Tiger Woods a-t-il réussi le plus grand come-back de l’histoire du sport?

GOLF En remportant le Masters d’Augusta onze ans après son triomphe en Grand Chelem, le golfeur le plus célèbre a accompli un exploit dont personne ne le pensait plus capable

Julien Laloye
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Tiger Woods célèbre sa victoire à Augusta avec son caddie, le 14 avril 2019.
Tiger Woods célèbre sa victoire à Augusta avec son caddie, le 14 avril 2019. — Atlanta Journal-Constitution/TNS/SIPA
  • Tiger Woods a remporté son 15e titre du Grand Chelem à Augusta dimanche.
  • L'Américain, ralenti par les blessures et les soucis personnels, n'avait plus remporté de titre majeur depuis 2008.
  • Sa victoire raconte l'un des retours les plus époustouflants de l'histoire du sport.

Qu’on aime le golf et le pull sur les épaules en toute saison où qu’on s’en tamponne le coquillard, le monde n’est plus le même depuis dimanche soir. Vingt-deux ans après avoir retourné la planète en devenant le premier afro-américain à remporter le Masters d’Augusta, là même où le propriétaire des lieux avait un jour asséné que « de son vivant, les joueurs seraient toujours blancs et leurs caddys noirs », Tiger Woods a retrouvé cette veste verte qui lui va si bien au teint. Son 15e titre de Grand Chelem, le premier depuis 2008 et une décennie marquée par une descente dans les abysses de l’enfer inédite pour un sportif de cette trempe.


Cela ressemble au plus grand come-back de tous les temps ? Il est aisé de se laisser gagner par les superlatifs dans l’euphorie de l’évènement, mais à bien se replonger dans les entrailles de Wikipedia, qui peut s’asseoir à la table du Tigre ?

Il y a bien un précédent Michael Jordan, mais franchement, comment le comparer avec Tiger Woods ? MJ avait 30 ans quand il a décidé qu’il en avait marre du jeu, mais il était à son zénith et il est revenu deux ans après comme si de rien n’était. Sa deuxième tentative avec Washington, à 40 ans passés, avait plus ressemblé à une tournée d’adieux qu’autre chose.


Reste la boxe, qui regorge de gens cabossés dans tous les sens du terme. Foreman, champion du monde à 45 ans dix ans après avoir raccroché les gants une première fois, et surtout Mohamed Ali, peut-être le seul à rivaliser avec Woods. Lui aussi exposé aux foudres d’une partie de l’opinion publique (pour avoir refusé de combattre au Vietnam), le mythe devra attendre quatre ans avant de récupérer sa licence et quatre années de plus pour renverser Foreman à Kinschasa. Le défi sportif était immense pour un Ali vieillissant (32 ans) contre un boxeur invincible (Foreman n’avait alors jamais perdu, signant même 37 KO en 40 combats), mais un bémol là encore : le corps d’Ali répondait parfaitement, à la différence de celui du Tigre.


La chute de l’homme

Rappelons quand même d’où revient l’ancien numéro 1 mondial, par une citation, celle de Jeff Benedict, auteur d’une biographie indispensable sur le personnage. Nous l’avions interrogé en septembre pour 20 minutes :

Aucun athlète dans l’histoire n’a subi une telle humiliation publique et un tel harcèlement des tabloïds. La façon dont il a su se relever n’est rien de moins qu’un petit miracle. »

Références à la disgrâce vertigineuse de l’idole, précisément traçable. D’abord l’accident de voiture dans le jardin de sa propriété floridienne, qui déclenche toutes sortes de rumeurs en décembre 2009. C’est en fait le début de la fin de son mariage avec la mère de ses enfants, qui vient de découvrir les multiples infidélités de son mari. Le scandale obligera Woods à battre sa coulpe publiquement dans une confession pleine de repentance comme seule l’Amérique puritaine sait en fabriquer. Le sportif le plus riche du monde, lâché un à un par ses sponsors, intégrera ensuite  un centre de désintoxication sexuelle.


La chute de l’athlète

Miné par ses problèmes personnels, Tiger Woods va toucher le fond physiquement après une dernière victoire arrachée avec un genou en charpie à l’US Open à l’été 2008. Epuisé par des heures et des heures de musculation et de pratique forcenée sur les practices… depuis l’âge de deux ans, le corps du Tigre fuit de partout, au point de lui rendre la vie quotidienne impossible. Et l’intéressé d’avouer après sa victoire de dimanche :

J’ai eu moi-même de sérieux doutes après ce qu’il s’est passé il y a deux ans. Mes enfants ont vu à quel point le golf a endommagé le corps de leur père. Je pouvais alors à peine marcher, même pas m’asseoir ni m’allonger. Mon corps n’est plus ce qu’il était, mais j’ai toujours de bonnes mains. »

C’est après sa quatrième opération, une fusion de vertèbres en 2017, que Woods entrevoit une seconde carrière. Son premier swing filmé, en septembre 2017, tombe quelques heures avant le grand raout « one year to go » de la Ryder Cup à Paris. Les deux capitaines (Bjorn et Furyk) se réjouissent alors de revoir Woods avec un club, mais ils en parlent comme d’un vieux pote qui réapprend à marcher après un grave accident de voiture. On n’insultera personne en disant qu’ils sont peu à croire que l’homme aux 14 Grands Chelems redeviendra réellement compétitif.

La chute de l’épouvantail

Sans doute le plus éblouissant dans cette nouvelle victoire à Augusta. Tiger n’est plus le dominateur bodybuildé de son arrivée sur le Tour, quand il fracassait les fairways avec ses coups de bestiasse affamée, ringardisant une concurrence qui marchait plus au houblon qu’aux haltères. Woods a changé le jeu et la génération suivante a copié son professionnalisme dans la préparation et le choix du matériel. Exemple avec Bruce Koepka, la terreur du circuit (encore 2e hier), et son physique de terminator californien, capable de toucher la Russie depuis le tee n°1 d’Augusta pour peu que le vent souffle un peu fort.

Longtemps imbu de sa personne et dédaigneux avec ses adversaires, Woods connaît désormais la valeur de chaque victoire. Il y a vingt ans, il lui arrivait de claquer un Grand Chelem avec 10 coups d’avance sur le peloton. Dimanche, c’était la première fois qu’il l’emportait sans partir en tête au matin du dernier jour. Les stars actuelles n’ont jamais eu à subir l’emprise de la domination de Woods à son meilleur. Comme les petits jeunots qui tapent Federer ou Nadal à 20 ans, ils ne nourrissent aucun complexe. Enfin, jusqu’à dimanche dernier.

Il aurait pu se passer tellement de choses durant les neuf derniers trous de ce quatrième tour. Il y avait tellement de joueurs qui auraient pu gagner. Il y avait un embouteillage en tête et tout le monde jouait bien. On ne pouvait pas rêver d’un final plus serré, je sais pourquoi je perds mes cheveux (rires) car c’était vraiment dur. Aujourd’hui il y a des gars qui peuvent dunker quand moi j’étais déjà content de toucher l’arceau. »

Prolongement de la réflexion qui s’est déjà emparée de tout ce petit monde, L’homme à la chemise rouge compris : peut-il aller chercher le record absolu de Nicklaus (18 titres) et devenir le plus grand golfeur de tous les temps ? « J’ai tremblé dans mes bottes », a plaisanté le bonhomme devant sa télé. Songez que Woods a déjà 43 ans et que personne n’avait remporté un Grand Chelem si vieux… depuis Nicklaus lui-même à 46 ans, à une époque où le golf était encore un sport dans lequel on pouvait rivaliser jusqu’à 50 berges sans trop se fouler. En 2019 ? Un Bernard Langer, 61 ans, invité à jouer le parcours ce week-end en tant qu’ancien vainqueur, a fini avec une carte de +8, 21 coups de plus que le Maître.

Le record de Nicklaus en ligne de mire

Le Tigre est devenu plus raisonnable et il ne s’inflige plus des séances de torture pour sculpter sa caracasse, mais il convient de se demander si l’armure va tenir. En septembre, le 12e mondial avait traversé la Ryder Cup parisienne comme un vieillard, terrassé par la fatigue après un été passé sur les greens. Lui-même semblait loin du record dimanche : « Battre Nicklaus ? Je ne sais pas si ça l’inquiète. Mais je me doute bien qu’il a regardé ça depuis chez lui. Tout ce que je sais c’est que j’ai une chance immense de joueur encore au golf et de remporter une première fois un Majeur en revenant de l’arrière, c’est juste incroyable. »

Reste l’irrationnel. Ce soutien inconditionnel du public qui pèse forcément sur ses concurrents, forcés de s’arrêter ou de se retourner à chaque clameur célébrant une petite merveille du Tigre. Cette aura du gagneur, ressurgie quasi intacte en Géorgie sur ce trou n°16. Une approche délicieuse, presque aussi belle que son coup signature le plus admiré sur Youtube au même endroit qu’en 2005, et Molinari, le meilleur joueur du week-end, qui finit par exploser comme du pop-corn, rattrapé par le mythe. Content de te revoir, Tiger.