Va-t-on bientôt pouvoir réaliser nos achats du quotidien en bitcoins ?

CRYPTOMONNAIE Le bitcoin, et d’une manière générale les monnaies virtuelles, pourraient bientôt s’imposer comme un véritable moyen de paiement du quotidien, et plus seulement comme un investissement spéculatif

Hakima Bounemoura
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Illustration du bitcoin.
Illustration du bitcoin. — CHAMUSSY/SIPA
  • Le bitcoin, qui a atteint la semaine dernière près de 45.000 dollars, ne représente pas seulement un intérêt au niveau spéculatif, c’est aussi une devise qui sert pour les échanges et les transactions.
  • « Dans l’actualité récente, plusieurs éléments plaident pour une "démocratisation" du bitcoin en tant que moyen de paiement », explique Matthieu Bouvard, professeur de finances à Toulouse School of Management et Toulouse School of Economics.
  • S’il devait se généraliser comme devise pour effectuer des achats, le bitcoin présenterait toutefois un certain nombre d’inconvénients, expliquent la plupart des spécialistes en cryptomonnaie.

Jamais le cours du bitcoin n’aura atteint un tel niveau. Le prix de cette devise virtuelle, née après la crise de 2008 pour renverser – ou du moins concurrencer – les institutions monétaires traditionnelles, a atteint la semaine dernière près de 45.000 dollars. Depuis le début de l’année, pas une semaine ne se passe sans que l’on parle du cours de cette cryptomonnaie, qui affole les bourses du monde entier. Mais on oublie souvent que c’est avant tout une devise, qui sert donc pour les échanges et les transactions, et pas seulement sur le Dark Web.

« Alors que les monnaies virtuelles se multiplient, et que les monnaies traditionnelles traversent une période de crise, la démocratisation du bitcoin commence à se confirmer à l’échelle économique », notent plusieurs analystes de la banque américaine JPMorgan spécialisés dans la cryptomonnaie. Si bien qu’aujourd’hui, beaucoup pensent que le bitcoin – et les monnaies virtuelles – pourrait bientôt s’imposer comme un véritable moyen de paiement du quotidien, et plus seulement comme un investissement spéculatif.

Vers « une démocratisation » du bitcoin

Les moyens d’acheter des bitcoins, entiers ou en fraction, se sont multipliés ces dernières années. Signe d’une confiance accrue envers cette monnaie, le géant des paiements en ligne Paypal a lancé, en octobre dernier, un service d’achats, de ventes et de paiement par cryptomonnaie. Les 346 millions de détenteurs de comptes PayPal actifs pourront donc bientôt réaliser leurs achats en bitcoin, ce qui multiplie par trois le nombre potentiel d’utilisateurs de cryptomonnaies. Cette décision de la plateforme de paiements en ligne a créé une véritable euphorie des marchés, et de nombreux institutionnels ont immédiatement revu leur positionnement. De nombreux fonds d’investissement ont acheté des bitcoins, et aujourd’hui  plusieurs banques en ligne proposent même à leurs clients d’y placer leur épargne.

« Dans l’actualité récente, plusieurs éléments plaident pour une « démocratisation » du bitcoin en tant que moyen de paiement. L’annonce faite par Tesla la semaine dernière, mais aussi celles de Visa ou Mastercard qui vont mettre en place une carte bancaire permettant les achats en bitcoin, ou encore les annonces de Square [société de services de paiement] peuvent laisser penser que la cryptomonnaie va peu à peu s’imposer comme une devise pour effectuer des paiements », explique Matthieu Bouvard, professeur de finances à Toulouse School of Management et Toulouse School of Economics, et spécialiste des cryptomonnaies.

« L’objectif initial des créateurs du bitcoin, c’était d’en faire une monnaie d’échange de pair à pair et de ne plus dépendre des banques classiques ». Si Tesla rend possible l’achat d’un de ses modèles de voitures en bitcoin, « ça peut faire évoluer les choses », analyse également le journaliste économique belge Gilles Quoistiaux, auteur de Bitcoin & cryptomonnaies, le guide pratique de l’investisseur débutant.​ « Plusieurs marchands – des entreprises comme Dell, Microsoft ou encore Expedia – acceptent déjà des paiements en bitcoin. Et la liste s’allonge de jour en jour », ajoute Matthieu Bouvard, qui compile ces données depuis quelques années.

« Cela permettrait de faciliter les paiements internationaux »

Autre annonce majeure, celle du patron de Twitter, Jack Dorsey, qui a annoncé ce vendredi la création d’une fondation pour financer le développement du bitcoin comme « devise d’Internet ». « Ce sera une fiducie sans droit de regard, qui ne recevra aucune directive de notre part », a-t-il précisé. Le fondateur de Twitter se lance donc aussi dans les activités de crypto-paiement, comme son principal concurrent Facebook qui s’apprête à sortir  sa propre monnaie virtuelle baptisée Diem (anciennement Libra). « Facebook compte plus de 2 milliards d’utilisateurs, c’est une force de frappe considérable. Là encore, le potentiel de démocratisation est démesuré », note le professeur de finances à Toulouse School of Economics.

On le voit bien aujourd’hui, tous les feux sont donc au vert pour permettre de généraliser les paiements en bitcoin. Mais quel serait réellement l’intérêt de réaliser nos achats en cryptomonnaie ? « Il y a surtout cette idée de promouvoir et faciliter les paiements internationaux. C’était l’un des selling point [argument de vente] de départ du bitcoin », rappelle Matthieu Bouvard. « C’est un moyen de paiement relativement anonyme, et qui permet de toucher des gens un peu partout dans le monde. Les paiements en bitcoins pourraient grandement faciliter les transactions réalisées par toutes ces diasporas d’immigrés, qui doivent aujourd’hui passer par des entreprises comme Western Union pour les transferts d’argent vers leur pays d’origine. Les solutions actuelles pour transférer ces fonds – qui représentent des flux financiers considérables –, sont lentes et surtout très chères. La généralisation de l’utilisation du bitcoin pourrait être une véritable alternative pour ces populations. »

« Une monnaie trop volatile qui pourrait rendre difficile les petits paiements du quotidien »

S’il devait se généraliser comme moyen de paiement, le bitcoin présenterait toutefois un certain nombre d’inconvénients, expliquent la plupart des spécialistes en cryptomonnaie. « C’est une monnaie qui pour l’instant reste trop volatile, et c’est un véritable problème. Pour un marchand qui vend un produit, cela pourrait s’avérer très périlleux si le cours de la devise utilisée évolue sans cesse, et qu’elle perde par exemple du jour au lendemain 20 % de sa valeur. C’est condamner le vendeur à prendre un risque à chaque fois qu’il accepte un paiement en bitcoin », explique le chercheur et professeur de finances.

Pour les stablecoins [monnaies virtuelles adossées à une monnaie fiduciaire comme le dollar ou l’euro, à une autre cryptomonnaie ou à des matières premières négociées en bourse] comme Diem, « cette volatilité serait en revanche très limitée, ce qui éviterait les variations de prix. Et là on peut tout à fait imaginer pouvoir utiliser au quotidien ce genre de devises, qui auraient elles une valeur intrinsèque », ajoute Matthieu Bouvard. « A l’avenir, les stablecoins mondiales pourraient être utilisées dans un domaine beaucoup plus large. […] On peut imaginer qu’une partie importante de la population décide de détenir son épargne et d’effectuer ses achats à l’aide de ces stablecoins mondiales », confirme également dans un rapport Christian Pfister, Directeur général adjoint à la DG Statistiques de la Banque de France et enseignant à Sciences Po et à Paris I.

Autre inconvénient majeur si le bitcoin devait se généraliser comme moyen de paiement, l’architecture du système qui rend les transactions très lentes. « Pour donner un ordre d’idée, le réseau bitcoin peut traiter aujourd’hui sept à huit transactions par seconde, quand Visa peut en faire jusqu’à 20.000 par seconde. Cela n’aurait pas de sens de payer son café en bitcoin s’il faut attendre trente minutes que la transaction soit confirmée. Des technologies comme Lightning tentent toutefois aujourd’hui de corriger ces difficultés techniques, explique Matthieu Bouvard. Mais en l’état actuel, c’est un frein majeur. Avec une capacité de réseau qui limite également le volume de transactions, il est un peu difficile de voir comment aujourd’hui le bitcoin pourrait être adopté de manière très large par la population. »