campagnePourquoi l’extrême droite est coupée en 2 clans au Parlement européen ?

Européennes 2024 : Bardella ou Maréchal… Pourquoi l’extrême droite est divisée en deux camps au Parlement ?

campagneLe Rassemblement national et Reconquête incarnent la division des partis nationalistes et conservateurs à l’échelle européenne
Marion Maréchal (Reconquête) et Jordan Bardella (Rassemblement national).
Marion Maréchal (Reconquête) et Jordan Bardella (Rassemblement national).  - J.E.E/Alain Robert/SIPA / SIPA
Thibaut Le Gal

Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Les élections européennes auront lieu en juin prochain.
  • Au Parlement européen, la grande famille des partis nationalistes et populistes se divise en deux camps : d’un côté le groupe Identité et Démocratie, de l’autre les Conservateurs.
  • Russie, cordon sanitaire, rivalités nationales… Comment expliquer cette division ?

Une grande famille désunie. A moins de trois mois des élections européennes, la campagne s’intensifie. Et dans le camp « national », deux listes sont en rivalité en France : celle du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, et celle de Reconquête, portée par Marion Maréchal.

Une division dans l’Hexagone qui illustre la fragmentation des partis d’extrême droite au sein du Parlement européen, à travers deux coalitions : Identité et Démocratie (ID, dont Marine Le Pen est la tête de proue) et les Conservateurs et réformistes européens (ECR, portée par Giorgia Meloni). Russie, cordon sanitaire, rivalités nationales… Comment peut-on expliquer cette division ? On vous explique.

1. La raison de fond : le rapport à Poutine

Les liens avec Vladimir Poutine sont l’un des points de crispation majeurs entre les deux groupes. « La Russie est un point de clivage fondamental, avec d’un côté un camp historiquement pro-russe, dont le RN, et de l’autre un groupe qui rassemble des pays d’Europe centrale et orientale, juge Olivier Costa, chercheur du CNRS au Cevipof. C’est un point important car le Parlement européen est amené à voter des textes sur ce sujet. Le RN, par exemple, a toujours refusé de voter les condamnations de l’attaque en Ukraine ou les sanctions économiques », ajoute le spécialiste des affaires européennes.

« On ne peut pas demander à un parti letton ou polonais d’être pro-russe. Il y a environ 30 eurodéputés chez ECR qui, par leur géographie même [proche de la Russie], sont sur une ligne dure face au régime de Poutine », abonde Jean-Yves Camus, politologue spécialiste des extrêmes droites en Europe. Ce clivage s’illustre également au sein d’un même pays, comme en Italie. La Première ministre Giorgia Meloni, dont les troupes siègent à ECR, soutient fermement l’Ukraine, contrairement à son rival Matteo Salvini (allié du RN).

2. La raison stratégique : le « cordon sanitaire »

Si en France, les troupes de Marine Le Pen poursuivent leur « normalisation », en décrochant notamment des postes de vice-présidences de l’Assemblée nationale, l’affaire est tout autre à Strasbourg. « Il y a une raison historique : l’arrivée des députés d’extrême droite au Parlement européen, en 1984, a fait figure d’électrochoc. Un cordon sanitaire s’est mis en place autour du FN et ses alliés d’ID. Il est encore en vigueur aujourd’hui, pour l’empêcher d’obtenir des postes clés dans les institutions », assure Olivier Costa.

Ce cordon sanitaire explique en partie pourquoi certains partis d’ECR refusent de créer un grand ensemble avec ceux d’ID. « Un bon nombre de partis européens à la droite de la droite refusent d’être associés au RN, perçu comme infréquentable », poursuit le spécialiste.

3. La raison historique : le rapport à la droite

Cette notion de « cordon sanitaire » n’est pas étrangère non plus au rapport entretenu avec la droite classique. Le groupe des conservateurs est d’ailleurs au départ issu d’une scission du PPE (groupes des droites) au Parlement européen des troupes britanniques de David Cameron.

« ECR est nettement plus hétérogène. Ses partis ont participé, participent ou soutiennent des gouvernements au pouvoir en Europe, comme les Démocrates de Suède, le parti Droit et justice (PiS) qui était au pouvoir en Pologne, Meloni en Italie mais aussi en Lettonie et en République tchèque… », énumère Jean-Yves Camus. « Quand vous participez à des coalitions nationales avec la droite ou le centre-droit, ça facilite évidemment les échanges avec le PPE au Parlement », ajoute-t-il.

Le week-end dernier, Marine Le Pen s’est d’ailleurs adressée dans une vidéo à la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, pour savoir si elle soutiendrait ces prochains mois la candidature d’Ursula von der Leyen pour un second mandat à la tête de la Commission européenne. L’ancienne ministre d’Angela Merkel (membre du PPE) est l’une des cibles favorites du RN et de ses alliés.

4. La raison inavouée : les rivalités personnelles

Les rivalités nationales ont bien entendu un impact sur la scène européenne. On imagine mal les élus du RN siéger avec ceux de Reconquête (dont des ex-RN) au Parlement européen, alors que Marine Le Pen et Eric Zemmour se livrent une guerre fratricide depuis la dernière présidentielle. Même constat en Italie, où Giorgia Meloni et Mattéo Salvini sont en rivalité pour incarner le leadership de la droite italienne (malgré leur coalition gouvernementale). « Les logiques internes sont parfois très importantes, d’autant que le scrutin européen à la proportionnelle permet d’évaluer les forces en présence », résume Olivier Costa.

5. La raison pragmatique : l’union pas si essentielle

Une dernière raison, plus pragmatique, peut expliquer cette fracture de l’extrême droite au Parlement européen. « La logique de différenciation est rendue possible par la manière dont fonctionne le Parlement européen. Un groupe permet d’avoir du temps de parole, des collaborateurs, un budget propres, assure Jean-Yves Camus. L’unité n’est donc pas forcément utile. Il peut être préférable de voter ensemble sans être dilué dans un grand groupe », dit-il.

La grande « famille » a d’ailleurs le même objectif pour le scrutin de juin : entrer suffisamment en force au Parlement pour infléchir la politique de l’Union européenne, notamment sur le plan migratoire.

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