France-Namibie : 96 points d’écart dans un match de Coupe du monde, est-ce bien sérieux ?

rugby Le XV de France a écrabouillé la Namibie jeudi soir, dans le genre de match à sens unique que l’on retrouve (trop) souvent dans cette compétition

Nicolas Camus
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Jonathan Danty tout sourire après avoir inscrit son deuxième essai lors de la victoire de la France contre la Namibie à Marseille, le 21 septembre 2023.
Jonathan Danty tout sourire après avoir inscrit son deuxième essai lors de la victoire de la France contre la Namibie à Marseille, le 21 septembre 2023. — AFP
  • Le XV de France a laminé la Namibie (96-0) jeudi soir lors de son troisième match dans cette Coupe du monde.
  • Une véritable raclée, la plus grosse que les Bleus aient jamais infligée, qui fait plaisir aux supporters et aux joueurs mais qui interroge également sur la différence de niveau entre certaines équipes dans la compétition.
  • Les Namibiens, comme les Roumains ou les Uruguayens, aimeraient avoir la chance de jouer plus souvent contre les meilleures nations afin de mieux rivaliser quand elles arrivent en Coupe du monde.

De notre envoyé spécial à Marseille,

L’appel du pied était trop évident, il fallait bien que le retour de karma soit violent. En écrivant le matin du match que la France ne collait jamais de raclées aux petites nations, on se doutait que cette rencontre face à la Namibie se transformerait évidemment en boucherie – c’était écrit dans la chute du papier, pour notre défense. Ça n’a pas manqué, donc. 96-0, 14 essais marqués, les Bleus ont éparpillé leur adversaire comme jamais encore dans leur histoire.

Les joueurs ont « pris du plaisir », bien sûr, comme ils l’ont tous dit en zone mixte après la rencontre. Ils avaient besoin de sang, après avoir joué à l’envers le match précédent face à l’Uruguay. Mais tout de même. En regardant un peu plus loin que le bout de notre nez, est-ce qu’on peut vraiment se réjouir d’une telle démonstration ? On ne dit pas que les Bleus auraient dû lever le pied, ils sont là pour faire le meilleur match possible et on aurait été les premiers à les critiquer si ça n’avait pas été le cas. Il s’agit plutôt d’une réflexion générale sur le rugby, qui offre tous les quatre ans des oppositions entre deux équipes qui ne font pas le même sport dans la compétition qui est pourtant censée le valoriser aux yeux du monde entier.

Avant de prendre 96 points dans les dents au Vélodrome, les Namibiens en avaient encaissé 71 face à la Nouvelle-Zélande, la semaine dernière. « Ça fait très mal, il y a un peu d’humiliation. Les joueurs souffrent vraiment ce soir [jeudi] », reconnaît le sélectionneur Allister Coetzee, la mine défaite. Dans la poule B, les Roumains (pas vernis non plus par le tirage) ont quant à eux mangé 82 points puis 76 face à l’Irlande et l’Afrique du Sud. Ce n’est pas la faute de ces nations. Les équipes du troisième tiers ne rencontrent les toutes meilleures qu’une fois tous les quatre ans.

Adversité

Hors Coupe du monde, entre les calendriers serrés en championnat et les compétitions internationales bien établies déjà au programme (Tournoi des VI Nations, Tri-Nations notamment), il est impossible pour elles d’y avoir accès. Pour prendre l’exemple de la Namibie, elle n’a joué ces douze derniers mois que l’Espagne, le Canada, l’Uruguay et le Chili. Soit des équipes au-delà du top 20 mondial, comme elle. Pareil pour la Roumanie, même si elle profite de sa proximité avec l’Italie pour se tester quand c’est possible contre une adversité supérieure. D’où le cri du cœur du sélectionneur Eugen Apjok après la correction infligée par les Sud-Africains :

Il faut jouer contre plus de grandes nations. Cela fait la différence physiquement, en matière d’intensité et de vitesse. Les nations de catégorie inférieure ont besoin de plus de confrontations avec les meilleures sélections. Ce serait bien d’avoir au moins un match par an contre elles pour progresser. »

Ce discours, on l’a entendu chez tous les entraîneurs concernés. L’adjoint de l’Uruguay le rappelait avant le match contre les Bleus, quand on lui demandait si la présence de son équipe et de celle du Chili constituaient un espoir pour les autres nations sud-américaines. « On est prêt à jouer à ce haut niveau, mais pour ça on a besoin de plus de compétitions, de plus de place, revendiquait Guzmán Barreiro. Si on n’a pas d’avantage de compétitions contre des adversaires de haut niveau, on ne va pas progresser. »

« Un privilège de jouer dans un tel stade, contre les Français, en France »

En ligne de mire, World Rugby, bien sûr. La Fédération internationale ne cesse d’appeler à l’ouverture, tout en ne donnant pas les moyens aux plus petits de rivaliser. Elle ne va pas non plus inventer des clubs de rugby là où il n’y en a pas, mais pourquoi ne pas imaginer une organisation où, à partir du moment où l’on connaît toutes les équipes qualifiées, celles de rang inférieur puissent accéder à des entraînements avec les meilleures. Ou alors des entraîneurs pourraient se rendre là-bas pendant quelques mois pour faire monter le niveau. Enfin bref, il y a sûrement des gens payés pour trouver des solutions.

Car si on peut se trouver parfois gênés devant le spectacle de ces matchs à sens unique, il faut aussi prendre conscience de ce qu’ils représentent pour les nations dont on parle. Jeudi soir, pas un joueur namibien ne s’est plaint. Au contraire. « C’était un grand privilège de jouer dans un tel stade, contre les Français, en France », a insisté le tout jeune Oela Blaauw (21 ans). Le demi de mêlée Jacques Theron, lui, arrive à peine à réaliser qu’il a affronté ce qui se fait de mieux au monde à son poste. « C’était une expérience incroyable et un souvenir mémorable que je vais pouvoir raconter pendant des années », a-t-il dit en souriant, seulement déçu de la blessure d’Antoine Dupont et du fait qu’il n’a pas pu échanger son maillot avec lui.

Les Namibiens profitent des applaudissements du public du stade Vélodrome.
Les Namibiens profitent des applaudissements du public du stade Vélodrome. - AFP

Ces joueurs se prennent des claques monumentales et ne bronchent pas. Ils demandent simplement un peu plus d’équité et de vraies chances de s’améliorer. Leur abnégation a en tout cas été saluée par le Vélodrome, qui leur a réservé un bel hommage quand ils ont fait le tour du terrain après le coup de sifflet final.

« On ne peut pas dire que ça manquait d’adversité, a défendu de son côté Gaël Fickou. Les mecs étaient valeureux, ils se sont envoyés jusqu’au bout. Après c’est sûr que quand on réussissait à être dans l’avancée, c’était très dur pour eux. » Allez, les Namibiens ont passé le plus dur. Reste leur plus grand défi, celui de battre l’Uruguay la semaine prochaine et décrocher la première victoire de leur histoire en Coupe du monde. Les 96 points français seront vite oubliés s’ils y parviennent.