Et pourquoi mon projet est-il viable à ses yeux ? Parce que je suis noir. »

« Deux fois plus l’enfer » à vélo que sur l’alpe d’Huez

Comme un passe-droit aux allures de clin d’œil ironique, après toutes les portes closes auxquelles Xavier a été confronté dans sa vie en raison de sa couleur de peau. A quel point l’ex-rugbyman est-il inquiet avant de se lancer dans ce défi auquel rien ne le destinait ? Il se sent « de plus en plus serein » pour l’épreuve cruciale de natation (3,8 km dans une eau attendue autour de 12 °C) qu’il devra boucler en moins de 2h15, sous peine d’être d’emblée éliminé. Puis il grimpera sur son vélo, un an après s’être coltiné le premier col de sa vie, l’alpe d’Huez (en 1h40).

Pour se préparer au mieux pour la redoutable épreuve de cyclisme (180 km et cinq cols hors catégorie), Xavier Jourson a grimpé L'Alpe d'Huez il y a un an.
Pour se préparer au mieux pour la redoutable épreuve de cyclisme (180 km et cinq cols hors catégorie), Xavier Jourson a grimpé L'Alpe d'Huez il y a un an. - Georges Gay

« Je sais que ce sera encore deux fois plus l’enfer sur le Norseman, car j’aurai droit à cinq cols hors catégorie, dont un de 33 bornes, en 180 km de vélo », précise celui qui a été le parrain d’Amos Sport Business School à Lyon en 2021-2022. Notamment suivi par Trek, Castelli, Strava et Arena, « des grandes marques qui ont compris l’impact sociétal de mon projet », Xavier Jourson garde une crainte avant le jour J : « Ce que je trouve cruel, c’est que tu peux exploser dans l’eau au bout de 30 minutes malgré une énorme préparation ». Son coach Georges Gay, présent à ses côtés cette semaine en Norvège, reconnaît que cet avant-Norseman aurait pu être différent.

Le maillot noir, une symbolique sur le gâteau

« Sportivement, il aurait peut-être été préférable de commencer la compétition par de plus petits triathlons. Mais parfois, pour atteindre au mieux son objectif et faire changer une situation, il faut pousser les choses à l’extrême. Xavier a déjà enfoncé des milliers de portes en deux ans et rien qu’en étant au départ samedi, il va permettre de démocratiser ce sport auprès des athlètes noirs. Mais c’est certain que l’effet sociétal sera encore plus grand s’il réussit l’exploit de terminer cette course. »

De son côté, Xavier Jourson rêve toujours plus grand, à l’image d’un deuxième documentaire (secret) qu’il prépare déjà parallèlement pour 2023. Ne lui parlez pas du maillot blanc réservé aux finishers classés au-delà de la 160e place. Il se voit dans les 160 « privilégiés » qui pourront accéder à pied au fameux Mont Gaustatoppen (1.883 m), via une terrible ascension finale de 17 km. « Il faut que je fasse péter ce tee-shirt noir, s’enflamme l’athlète antillais. Finir la course, c’est le but ultime. Mais j’ai trop donné et j’ai trop d’envie. C’est un vrai test personnel, et même le main event de ma carrière de sportif. » Un maillot noir, au bout de 18 heures de course et deux ans et demi de sacrifices, comme une symbolique sur le gâteau.