Atlético de Madrid - Manchester City : Entre 5-5-0 et grinta, le « cholismo » de Diego Simeone a-t-il encore un avenir ?

FOOTBALL Diego Simeone et l'Atlético de Madrid sont sortis vivants du quart de finale aller de Ligue des champions chez Manchester City au prix d'un refus total de jouer au football et d'une solidité, il faut l'admettre, redoutable

William Pereira
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Cholo
Cholo — Javier Garcia/Shutterstock/SIPA
  • L'Atlético de Madrid reçoit Manchester City en quarts de finale retour de Ligue des champions
  • Les Colchoneros ont perdu 1-0 en Angleterre en restant fidèles à leur football hyper défensif
  • Un modèle désuet mais pas contesté en interne, tant que les résultats suivent

Qu’est-ce que le Cholismo ? A l’heure de fêter ses 15 ans en tant qu’entraîneur, en 2021, Diego Simeone était lui-même incapable de définir le dérivé de son surnom, Cholo. « Comme je n’ai pas inventé ce mot, je n’en ai pas la définition », s’excusait presque l’Argentin. Il faut traîner sur le site d’un dictionnaire collaboratif espagnol pour voir des gens se risquer à définir le concept, qui serait une culture de l’instant appliquée au football. « Il s’agit de prendre match après match sans penser au passé ou au futur, qui sont des distractions improductives sur un plan psychologique », peut-on lire, entre autres.

Difficile de se contenter d’une définition à mi-chemin entre le poncif footeux et le compte insta spécialisé dans le développement personnel et les phrases à la con. On lui préférera donc celle de Tomas Roncero, rédacteur en chef de la section Real Madrid du quotidien As, pleine de mauvaise foi : « Le cholismo, c’est une année sans gagner de C1, puis une autre ». On voit mal comment cette année pourrait déroger à la règle.

Avec le 5-5-0, le cholismo est-il allé trop loin ?

Mais n’oublions jamais que Simeone était à un Sergio Ramos d’offrir une Ligue des champions aux Colchoneros, lesquels se contentent bien des deux Ligues Europa et Liga remportées sous son commandement. Des succès sur lesquels Cholo base sa légitimité à transformer son équipe en prison sous haute surveillance, comme ce fut le cas à l’aller contre City. Pour ceux qui avaient mieux à faire que s’endormir devant le match le plus chiant de la décennie (déjà, oui), il faut se référer à Kevin De Bruyne, seul buteur. « Pour la première fois, j’ai vu une équipe jouer en 5-5-0 ». Avec une question sous-jacente : le cholismo est-il allé trop loin ?

Je conçois l’idée de ne faire que défendre, mais dans tous les plans défensifs il y a forcément un moment où t’essayes d’attaquer, tu ne défends pas à 100 %, commente Christophe Kuchly, co-auteur de  "Comment gagner un match de foot ?". Là, il n’y avait personne devant, aucun joueur que tu peux rechercher et sur lequel s’appuyer pour remonter le ballon. »

La scène qui résume tout

Premières minutes de jeu, João Félix presse, récupère un ballon et se retrouve complètement isolé dans le rond central. Il n’a d’autre choix que d’avancer balle au pied jusqu’à se faire prendre en sandwich par trois ou quatre défenseurs. Game over, retour à l’envoyeur.

L’Atlético contre City

0 tir, 0 tir cadré (logique), -492 xG

29 % de possession

Le 5-5-0 dans des contextes divers et variés

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Pas beau à voir, mais efficace

Pour autant, sans ce but de Kevin de Bruyne, Simeone aurait eu raison dans son approche. Carmen Calvo, journaliste et fan historique de l’Atlético de Madrid, le pense. « En tant que supportrice et malgré le but encaissé, j’ai vécu un match très tranquille, car en réalité, il y a eu très peu d’occasions de City. On était loin du match contre le Bayern (défaite 4-0 en 2020) où je fermais les yeux à chaque fois que les Allemands s’approchaient de nos cages. Là, on est encore en vie, il y a un peu d’espoir et c’est ce qui comptait avant le match retour. »

Kuchly concède également à Simeone d’avoir réussi à emmerder Guardiola en réduisant son jeu de possession à une caricature de handball. Et les joueurs, dans tout ça ? Qu’en disent-ils ? Thomas Lemar :

Peut-être que ce n’est pas beau à voir, mais c’est efficace. C’est une équipe bagarreuse, qui est là sur chaque ballon, qui ne veut pas perdre, en match ou à l’entraînement… C’est ce qu’il veut nous transmettre, de ne pas nous reposer sur nos lauriers. »

Reconnaissons effectivement au Cholo d’avoir réussi à donner à ses joueurs le goût démesuré de l’effort collectif, voire de l’athlétisme sur gazon. A son arrivée à Madrid en provenance de la Real Sociedad, Antoine Griezmann était un ailier/attaquant explosif tourné vers le but. Aujourd’hui, c’est presque un milieu défensif et, pire que tout, ça lui plait. Calvo : « Simeone leur fait croire à cette notion de groupe solide, solidaire. Si un défenseur central peut marquer, pourquoi un attaquant ne pourrait pas défendre ? Il y a cette idée qui veut que tout le monde doit se soutenir. »

L’exemple Félix

Illustration par l’exemple avec João Félix, longtemps en retrait et même sur le banc avant d’émerger cette saison dans le collectif, et dont Yannick Carrasco expliquait l’évolution quelques semaines auparavant : « Il faut penser à l’équipe, ne pas penser qu’à soi. Et João l’a compris cette saison. Il a travaillé dur, il a compris que le groupe était plus important que son propre nom. » De toute façon, l’Argentin ne laisse pas le choix. C’est l’assimilation, ou l’expulsion. Toute ressemblance avec le programme d’un candidat éliminé au premier tour de la présidentielle est fortuite.

Simeone a créé avec ses joueurs des normes de comportement, détaille Domingo Cisma, ancien colchonero. Ceux qui ne rentrent pas dedans ne réussissent pas à l’Atlético, comme on l’a vu avec certains grands joueurs. »

Combien de temps peut encore survivre le cholismo ? L’idée de jeu est en soi un anachronisme et une anomalie géographique : elle appartient à l’Italie des années 60 à 90, et n’a donc plus lieu d’être en 2022. Mais le peuple colchonero est prêt à voir son chauffeur de bus claquer ses meilleurs créneaux devant la cage tant que les résultats suivront. « J’ai connu une série de 14 années sans battre le Real Madrid, dit la journaliste espagnole. Bien sûr que j’aimerais voir mon équipe attaquer un peu plus. Mais tant qu’on gagne, ça me va. »

De toute façon, Simeone n’a pas prévu de changer son fusil d’épaule, pas même mené d’un but avant le match retour contre City. « On ne va pas beaucoup s’éloigner de ce que l’on fait d’habitude. J’espère que l’on réussira à mieux combiner entre nous, avoir des transitions plus rapides, avoir des contre-attaques. Sur un match, tout peut arriver. » Même voir l’Atlético frapper au but.