Coronavirus : « Ça me permet de me sentir moins seul »… Les « corona vlogs » ou comment tuer l’ennui pendant le confinement

RESEAUX SOCIAUX Contraints de rester à domicile à cause de la pandémie de coronavirus, de nombreux internautes ont décidé de tenir un journal de confinement sur YouTube ou Instagram

Hakima Bounemoura
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Le vlog de l'internaute Seb Jam posté sur YouTube.
Le vlog de l'internaute Seb Jam posté sur YouTube. — Capture d'écran YouTube
  • Depuis le début du confinement, de nombreux internautes documentent leur vie à la maison sur YouTube ou Instagram pour s’occuper. Ils rassemblent leurs vidéos sous le nom de « corona vlog » ou « quarantaine vlog ».
  • « Je fais ces vidéos pour partager avec mes proches les moments marquants de ma journée, pour qu’ils se sentent moins seuls et pour me sentir moi un peu plus proche d’eux pendant cette longue période d’isolement », explique l’internaute Seb Jam.
  • « En ces temps de confinement, se filmer au quotidien apparaît comme un enjeu existentiel (…) Faire un vlog va tout simplement permettre à certains de se sentir exister », analyse Michael Stora, psychologue et psychanaliste spécialisé dans le monde numérique.

« Je vais vous donner mes petits conseils modestes pour ne pas s’ennuyer… » Depuis le début du confinement, Seb Jam a décidé d’alimenter sa petite chaîne YouTube avec un journal de bord de sa vie quotidienne en confinement. « Je me suis dit qu’il fallait essayer de trouver quelque chose dans ma journée que je pourrais partager avec les gens, au moins une chose, et essayer de profiter de cette période pour être un peu créatif », explique le quadragénaire, responsable de la maintenance des bâtiments dans un établissement culturel parisien.



Depuis plusieurs jours, à l’image de Seb Jam, de très nombreux internautes documentent leur vie à la maison sur YouTube pour s’occuper, à mesure que le pays se barricade et met la vie de ses citoyens sous cloche. Contraints de rester à domicile à cause du coronavirus, de nombreux youtubeurs « du dimanche » ont donc décidé de vaincre l’ennui en postant des contenus « faits maison » sur la célèbre plateforme. Nombre d’entre eux recensent leurs vidéos sous le nom de « corona vlog » ou « quarantaine vlog », les « vlogs » (contraction de « vidéo » et de « blog ») étant des formats très populaires sur YouTube et Instagram où se mêlent en général récits de vie quotidienne et expériences à domicile.


« C’est pour que mes proches se sentent moins seuls »

Ces contenus ont littéralement explosé depuis le début du confinement. Car faire un vlog, c’est relativement simple. « Ça nécessite peu de moyens, c’est facile à réaliser depuis sa chambre ou depuis son salon », explique Aline, une lycéenne qui a lancé il y a quelques jours une chaîne YouTube « pour tenter de rester un peu en contact avec le monde extérieur » depuis la fermeture de tous les établissements scolaires. Elle y explique notamment comment elle s’organise pour suivre les cours à distance et donne aussi quelques astuces pour ne pas trop déprimer. « Je voulais faire ça pour m’occuper. Parfois je ne sais même pas ce que je vais raconter, mais c’est mon petit rituel de la journée… »

La grande majorité de ces « corona vlogueurs » ne sont ni des célébrités, ni des influenceurs. Certaines vidéos ne réalisent que quelques centaines de vues, et certains comptes ne sont suivis que par quelques dizaines d’abonnés… C’est le cas de la chaîne YouTube créée par Seb Jam. « Je fais ces vidéos pour garder un souvenir vidéo de ce moment historique, pour partager avec mes proches les moments marquants de ma journée, pour qu’ils se sentent moins seuls et pour me sentir un peu plus proche d’eux pendant cette longue période d’isolement », explique-t-il. « Ça permet aussi de rire d’une situation dramatique, en riant du confinement on se dit que ce n’est pas si grave, ça dédramatise, ça permet de faire baisser la tension, de penser à autre chose que la litanie des morts que nous sert chaque soir Jérôme Salomon [directeur général de la santé] à 19h30… »

« Se filmer au quotidien peut apparaître comme un enjeu existentiel »

Raconter ses états d’âme, détailler son emploi du temps, les petits plats qu’on va se préparer ou les séries qu’on va binge-watcher ne représentent, en soi, que peu d’intérêt pour ceux qui sont de l’autre côté de l’écran. Alors pourquoi ressentir le besoin de parler de soi et de montrer aux autres son quotidien ? « C’est bien évidemment une manière de se sentir moins isolé. Mais, au fond, ça rejoint l’évolution et l’importance qu’on attribue au statut de l’image dans notre société», analyse Michael Stora, psychologue spécialisé dans le monde numérique. « L’image n’est pas qu’une représentation esthétique, ni une apparence, c’est bien plus. Se filmer au quotidien apparaît comme un enjeu existentiel, d’autant plus avec l’idée de partage véhiculée  par les réseaux sociaux». Avec le confinement, « de nombreuses personnes qui vivent seules traversent probablement une crise existentielle, et le vlog va tout simplement leur permettre de se sentir exister ».

Pour certains, c’est aussi une manière de dédramatiser la situation. « La vidéo va permettre de venir colmater des angoisses profondes. Car avec le confinement, on est tous plus ou moins renvoyé, parfois de manière assez violente, à notre propre histoire. Et les autres, ceux qui nous regardent, apparaissent en quelque sorte comme des présences fantomatiques qui viennent nous rassurer, comme une mère réconforte son enfant », ajoute le psychologue et psychanalyste.


Il n’y a pas que dans l’Hexagone qu’on note une recrudescence du nombre d’apprentis « vlogueurs ». Etudiante espagnole en biologie, Little Dreamer alimente elle aussi chaque jour sa chaîne YouTube pour partager sa vie en quarantaine. Un petit rituel qu’elle a instauré depuis qu’elle est recluse et qui lui procure « de la sérénité ». Aux Etats-Unis, les « corona vlogs » sont aussi très nombreux, et parfois très suivis, notamment ceux qui prodiguent des conseils pour aider à surmonter le confinement avec des enfants. «  Les réseaux sociaux aident aujourd’hui beaucoup de personnes dans leur quotidien à vivre cette période de confinement. Ils nous permettent finalement à tous de garder le contact et donc d’être "seuls ensemble" », conclut le psychologue Michael Stora.