La Coupe du monde, vue par les joueurs de boule anglaise
SPORT A Port-Elizabeth, certains adeptes de ce sport pratiqué dans les pays du Commonwealth, découvrent le football depuis un mois...
De notre envoyé spécial à Port-Elizabeth (Afrique du sud),
Cela ressemble à un étrange croisement entre la pétanque et le curling. Avec une pointe d'élégance en plus. «Ici, c'est l'endroit des gentlemen, Monsieur.» L'accueil est toujours obséquieux, paraît-il, au Bowling club de Port Elizabeth, l'un des onze clubs de boule anglaise de la ville. Mais aussi le plus ancien du pays, créé en 1882. Au coeur de la cité côtière, l'endroit accueille tous les jours quelques retraités, adeptes de ce jeu de boules sur herbe, également appelé «boulingrin» en français. «Un vrai sport», nous précise-t-on, pratiqué dans tous les pays du Commonwealth.
Ici, le dress code ferait le bonheur d'Eddie Barclay. Interdiction formelle de mettre un pied sur l'un des terrains gazonnés sans le pantalon et le polo blancs qu'arborent tous les licenciés. Un petit Wimbledon, dans une ville qui vit au rythme de la Coupe du monde depuis tout juste un mois. «Vous savez, on préfère tous le rugby ici, mais on suit quand même les matchs» explique, Julian Bornstein, un habitué des lieux.
Dans le club house, c'est la première fois que les discussions tournent autour du ballon rond. Sur les tables, traîne Die Burger, le principal quotidien afrikaner, dont la Une est consacrée à la victoire des Pays-Bas la veille face au Brésil. «Bien sûr qu'on supporte cette équipe, s'insurge Jan Coetzee, avec son verre de Black Label entre les mains. Dans tous les sports, on suit les Pays-Bas. On suit souvent le hockey sur gazon, mais le football, c'est aussi génial.» Avec une semaine de retard, certains dissertent encore sur la nécessité d'introduire la vidéo pendant les matchs. Apparemment, l'élimination de l'Angleterre a fait très mal.
Dans le groupe, très peu sont pourtant capables de décrypter la règle du hors jeu ou de citer quelques clubs européens, en dehors de ceux de la Premier League. L'OM, le PSG? Des acronymes farfelus. Du football français, les puristes du club de «P-E» n'ont retenu que les insultes de Nicolas Anelka. «C'est vraiment incroyable de parler comme ça à son coach, s'étonne Piter Wildman, un autre adepte de la boule sur gazon. En plus, son capitaine l'a défendu. C'est encore plus étonnant.» Cela n'aurait-il pu arriver dans une équipe de rugby? «Non, balaye Julian Bornstein. Dans le rugby, il y a plus de respect et moins de triche.» Sur ce point, tous refusent le débat.
Le foot n'incarnerait pas les valeurs idéales, mais il y a quelques jours, certains ont trinqué à la santé des Bafana après leur victoire face aux Bleus. «On était là et on a fêté ça, explique Terry Bulkan, autre membre du très sélect club de P-E. C'était la première fois. Le football reste le sport des noirs, mais ce n'est pas politique. C'est culturel. Et vous savez, il y a aussi des noirs qui jouent avec nous au bowling. C'est un sport ouvert à tous.» A condition de s'acquitter des 800 euros de cotisation annuels. Et de payer la location de son terrain à chaque partie. Dans un pays où le salaire moyen tourne autour de 300 euros par mois, il y a encore un peu de chemin.