INTERVIEW« Le tout répressif, l’échec le plus monstrueux » juge un ex de la BAC Nord

Marseille : « 20 ans qu’on a mis en place le tout répressif, l’échec le plus monstrueux », estime Marc La Mola, ancien de la BAC Nord

INTERVIEWMarc La Mola, ancien policier de la BAC Nord de Marseille, revient avec Au nord de la ville, un livre sans concessions sur la politique du chiffre et qui explique, selon lui, comment est arrivée l’affaire de la BAC Nord, qui sera en partie rejugée en septembre
Gilles Lellouche dans «BAC Nord» de Cédric Jimenez
Gilles Lellouche dans «BAC Nord» de Cédric Jimenez - Jérôme Mace/ Studio Canal / 20 Minutes
Alexandre Vella

Propos recueillis par Alexandre Vella

L'essentiel

  • Marc La Mola est un ancien policier de la BAC Nord de Marseille.
  • Aujourd’hui reconverti dans l’écriture, il vient de publier Au nord de la Ville, chez Michalon. Livre dans lequel, il étrille et décortique les politiques publiques en matière de police qui ont mené au scandale de la BAC Nord de Marseille.
  • Aujourd’hui, il demande « un moratoire » sur les BAC et juge le tout répressif « comme l’échec le plus monstrueux ».

Marc La Mola est un ancien policier de la BAC Nord de Marseille. Aujourd’hui reconverti dans l’écriture et auteur de plusieurs essais et documents, il vient de publier Au nord de la Ville, chez Michalon. Dans ce livre, il étrille et décortique les politiques publiques en matière de police qui ont mené au scandale de la BAC Nord de Marseille.

En 2012, lorsque l’affaire de la BAC Nord éclate, comment avez-vous réagi ?

Je n’étais plus à la BAC, mais j’étais encore à la BSU nord de Marseille, comme officier de police judiciaire (OPJ). Donc, je voyais revenir les policiers de la Bac avec leurs interpellés et j’ai vu la lente chute de l’unité. On voyait la baisse de la qualité des interpellés et des interventions, des affaires faites pour faire du chiffre.

C’est tout simple, il faut faire un quota d’affaires, si vous n’avez pas, vous ramassez n’importe quoi. Alors, malgré tout, ils avaient une efficacité, car il y a tellement d’affaires sur le secteur nord qu’ils n’avaient pas de difficulté à en faire. Mais on voit très vite le niveau des affaires qui baisse, et les collègues qui se transforment en comptables.

Dans votre livre, vous êtes très critique envers les politiques et particulièrement Nicolas Sarkozy, que vous voyiez pourtant d’un bon œil à son arrivée. Pourquoi ?

Au début, comme beaucoup, je me laisse un peu berner par le personnage qui sur le plan policier annonce des choses qui semblaient, de la manière dont c’était énoncé, plutôt positives. On pensait qu’il allait prendre les problématiques policières à bras-le-corps. Néanmoins, très vite, on a vu ce que cela a donné. Notamment, dès le discours de Toulouse où il dit : « les parties de foot dans les quartiers, c’est terminé ». Donc, fin de la police de proximité, fin de la prévention. Mais si une police n’a pas de proximité, elle est inefficace. Au-delà de serrer des louches, c’est un réel outil de prévention et de renseignement.

Petit à petit, on a vu des changements, la prime au mérite, la culture du résultat, le management… Le commissaire, passe de vrai flic à manager, un statisticien avec son tableau excel. Et là, on assiste à cette décadence de la police. Je suis très critique sur les politiques, mais dans la police tout est politique.

Peu après l’affaire de la BAC Nord, suit rapidement l’affaire Neyret, cela ne traduisait-il pas un réel problème dans la police ?

L’affaire Neyret, c’est encore autre chose, un autre niveau. La BAC Nord, ce sont des entorses déontologiques et des petites infractions pénales. Neyret a un peu tout mélangé. Un excellent flic, mais il a perdu pied. La police a été mise en difficulté par rapport à ces deux affaires. Celle de la BAC Nord a mis en difficulté toutes les BAC, mais aussi la police marseillaise. Il y aura toujours une trace. Même chez les gamins des quartiers qui avaient 10 ans à l’époque et ont 20 ans aujourd’hui, vont te dire : « la BAC, ce sont des corrompus ».

Il y a, à Marseille, cette nouvelle stratégie du pilonnage, qu’en pensez-vous ?

Un plâtre sur une jambe de bois. Faute de faire autre chose, on va faire ça. On fait croire à une certaine catégorie de la population que la police est présente. On va pilonner. Alors ponctuellement, oui. Mais il ne faut pas se leurrer, la mise en difficulté des réseaux ne se fait pas par l’interpellation, mais par l’investigation.

Marc La Mola, ancien de la bac nord, à Marseille en mai 2022
Marc La Mola, ancien de la bac nord, à Marseille en mai 2022 - Alexandre Vella / 20 Minutes

C’est là que je reviens à la BAC Nord. Les collègues se sont substitués à la brigade des Stups. Il y avait des équipages qui faisaient quasiment que ça, sans en avoir ni les compétences, ni les réseaux, ni la formation ; et ils ont fait un peu n’importe quoi, se sont pervertis. Cela a donné ce qu’on connaît.

Le pilonnage, ça va faire plaisir à la presse, il va y avoir des beaux articles : « descente à la Casté, saisi de 3 kilos, et deux calibres ». Tout le monde est content. Mais enfin, quand tu interpelles un dealer, une heure après il est remplacé.

Seriez-vous favorable à une légalisation/dépénalisation ?

Je me suis posé la question à une époque. Je me suis dit « au stade où on en est, n’est-ce pas la seule solution ? ». Ensuite, il faut être tout à fait honnête, ce n’est pas pire de s’envoyer un joint le soir que 10 pastis à midi. Mais en fait non. Ça légaliserait une drogue supplémentaire, avec le tabac ou l’alcool.

Si on revient au niveau strictement policier, ils trouveront autre chose : un cannabis plus dur, des drogues chimiques, plus de cocaïne. Ça fait plus de 20 ans qu’on a mis en place le tout-répressif, c’est l’échec le plus monstrueux qu’on ait jamais connu en matière de police.

En septembre, douze des dix-huit prévenus de l’affaire dite de la BAC Nord seront jugés en appel – le parquet, donc le ministère, a fait appel de relaxes ou de peines jugées trop faibles –, qu’attendez-vous de ce procès ?

J’aimerais que la justice, elle soit capable de dire, merde, on a déconné. Notamment Dallest, le procureur, à l’époque, qui a lâché le mot de « gangrène ».

À l’époque, il n’y avait pas les AFD (amende forfaitaire délictuelle), aujourd’hui la conso, c’est une contravention, mais avant, c’était une mise à disposition à l’OPJ. N’importe quel clampin attrapé pour faire du chiffre avec une crotte de nez, comme on disait, j’en faisais l’audition. Il s’en foutait lui autant que moi, mais ça occupait un équipage, une secrétaire. J’appelais le parquet, on me disait « rappel à la loi ». Je ne lui faisais même pas et pour être parfaitement honnête et s’il était sympa, je lui restituais la marchandise et je lui disais : « allez, casse-toi ».

Bref, donc quand je faisais l’audition, j’appelais le parquet, et je demandais, et la matière, j’en fais quoi ? Le parquet disait « détruisez » ? Alors, j’ouvrais mon tiroir, je la mettais dedans, et des affaires comme ça, j’en faisais 5, 8-10 par jour, si bien qu’au bout de deux mois, j’en avais deux cents grammes. C’est ce qui s’est passé pour la Bac nord. On prend de la merde et on la met dans la poche.

Celui que j’appelle Luc, il choppe des bijoux fantaisie de merde qu’il ramasse sur un mec, des breloques. Il les met dans la veste de son treillis qui est pendu au vestiaire. Il est allé en prison pour ça. Je vous jure que c’est vrai. Allez l’expliquer maintenant…

Donc j’espère que leur honneur sera un peu lavé. Dans cette affaire, il y en a deux qui ont réellement déconné : un a reconnu avoir pris une sacoche (de dealer) et un autre pareil, voilà, ceux-là, il n’y a même pas à les défendre, ils ont merdé, point. Les autres sont partis en prison pour trois bijoux dans une veste, quatre barrettes cachées, voilà quoi.

Quand il y a la tentation sans la structure de la hiérarchie, qui est obnubilée par ses chiffres, ben voilà, on arrive à l’affaire de la BAC Nord.

Plus récemment, il y a aussi des débats sur les violences policières, celle des BAC en manifestations, la question des tirs de défense… Jean-Luc Mélenchon demande même la dissolution des BAC

Ma position, elle est claire. Je demande un moratoire sur les BAC. Est-ce que la BAC que nous avons connue, a aujourd’hui raison d’être ? Non. Avec les évolutions des technologies, les caméras, de surveillance, téléphonie et balise, y a-t-il autant de flagrant délit qui s’offrait à la BAC il y a vingt ans qu’aujourd’hui ? Non. Après, je ne suis pas d’accord avec Mélenchon que je trouve dangereux.

Mais je pense qu’a minima, il faut réfléchir. Ne faudrait-il pas mieux rhabiller certains de ces agents ou les mettre en investigation ? Quand je suis entré à la BAC, il y avait une infraction récurrente qu’on rencontrait presque toutes les nuits, c’était les vols à la roulette : on casse une bagnole pour prendre l’autoradio. Aujourd’hui, ce sont des infractions qui ne se font quasiment plus. Maintenant, elles font quoi les BAC ? Des AFD ? Du maintien de l’ordre ? Ce ne sont pas leurs fonctions.

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