Chelsea-Real Madrid : Hazard est-il fini parce qu’il n’a jamais bossé de sa vie à l’entraînement ?

FOOTBALL Le professionnalisme de l’attaquant belge, pour une fois disponible cette semaine, est remis en cause par plusieurs anciens équipiers. A tort, selon ceux qui le connaissent bien

Julien Laloye
— 
Eden Hazard à l'entraînement avec le Real Madrid à l'été 2019.
Eden Hazard à l'entraînement avec le Real Madrid à l'été 2019. — JAVIER SORIANO / AFP
  • Eden Hazard a souffert de nombreuses blessures depuis son arrivée au Real Madrid à l’été 2019.
  • Il devrait pouvoir jouer face à Chelsea en demi-finale retour de C1, mais à quel niveau après deux ans à se battre contre les blessures ?
  • Des anciens équipiers de l’époque Chelsea estiment que l’attaquant belge paie des années à s’entraîner en dilettante.
  • Une version à laquelle n’adhèrent pas ceux qui ont bien connu Eden Hazard à Lille.

Ravissement aussi unique qu’un épidémiologiste raccord avec la politique sanitaire du président de la République : Eden Hazard n’est pas sur la liste des joueurs blessés ou indisponibles pour un gros match du Real Madrid, même si personne ne le voit titulaire à part « Chichou ». Dix blessures en deux ans, 380 jours d’absence cumulée, 60 matchs manqués, et des supporteurs madrilènes qui ont presque oublié son existence, trop occupés à réclamer Mbappé ou à se faire croire que Vinicius finira par être chose qu’un Robinho du (très) pauvre.

Un juste retour de karma après dix ans à ne pas en foutre une rame à l’entraînement, si l’on en croit certains anciens équipiers du Belge qui se sont déchaînés sur son compte dernièrement.

  • Obi Mikel (ancien milieu de Chelsea) : « J’ai toujours dit que Hazard est l’un des joueurs les plus doués, il avait tout : vitesse, puissance, habileté, technique… Il était juste derrière Messi et Cristiano Ronaldo. Mais il n’est pas si dévoué. Il ne s’entraîne pas bien, c’est le pire joueur d’entraînement avec lequel j’ai jamais joué, le plus paresseux, mais le dimanche, il était toujours le meilleur joueur du match. »
  • Filipe Luiz (ancien défenseur des Blues) : « Il ne revenait pas beaucoup défendre, il ne s’entraînait pas bien, toujours avec les lacets défaits, et cinq minutes avant le match il jouait à Mario Kart dans le vestiaire. Mais sur le terrain, personne ne pouvait lui prendre le ballon. Il dribblait trois ou quatre joueurs et si le défenseur se rapprochait trop, il s’échappait grâce à sa puissance. »

La prophétie de Samuel Eto’o

Des critiques affectueuses qui rappellent la menace prophétique de Samuel Eto’o sur le plateau de beIN en 2014 : « Si tu ne t’entraînes pas, M. Eden Hazard, au bout de deux ans on t’oublie, et le football va tellement vite qu’il y aura un autre gamin qui va naître qui sera encore plus fort. » La petite musique du moment, donc, théorisée dans la presse du plat pays par Gilles de Bilde, ancienne légende d’Anderlecht : le garçon est perdu pour la cause à 30 ans.

« Eden s’est reposé toute sa carrière sur son talent. Il n’a jamais travaillé. Il signe au Real Madrid, devient le transfert record du club, on attend de lui qu’il soit le remplaçant de Cristiano… et il arrive en surpoids. Et après chaque blessure, il doit refaire son retard pour atteindre le niveau de ses équipiers. Mais ça ne marche pas parce qu’Hazard n’a jamais appris à se bâtir une base physique. »

Autant de reproches qui font bondir Jean-Michel Vandamme, l’ancien chaperon du Belge au centre de formation lillois. « Les gens oublient qu’Eden n’a plus tout à fait 20 ans et qu’il joue deux fois par semaine depuis ses 16 ans. Je veux bien qu’on dise qu’il a toujours préféré jouer les matchs plutôt que de s’entraîner, mais avancer qu’il n’a pas travaillé ce qu’il avait à travailler notamment dans ses années de formation, ce sont des conneries. »

« A Chelsea, il a pris des jambes et il n’a presque jamais été blessé »

De retour au poste de manager général du centre de formation nordiste il y a quelques jours, Vandamme plonge sans mal dans ses souvenirs. « Les tours de terrain, ce n’était pas son truc mais quand il a eu son deuxième pic de croissance et que les tendons et le dos ont été stabilisés, on a commencé à " charger ". Parfois, je devais l’appeler dans mon bureau pour lui rappeler que telle séance de musculation était indispensable. Il me répondait " pas de problème monsieur, je la ferai demain ". Et il la faisait. »

Eden Hazard lors du match aller face à Chelsea en demi-finale de Ligue des champions. .
Eden Hazard lors du match aller face à Chelsea en demi-finale de Ligue des champions. . - Bagu Blanco/BPI/Shutterstock/SIPA

Grégory Tafforeau, qui a vu le loustic monter en pro, confirme dans les grandes lignes. Il y a bien eu des claques qui ne sont pas perdues les premiers jours, et Hazard a pu faire une ou deux fois le coup de la gastro pour rater un décrassage, mais rien de foufou.

« J’ai le souvenir d’un gars qui bossait. Il a commencé avec Claude Puel, un coach fan des grosses séances physiques, donc il a été servi, en réserve aussi. Il ne ratait jamais une séance et doublait même parfois avec la CFA au début. C’était pas le gars qui se planquait au gymnase. Même avec son talent, il n’aurait pas fait cette carrière sans un minimum de travail ».

D’ailleurs, il convient de préciser qu’aucun bruit ne court les rédactions sur un possible manque de professionnalisme d’Hazard en Espagne, alors que c’est le genre de rumeurs savamment distillées dans l’univers madrilène, pour peu qu’un joueur sorte du rang. L’histoire des kilos en trop du premier été, une erreur d’appréciation reconnue en off par le clan du joueur, n’est plus remise sur le tapis en permanence, même si la silhouette visuellement enrobée de l’ancien meilleur joueur de Premier League peut parfois prêter à confusion.

Eden Hazard s’est en effet épaissi des jambes et du postérieur à Londres en un temps record. « Eden a une morphologie particulière, propice aux alertes musculaires et à la prise de poids, estime Tafforeau. Mais à Lille, on était pesés toutes les semaines, et il ne prenait pas un gramme. Ensuite il s’est transformé à Chelsea, il a pris des jambes pour être encore plus difficile à bouger. Et il n’a presque jamais été blessé ».

« Il ne loupe aucun exercice physique à l’entraînement »

Il faut dire ce qui est. Lors de sa dernière saison en Angleterre, Hazard planait sur les défenses adverses, plus fiable que la Mercedes d’Hamilton. Commentaire de l’époque signé Maario Innaurato, ancien préparateur physique des Diables : « J’ai eu la chance d’obtenir les chiffres des matchs de Chelsea, il a énormément progressé sur le plan physique et de l’intensité. Il est vrai qu’Eden n’est pas un grand fan de muscu, mais sous ses airs de petit rigolo, il ne loupe aucun exercice physique à l’entraînement. Et puis dans ces clubs, c’est l’accumulation des matchs qui sert de baromètre : quand on joue trois fois par semaine, les jours d’entraînement sont surtout des jours où on travaille la récupération ».

C’était le bon temps. Aujourd’hui, Hazard s’entraîne beaucoup plus qu’il ne joue pour retrouver le rythme du haut niveau. Zidane l’a presque laissé trois semaines avec le groupe avant de le convoquer, laissant le soin à Grégory Dupont de le retaper en amont. Le préparateur physique du Real connaît bien l’asticot : il était déjà sur son dos à Lille il y a dix ans.

Dupont y croit encore

« Je les ai encore eus tous les deux récemment, je peux vous dire qu’il ne le lâche pas », promet Vandamme, qui prend un peu de temps pour philosopher sur la carrière son protégé : « Il m’a dit son projet quand il avait 15 ans, et ce n’était pas devenir le meilleur joueur du monde. C’était créer du jeu, faire le spectacle ​pour que les gens viennent le voir. Les gens veulent des superhéros, mais il n’était tout à fait armé comme les deux monstres. » Trop détaché des statistiques, trop porté sur le collectif, trop insouciant, ce qui peut aussi ressembler à des qualités.

Est-ce que le brasier peut encore reprendre, à Madrid, ou ailleurs ? « Si on le remet en ordre et qu’on est patients avec lui, on le reverra, parce qu’à 30 ans, si les tendons et les articulations sont en bon état, on n’est pas fini sur le foot. » Stamford Bridge, mercredi, 21 heures, ce serait le bon moment pour le montrer.