«Cette plainte n'a aucun précédent judiciaire»... Un journaliste attaque en justice Richard Ferrand pour l’avoir bloqué sur Twitter
RESEAUX SOCIAUX Un homme politique peut-il bloquer l'accès à son compte Twitter à un journaliste ? La justice va devoir se pencher sur la question...
- Bloqué sur Twitter par Richard Ferrand, Guillaume Tatu, journaliste indépendant, a déposé plainte ce vendredi pour « discrimination ».
- Une première qui soulève certaines questions, dont 20 Minutes tente de faire le tour.
- «Si dans trois mois, rien n’est fait, nous déposerons une nouvelle plainte avec constitution de partie civile», indique à 20 Minutes l'avocat du journaliste.
Il dénonce « une restriction à sa liberté d’être informé » et « une discrimination fondée sur des opinions politiques ». Bloqué sur le réseau social Twitter par Richard Ferrand depuis septembre 2018, un journaliste indépendant, proche de La France insoumise, a déposé plainte ce vendredi auprès du procureur de la République de Paris pour « discrimination » contre le président de l’Assemblée nationale.
Guillaume Tatu, qui possède une carte de presse, affirme avoir été bloqué sur le réseau social après avoir relayé des articles de presse évoquant l’affaire des « Mutuelles de Bretagne ». Il explique dans sa plainte, que 20 Minutes a pu consulter, qu’« il en va de la liberté d’expression », considérant ce blocage « comme une restriction à sa liberté d’être informé et de pouvoir informer le plus grand nombre », le compte Twitter du président de l’Assemblée nationale représentant selon lui « un profil d’intérêt général ». 20 Minutes fait le point sur les principales interrogations que suscite cette affaire en interrogeant l’avocat du journaliste, Me Arash Derambarsh.
Une personnalité politique peut-elle bloquer son compte Twitter à un journaliste ?
Il n’y a pas de précédent en France pour ce genre de plainte. La justice française va donc devoir se pencher sur la question pour la première fois. « Nous posons une simple question de droit : Est-ce qu’une personne publique possédant un pouvoir politique, qui utilise Twitter comme un média à temps plein, peut empêcher un citoyen, et surtout un journaliste, d’accéder à son compte ? », explique à 20 Minutes Me Arash Derambarsh.
« Chacun est bien sûr libre de bloquer qui il veut sur Twitter. Mais là, nous ne parlons pas d’un citoyen lambda qui peut bloquer n’importe qui sur les réseaux sociaux. Nous parlons du 4e personnage de l’État, un haut responsable de l’exécutif français, un proche du président Macron, qui compte plus de 56.000 abonnés sur Twitter », ajoute l’avocat parisien, qui considère donc qu’il s’agit d’une infraction pénale.
Cette plainte a-t-elle des chances d’aboutir ?
« J’ai bien conscience que nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Le procureur de la République en charge de l’affaire va probablement recevoir des pressions (…) J’envoie donc un message à la garde des Sceaux [Nicole Belloubet] pour qu’elle n’entrave pas le travail de la justice », déclare l’avocat du journaliste qui en appelle donc à « la sérénité » et à « l’indépendance de la justice » sur ce dossier.
« Si, dans trois mois, rien n’est fait et que la plainte n’aboutit pas, nous déposerons, comme la loi nous y autorise, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Cette question de droit sera tranchée, on ira jusqu’au bout et je m’y engage. Ce n’est pas de l’orgueil, mais une question de droit essentielle au bon fonctionnement de notre démocratie ».
Pourrait-on avoir d’autres plaintes du même genre à l’avenir ?
De plus en plus d’élus, de tous bords, ont tendance ces derniers temps à bloquer leurs opposants sur les réseaux sociaux. « Mon client n’est pas le seul dans ce cas. D’autres journalistes ou certaines organisations syndicales comme la CGT ont également été bloqués par le président de l’Assemblée nationale », précise Me Derambarsh.
« A la suite de l’annonce du dépôt de plainte de mon client, j’ai reçu près de un millier de retours de personnes qui m’ont dit, elles aussi, avoir été bloquées sur Twitter par Richard Ferrand. Et parmi ces personnes, il y avait une dizaine de journalistes », ajoute l’avocat, qui n’exclut donc pas une plainte groupée.
Y a-t-il eu un précédent ?
La question s’est récemment posée aux Etats-Unis. En mai dernier, sept citoyens américains ont déposé plainte contre le président Donald Trump, qui les avait bloqués sur le réseau social Twitter. La Cour fédérale avait alors considéré que le locataire de la Maison-Blanche n’était pas en mesure de les empêcher de le suivre, au nom de la liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constitution américaine.
« Le président présente le compte @realDonaldTrump comme un compte présidentiel par opposition à un compte personnel, et plus important encore, utilise le compte pour prendre des mesures qui ne peuvent être prises que par le président, en tant que président », avait déclaré la justice américaine en mai dernier.