Retraite de Federer (4/5) : Comment Rodgeur a complètement renversé le rapport de force avec Nadal

tennis Martyrisé par l’Espagnol pendant une bonne décennie, Federer a fini par trouver la clé pour inverser la tendance sur la fin de sa carrière

Nicolas Camus
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Roger Federer et Rafael Nadal à la fin de leur dernier affrontement, en demi-finale de Wimbledon le 12 juillet 2019.
Roger Federer et Rafael Nadal à la fin de leur dernier affrontement, en demi-finale de Wimbledon le 12 juillet 2019. — AFP
  • Roger Federer a annoncé la semaine passée qu’il prendrait sa retraite après la Laver Cup, qui se déroule le week-end prochain.
  • Joueur immensément talentueux, élégant, au palmarès hors-norme, le Suisse a marqué toute une génération depuis ses débuts, il y a près de 25 ans.
  • « 20 Minutes » lui consacre une série d’articles cette semaine avant l’ultime révérence, peut-être en double aux côtés de Rafael Nadal, son grand rival qui l’a longtemps malmené avant qu’il ne trouve la clé du succès.

Il est de ces événements inéluctables auxquels on refuse de se préparer. Trop douloureux. L’annonce de la retraite de Roger Federer en fait incontestablement partie. Personne ne voulait imaginer à quoi ressemblerait le tennis sans le Suisse. Mais il faut désormais se rendre à l’évidence. Le Suisse a fini par dire stop, après 20 titres du Grand Chelem en presque 25 ans de carrière. Avant les derniers coups de raquette du maître, à partir de vendredi lors de la Laver Cup, 20 Minutes consacre une série d’articles à celui qui restera une légende du jeu. Quatrième et avant-dernier épisode ce jeudi, sur la manière dont Federer a totalement renversé le rapport de force avec Nadal sur les dernières années de sa carrière.

Au crépuscule d’une carrière, les chiffres ont leur importance. Roger Federer ne dira pas le contraire, du haut de ses 103 titres sur le circuit ATP, dont 20 tournois du Grand Chelem, et de ses quelque 1.300 victoires. C’est ainsi que dans la rivalité qui l’a opposé à Rafael Nadal, le Suisse restera en revanche perdant. L’Espagnol est le grand vainqueur (24-16) de ce duel disputé en 40 rounds, étalés entre 2004 et 2019. Toutefois, et c’est ça la beauté du sport, les chiffres ne suffisent pas non plus à raconter une histoire, surtout quand elle s’écrit à ces hauteurs.

Sur les dernières années, Rodgeur a complètement renversé le rapport de force, après s’être fait martyriser pendant une décennie. Fin 2014, le Majorquin menait 23-10 dans ce qu’on a vite appelé les « Fedal », dont un outrageant 15-4 sur la période 2008-2014, démarrée avec la défaite la plus douloureuse de la carrière de Sa Majesté, dans son jardin de Wimbledon, théâtre d’un des plus beaux matchs de l’histoire. Ensuite ? Le Suisse ne perdra plus qu’une fois en huit affrontements. A Roland, évidemment.



Quand on l’attaque, l’Empire contre-attaque

Ces bases statistiques posées, passons à ce qui nous intéresse. COMMENT ? Car quiconque a fait un peu de sport dans sa vie connaît ce sentiment d’impuissance face à un adversaire qui a le don de nous pourrir la vie. Et sait qu’on n’y met pas fin en un claquement de doigts. Partons déjà de la manière dont Nadal s’y prenait pour laminer Federer. Pas besoin d’aller bien loin, l’Espagnol la résumait lui-même dans son autobiographie, « Rafa », sortie en 2012 :

Avec Federer, la seule chose à faire est de ne pas lâcher son revers, l’obliger à frapper la balle haut, la raquette à hauteur du cou, le mettre sous pression, le miner, chercher ainsi la faille et miner son moral. »

Autrement dit, le gaucher Rafa se servait de son immense lift en coup droit pour pilonner sur la diagonale le revers du droitier Roger, qui avait bien du mal à gérer la hauteur du rebond et l’effet de la balle avec sa prise à une main – essayez de contrôler un tambour de machine à laver avec une seule main, vous, aussi.

Insoluble ? Pas pour Federer, dont on peut saluer au passage la ténacité, lui qui a trouvé les ressources à 34 balais pour bouleverser tout un pan de son jeu. Et pas pour faire moins d’efforts, bien au contraire. Quand le Suisse disait que Nadal, avec « ses coups de personne d’autre n’a », était le joueur qui l’avait plus que n’importe qui poussé à remettre en question son jeu, ce n’était pas des paroles en l’air. Pour la faire courte, la contre-attaque du Maître a reposé sur quatre piliers :

  • Une raquette plus grande

En 2014, il a lâché son historique tamis de 90 pouces pour passer au 98 pouces. Pas une petite révolution, puisqu’il faut gérer un poids supplémentaire et de nouveaux repères, notamment dans le contrôle de la balle. Mais au final, un gain de puissance sans commune mesure. « Je crois vraiment que mon revers s’est amélioré, disait-il avec un peu de recul, en 2017. Je me sens maintenant super à l’aise avec la raquette, et je pense que j’ai gagné en confiance en pouvant davantage rentrer dans la balle. » Condition préalable indispensable pour ce qui suit.

  • Une prise de balle plus tôt

Pour ne pas subir en permanence et laisser moins de temps à Nadal de préparer son fameux « coup droit lasso », Federer s’est mis à prendre la balle quasiment en demi-volée. Facile à dire, mais incroyablement compliqué à réaliser. Evolution analysée par Patrick Mouratoglou en 2017, pour Eurosport : « Contre Nadal, Roger jouait avec beaucoup d’effet, de la hauteur. Depuis le début de saison, il joue des revers plus tendus, plus proches du filet et sa balle est plus rapide. Et en jouant plus court, Federer laisse moins de temps à Rafa de gicler sur ses coups. Cela fait toute la différence. Il joue parfaitement juste. »

  • JAMAIS de slice en retour (ou en tout cas le moins possible quand Nadal passait sa première)

Pour décrypter la nouvelle attitude de Federer face à son meilleur ennemi, les spécialistes ont sorti leurs plus belles palettes à Doudouce, en mode ingénieurs de la Nasa. En 2017 toujours, l’ancien coach d’Andy Murray, Mark Petchey, faisait une longue démonstration sur le plateau de Sky Sports. Il avait démontré à quel point Federer utilisait beaucoup moins le slice pour retourner les services de Rafa que ceux des autres joueurs (49 % de slice sur les premiers services des autres, 29 % sur les seconds services vs 10 % sur les premiers services de Nadal… et 0 % sur les seconds). On appelle ça jouer agressif. Pour la mise en pratique, on vous laisse regarder ce petit florilège des plus beaux points de la finale de l’Open d’Australie 2017, monument qui a consacré la reprise de pouvoir du Suisse.


  • Tenir le plan

Qui dit tactique offensive dit prise de risques, et donc fautes directes. La tentation est grande, quand ça ne fonctionne pas comme on voudrait, de reculer pour prendre un peu plus de marge. C’est là que le mental intervient. Exemple à Melbourne : Nadal mène 2-0, puis 3-1 dans le 5e set. La suite, c’est le Suisse qui en parle le mieux. « J’ai essayé de ne pas perdre de vue le plan. Je me suis dit "Joue libéré. Joue la balle, pas l’adversaire. Sois libéré dans ta tête, libéré dans tes frappes". J’aurais pu me décourager mais j’ai continué à me battre et à y croire. C’est ça qui m’a fait jouer mon meilleur tennis à la fin du match, ce qui m’a un peu surpris. »

Seule la terre battue a résisté à ce renversement. Sur toutes les autres surfaces, Nadal n’a plus vu le jour, jusqu’à ce qui restera le dernier Fedal de l’histoire, en demi-finale de Wimbledon 2019. Un véritable coup de maître. Après avoir rendu hommage à Federer par le prisme de ses plus belles défaites, on lui devait bien de remettre sa rivalité avec l’Espagnol en perspective.