Ligue 1: Pour Alaeddine Yahia, quitter Lens «a été le choix le plus difficile à faire de [sa] carrière»
FOOTBALL Désormais à Caen, le défenseur tunisien a été contraint de quitter Lens cet été à cause des difficultés financières du club artésien...
Même au téléphone, on perçoit sans difficulté de la tristesse dans la voix d’Alaeddine Yahia. Pilier du RC Lens depuis 2008, le défenseur tunisien a été contraint de quitter le Pas-de-Calais cet été, alors qu’il avait prolongé son contrat en avril. Un contrat non validé en raison des difficultés financières du club et des fameux 4 millions d’euros manquants pour boucler le budget, qui ont failli lui coûter sa place dans l’élite. Si, après de multiples rebondissements, le Racing évolue finalement en Ligue 1 cette saison, il a été interdit de recrutement et Yahia a été contraint de partir. Joueur du Stade Malherbe de Caen depuis le 1er octobre, il raconte à 20 Minutes son été mouvementé.
On vous imagine soulagé d’avoir trouvé un point de chute?
Je suis très content d’avoir trouvé un contrat, oui. Après, je suis vraiment triste d’avoir quitté Lens dans ces conditions. Tout le monde sait à quel point je suis attaché à ce club, j’y ai quand même passé six ans.
Vous vous voyiez vraiment rester?
Oui, bien sûr. En aucun cas, quand j’étais en centre de rééducation cet été, j’imaginais attaquer la saison autre part. Je me suis fait opérer le 15 avril, j’avais signé un nouveau contrat le 11. Et puis la DNCG a interdit le club de recrutement… Ça faisait six ans que j’étais là-bas, mais étant donné que c’était un nouveau contrat, j’étais considéré comme une recrue. Je me suis retrouvé au chômage, dans l’attente que la situation se débloque.
Que vous disait le club pendant cette période? Vous étiez tenu au courant de la situation?
J’étais tenu au courant, bien sûr. J’avais de bonnes relations avec tout le monde, notamment Gervais Martel [président] et Didier Roudet [manager général]. Au début je ne m’en préoccupais pas trop, vu que j’étais blessé. Ensuite, plus je sentais mon retour arriver, plus j’avais de craintes parce qu’à 33 ans, j’avais toujours envie de jouer. Je ne me voyais pas attendre que les 4 millions arrivent. Il n’y avait aucune certitude, et moi je n’aime pas vivre comme ça. Caen s’est alors manifesté, et j’ai signé avec eux. J’avais envie de jouer, tout simplement.
Dans quel état d’esprit est-on quand on se retrouve dans une telle situation?
On gamberge beaucoup. Ce n’est pas une situation facile, je ne la souhaite à personne. Tu signes un nouveau contrat pour jouer en Ligue 1 et tu ne sais pas si ça va être le cas, en plus moralement ça ne va pas trop parce que t’es blessé. Et quand tu reviens, on te remet un coup de marteau sur la tête en te disant que ton contrat n’est pas validé… [il souffle] Ce n’est vraiment pas facile, il faut s’accrocher.
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Vous étiez un des cadres de l’équipe, les dirigeants comptaient beaucoup sur vous pour cette saison en Ligue 1…
J’étais le joueur le plus expérimenté du groupe, oui. Surtout, je me sentais bien dans ce club, et ma famille se plaisait dans la région. J’ai été obligé de faire un choix. Je peux vous dire que ça a été le plus difficile à faire de ma carrière.
Vous êtes partis avec de gros regrets?
Des regrets… [il hésite] Non, parce que ça ne sert à rien de vivre avec des regrets. Il y a pire que moi dans la vie, je suis quand même dans une bonne situation. Mais quitter Lens et surtout dans ces conditions, c’est ça qui est dur. C’est la manière dont ça s’est finit qui me chagrine. Parce que j’y étais bien, que j’y avais un rôle de grand frère, que je m’entendais bien avec tout le monde. Le coach [Antoine Kombouaré] notamment est un très bon mec, rare dans le milieu.
Plus globalement, comment était l’ambiance dans le club à la reprise, avec ces incertitudes?
Ça a été très difficile. Déjà il y a beaucoup de jeunes, qui n’avaient jamais joué en Ligue 1. Tu t’es battu comme un chien pour monter, et Dieu sait qu’elle a été compliquée à acquérir cette montée, et tu vois que tous tes efforts peuvent être anéantis pour une somme d’argent… C’est dur à gérer.
Ça a été une surprise, pour vous, joueurs, ces problèmes financiers?
Bien sûr. Moi je regarde la télé, comme tout le monde. Quand tu vois la saison dernière dans un reportage sur Canal + qu’il [Hafiz Mammadov, l’actionnaire majoritaire du club venu d’Azerbaïdjan] dit qu’il est capable de ramener Ibrahimovic ou Falcao et que la saison suivante tu t’aperçois qu’il n’y a aucune recrue, forcément tu te poses de questions. En même temps, ce Monsieur, je ne peux pas non plus en dire du mal car s’il n’avait pas mis 20 millions la saison d’avant, il n’y avait plus de RC Lens. Il y en a un aussi sur qui on tape beaucoup aussi et ça m’énerve, c’est Gervais Martel. Je n’ai jamais vu un président travailler autant. Il ne dort jamais! C’est un acharné, il aime son club. Mais il est tributaire d’un monsieur qui vit à 5.000 km de la France.
Vous l’avez rencontré, Hafiz Mammadov?
Oui, une fois. Il était venu à un match, contre Châteauroux. Le 23 novembre 2013, de mémoire [date exacte, Lens l’avait emporté 2-0]. Mais c’est tout.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir du RC Lens?
Dans l’immédiat, oui. Ils ont besoin de recrues. Là, quand tu fais partie de l’effectif du RC Lens, que tu sois bon ou mauvais, tu sais que tu vas être dans le groupe car il y a un manque d’effectif. Et il n’y a rien de mieux que la concurrence pour faire progresser tout le monde. Après, sur le plus long terme, non car un club comme Lens ne mourra jamais. Avec cet engouement, ces supporters, je suis persuadé que même si ça devait mal se passer avec M. Mammadov, le club trouverait des repreneurs. En plus un stade flambant neuf arrive dans un an… Celui qui a envie de reprendre Lens, il ne tombe pas n’importe où!
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Vous êtes resté en contact avec vos anciens coéquipiers?
Toujours. Que ce soient les jeunes, les plus âgés, je les ai toujours au téléphone. On parle de la situation du club et d’autres choses. Demain [vendredi] ils ont un gros match contre le PSG, je leur ai dit qu’il faut profiter à fond de ces moments, ne pas se poser de questions.
Vous auriez envie de revenir, dans le futur, si c’était possible?
Je ne me pose pas cette question. Déjà il faudrait que le club ait l’argent. Et puis aujourd’hui j’ai signé à Caen, je suis 100 % Caennais. J’étais au chômage, ce club a fait appel à moi et ça je ne l’oublierai pas. Les dirigeants ont insisté, ils m’ont fait confiance. Les gens qui me connaissent savent que quand je m’engage dans un club, je me bats à fond pour lui. J’aimerai toujours le RC Lens, ce club m’a marqué, mais aujourd’hui je suis ailleurs.
Que peut-on vous souhaiter pour cette saison?
La santé, déjà, de bien récupérer de ma blessure, et qu’on se maintienne avec Caen. Et que Lens se sauve aussi.