Quand la Coupe du monde sort un quartier du ghetto
FOOT A Port-Elizabeth, Parliament Street a changé de visage grâce à l'organisation de la compétition...
De notre envoyé spécial à Port-Elizabeth (Afrique du sud),
Lorsqu'elle fixe son trottoir, sur le palier de sa librairie, June revoit de vilaines images. Des tessons de bouteilles, des détritus et d'autres choses encore plus sales. «Les gens les balançaient de leur fenêtre parfois. Et ça tombait juste là. Il fallait soi-même faire le ménage...» Cela fait dix-sept ans que cette grand-mère afrikaner s'est installée sur Parliament Street, une ancienne rue malfamée de Port-Elizabeth où elle peut aujourd'hui se promener sans raser les murs. Sa bombe lacrymo reste planquée dans un tiroir du bureau, mais en quelques mois, son quartier a changé de visage. Avec la Coupe du monde, les autorités locales ont rénové cette rue, autrefois infréquentable.
«C'était très dangereux ici, se souvient Wonda, un étudiant en sociologie. Dans les night clubs, il y avait les prostituées et les dealers nigérians. C'était un endroit glauque. Maintenant, il faut encore se méfier la nuit. Quand le soleil brille, tout va bien, mais après, on ne sait jamais ce qui peut arriver.» En réalité, les boîtes de nuit sont toujours là. Elles sont justes bien mieux surveillées. Sur Parliament Street, des caméras ont été installées et les rondes de police sont incessantes. «A 4h du matin, la police dégage tout le monde ici pour que ce soit sûr la journée, poursuit Wonda. Maintenant, les policiers tirent beaucoup plus facilement pour tuer les voyous. Oui, il les tuent.»
Personne ne peut se plaindre d'insécurité dans ce quartier boosté par l'effet Mondial. C'est d'ailleurs là que l'une des «fan zone» de la ville a été installée. Les jours de matchs, les supporters sans ticket s'y retrouvent pour boire et chanter, au pied d'un écran géant. «C'est très animé», se réjouit Dave, qui tient une laverie dans la nouvelle rue branchée de la ville. «Regardez, juste avant la compétition, ils ont refait les trottoirs et la route.»
Dans la rue, certains immeubles ont aussi été rénovés. Ils abritent une classe moyenne noire, en plein essor dans le pays. Dans les discothèques, ce sont leurs enfants qui s'amusent à la tombée de la nuit. «Aujourd'hui, les jeunes filles ne sont plus en pantalon comme avant, décrit June, la libraire. Elles ont des jupes, des cheveux longs et elles se saoulent!» Parfois même avec des blancs. A Port-Elizabeth, la mixité raciale est un fait nouveau. Jusqu'à présent, la ville était répartie en quartiers, où on ne s'aventurait qu'en fonction de sa couleur de peau.
L'exemple de Parliament Street peut-il s'étendre à d'autres quartiers? Ici, beaucoup en doutent. Une fois le barnum de la Coupe du monde évacué, il n'est pas certain que l'endroit conserve sa tranquillité. «Ce que je crains, c'est que la police ne soit pas aussi présente», soupire June qui n'a jamais autant apprécié le football. Au cas où, la bombe lacrymogène est toujours en bonne place dans le bureau.