Coupe du monde de rugby : « Il est cash, il ne fait pas de prisonniers », après le Japon, Eddie Jones applique ses méthodes de killer à l'Angleterre

RUGBY L'entraîneur australien, qui a mené le Japon à la victoire contre l'Afrique du Sud avec ses tactiques d'entraînement musclées, a été embauché par les Anglais après la débâcle de 2015

Mathias Cena
Eddie Jones au stade de Tokyo, le 5 octobre 2019.
Eddie Jones au stade de Tokyo, le 5 octobre 2019. — Odd ANDERSEN / AFP

De notre correspondant à Tokyo (Japon),

Dans les sous-sols du stade de Tokyo, Eddie Jones est tout sourire il y a quinze jours quand il répond à la presse après la victoire de l’Angleterre contre l’Argentine (39-10). Rigolard, l’œil qui frise, le coach des Anglais complimente un journaliste sur sa casquette, répète pour la troisième fois que son 3e ligne Billy Vunipola, blessé à la cheville, a dû « glisser sur un morceau de bœuf de Kobé », ville où ses joueurs ont battu les Etats-Unis fin septembre.

Bien sûr, personne ne s’y trompe. L’Australien bonhomme assis sur l’estrade, passé au cours de sa carrière d’entraîneur chez les Wallabies et les Springboks, est bien le meneur d’hommes tyrannique, le redresseur d’équipes en déroute qui n’hésite pas à donner des drop-kicks dans la fourmilière pour parvenir à ses fins. Cette place à la tête du XV de la Rose, il se l’est d’ailleurs assurée quatre ans plus tôt, quand son coaching de fer a mené le Japon à son exploit historique du Mondial 2015, une victoire 34-32 contre l’Afrique du Sud deux fois championne du monde.

« Pas l’homme le plus agréable du monde »

Le fait d’armes a été célébré par un film sorti fin septembre, The Brighton Miracle, qui raconte les années de labeur et de combat nécessaires pour arriver à ce résultat. Le charismatique coach y est campé par l’acteur néo-zélandais Temuera Morrison, surtout connu pour interprétation du chasseur de primes Jango Fett dans « Star Wars ». « J’ai entendu dire que ce n’était pas l’homme le plus agréable du monde », raconte l’acteur, qui s’y connaît en méchants. « Mais c’est ce qu’il faut pour atteindre ce niveau de perfection. »

Le mot est faible. Le film, entrecoupé d’interviews avec les vrais joueurs des Brave Blossoms qui confirment combien ils ont détesté leur entraîneur – du moins jusqu’au « miracle » –, s’ouvre sur l’une des plus célèbres gueulantes de la carrière d’Eddie Jones. C’est en juin 2012, alors que le Japon vient de prendre une raclée (40-21) contre les Barbarians français. Assis à côté du coach, le capitaine de l’époque, Toshiaki Hirose, laisse échapper un rire nerveux en prenant le micro pour répondre aux journalistes. Eddie Jones le fusille du regard et avant qu’Hirose ait pu ouvrir la bouche, laisse exploser sa frustration : « Il y a vraiment rien de drôle ! C’est le problème avec le rugby japonais. Ils sont pas sérieux. Si vous voulez sérieusement gagner il faut rentrer physiquement dans l’adversaire, ce qu’on n’a pas fait aujourd’hui. Je pense que je ne devrais pas rester ici. »


L’an dernier, Jones est revenu sur l’épisode : « C’était totalement imprévu mais c’est sans doute la meilleure chose que j’ai jamais faite. Ca a aidé à changer l’état d’esprit de l’équipe japonaise, qui jusque-là était heureuse "d’essayer" et de perdre. S’ils étaient battus 50-25, tout le monde applaudissait et souriait parce que la défaite était acceptable. »

Entraînement militaire et tuyaux de Pep Guardiola

Derrière le style bravache et gouailleur de l’Australien et les mate (« mec ») balancés à chaque coin de phrase, se cache une capacité redoutable à mettre le doigt sur les problèmes. « La première chose que tu fais quand tu arrives à la tête d’une équipe, c’est de déterminer quelles batailles tu peux gagner et lesquelles tu ne peux pas gagner, détaille le coach. Il est important aussi de voir ce qui est important culturellement. Par exemple, les Japonais détestent le conflit. Nous les Australiens, on est assez directs et j’ai dû changer ça parce qu’au Japon ça n’allait pas marcher. Mais le conflit est important car il engendre la créativité, donc j’ai dû trouver différentes manières de créer des conflits. »

Au Japon, il répète régulièrement à Michael Leitch, le troisième ligne d’origine kiwie qu’il a nommé capitaine, qu’il n’est pas japonais et qu’il ne doit pas essayer de se fondre dans le moule. Il impose aussi à ses joueurs un entraînement militaire pendant des mois avant la Coupe du monde, en leur répétant qu’ils ne seront jamais plus forts que les Springboks, mais qu’au moins ils seront en meilleure forme. « Les entraîneurs sont là pour faire faire aux joueurs ce qu’ils ne veulent pas faire. C’est leur boulot », résume Jones. Il n’hésite pas non plus à demander des tuyaux à Pep Guardiola, dont il dit avoir beaucoup appris : « Au Japon, on avait une petite équipe où il fallait qu’on trouve ou qu’on crée des espaces et j’étais vraiment impressionné par le jeu du Barça, alors je me suis dit, autant aller voir le meilleur coach du monde. »

Eddie Jones célébrée par une supportrice après la victoire du Japon contre l'Afrique du Sud en 2015.
Eddie Jones célébrée par une supportrice après la victoire du Japon contre l'Afrique du Sud en 2015. - Seconds Left/REX Shutte/SIPA

Irlandais « minables » et pays de Galles « de merde »

Débarqué en 2015 à la tête d’un XV de la Rose en jachère, éliminé à domicile au premier tour de la Coupe du monde cette année-là, Eddie Jones a aussi trouvé quelques points communs avec ses expériences chez les Brave Blossoms : « Les Anglais sont les gens les plus polis du monde, ils n’aiment pas avoir des conversations qui mettent les gens mal à l’aise. » La preuve avec le pilier anglais Dan Cole, que 20 Minutes a sondé cette semaine sur les relations avec son coach : « Ce n’est pas toujours facile car il est extrêmement exigeant, il nous pousse beaucoup pour qu’on atteigne différents objectifs et il ne se satisfait pas des réussites passées. Mais si tu veux avoir du succès, c’est indispensable. »

Pousser les joueurs ne lui suffit pas toujours. « Eddie », comme tout le monde l’appelle, est aussi coutumier des déclarations à l’emporte-pièce destinées peut-être à faire monter la pression, comme quand il balance avant le match contre les Etats-Unis que leur équipe sera « comme 15 Donald Trump ». Jones a aussi dû s’excuser l’an dernier d’avoir traité les Irlandais de « minables » et le pays de Galles de pays « de merde ». « Il est cash, il ne fait pas de prisonniers », euphémise l’ancien coach des Wallabies Bob Dwyer. Avec le typhon, le XV de France a peut-être évité le pire.