Coupe du monde de rugby: Bière, tatouages et bains thermaux... Comment la ville japonaise d'Oita se prépare à l'afflux de supporters

REPORTAGE La ville d'Oita, dans le sud-ouest du Japon, espère profiter du Mondial 2019 de rugby pour se faire connaître des touristes du monde entier

Mathias Cena
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  • La ville d’Oita, sur l’île de Kyushu, au sud-ouest du Japon, accueillera cinq matchs pendant la Coupe du monde 2019 de rugby.
  • Peu connue des touristes en dehors de l’Asie, la région réputée pour ses sources thermales, les onsen, compte sur l’événement pour attirer des visiteurs du monde entier.
  • Pour satisfaire ce public inhabituel de fans de rugby, les professionnels du tourisme locaux se préparent à « une grosse consommation de bière » et « de nombreux tatouages », tabous au Japon.

De notre envoyé spécial à Oita (Japon),

Oita
Oita - Maps4news

Le slogan s’affiche un peu partout dans les rues : « La Coupe du monde de rugby, ce n’est pas tous les quatre ans, c’est une fois dans une vie ». Oita, sur l’île de Kyushu, au sud-ouest du Japon, est l’une des 12 villes nipponnes choisies pour accueillir l’événement quadriennal de ballon ovale, qui aura lieu cet automne, pour la toute première fois en Asie. Alors que le rugby y est encore bien moins populaire que le baseball ou le football, le petit département d'Oita (qui compte un million d’habitants), y voit une aubaine pour se faire connaître et attirer davantage de touristes, pendant l’événement mais aussi à plus long terme.

Cinq matchs en tout se joueront dans le stade de 40.000 places qui se dresse un peu à l’extérieur de la ville, « le meilleur de l’ouest du pays », assure le gouverneur du département, Katsusada Hirose. Les All-Blacks, les Wallabies, les Gallois et les Fidjiens viendront notamment jouer dans cette enceinte surnommée « Dai Gin Dome » par les gens du coin, qui a déjà accueilli trois matchs de la Coupe du monde de football en 2002. Le XV de France lui-même sera peut-être aussi de la partie, s’il atteint les quarts de finale.

Pour mettre au point les derniers détails du service de sécurité autour du stade, du système de navettes depuis la gare et des fan-zones en ville, où ceux qui n’auront pas obtenu de billet pourront voir les matchs sur écran géant, Oita s’appuie aussi sur la « répétition générale » que lui a offerte le match de rugby entre l’Italie et le Japon accueilli en juin dernier. Une rencontre qui a tourné à l’avantage (34-17) des « Brave Blossoms » nippons. Pour accueillir les touristes, dont beaucoup visiteront l’archipel pour la première fois, 1.500 volontaires ont également été recrutés.

Le stade d'Oita est équipé d'un toit rétractable.
Le stade d'Oita est équipé d'un toit rétractable. - Q.TYBERGHIEN / AFP

Placer Oita sur la carte du monde

Dans le sillage de leurs équipes, ce sont en effet des milliers de supporters qui viendront se loger et se nourrir dans les établissements de la région. Oita, connu notamment pour ses sources thermales, les onsen, est déjà relativement habitué aux voyageurs étrangers : le département se classe à la 14e place sur 47 des destinations japonaises préférées. « Les premiers du classement sont tous près de Tokyo et des grandes agglomérations », note Masuo Abe, responsable de la division tourisme, ce qui fait d’Oita, à près de 1.000 km de la capitale, « l’un des premiers "départements ruraux" » dans ce domaine.

La région ne rayonne pas pour autant dans le monde entier. En 2017, plus de 92 % de ses touristes étaient originaires d’Asie (contre 74 % pour l’ensemble du Japon), dont la moitié de la Corée du Sud voisine – reliée par un vol direct Séoul-Oita –, suivie de Taïwan, Hong Kong et la Chine continentale. L’Europe et l’Amérique du Nord réunies ne « fournissaient », elles, que 2 % du contingent.

Cette « dépendance » à une région en particulier fait notamment craindre que le flux touristique ne soit à la merci des différends politiques et historiques que le Japon entretient avec ses voisins. La Coupe du monde de rugby, qui devrait rapporter 25,3 milliards de yens (200 millions d’euros) au département, est donc aussi l’occasion rêvée pour Oita de se « diversifier », grâce aux supporters qui s’apprêtent à affluer du monde entier. La région tentera de les séduire grâce à la beauté de sa nature et de leur faire découvrir ses gourmandises locales : le wagyu (bœuf japonais) d’Oita copieusement « persillé », d’abondants fruits de mer et poissons, dont un thon d’élevage de qualité supérieure, ses champignons shiitake ou le kabosu, un agrume utilisé dans la cuisine et les boissons. Et pour surmonter la barrière linguistique, beaucoup de restaurants locaux utilisent déjà sur leur menu un système de QR code qui, une fois scanné, affiche la liste des plats en anglais, coréen ou chinois.

Bière et tatouages à profusion

Evénement sportif oblige, une association nationale d’hôteliers a identifié parmi les tendances de cette arrivée massive de fans de rugby une « grosse consommation d’alcool ». « On a eu des retours de la Coupe du monde 2015 en Angleterre et on a été sensibilisés à l’importance des stocks de bière », confirme Shinichi Anan, l’un des responsables de l’organisation. Pour prévenir toute fâcheuse pénurie pendant l’événement, il dit insister sur l’importance de ces préparatifs liquides auprès des brasseurs japonais et des bars et restaurants. Quant aux nombreux établissements qui offrent des formules « boissons à volonté », pratique très courante au Japon, il leur conseille de faire une croix dessus pendant le Mondial, sous peine de voir leurs caves asséchées.

Le même rapport prévoit aussi que beaucoup de ces visiteurs seront tatoués, un tabou au Japon où les peintures corporelles sont bannies de la plupart des établissements de bains, mais aussi des piscines, plages et salles de sport, notamment car elles sont associées au monde du crime organisé japonais, les yakuzas. Les joueurs de rugby ont été sensibilisés à la question et les All Blacks ont déjà annoncé qu’ils couvriraient leurs tatouages quand ils utiliseront les équipements japonais.

Pour attirer un maximum de visiteurs dans ses bains, la ville de Beppu, où sont concentrées 10 % des sources thermales du pays, a de son côté créé une carte qui recense 100 établissements autorisant les gens tatoués à entrer dans leurs eaux. « Même si au Japon les tatouages sont associés aux "groupes antisociaux", on fait bien la différence avec les tatouages décoratifs ou traditionnels des touristes », précise le gouverneur, qui voit là l’occasion d’un « échange culturel ». Le lien entre les cultures du onsen et du rugby existe déjà en tout cas, si l’on en croit cette vidéo réalisée par la ville de Beppu.