Route du rhum : « Un choix de raison va s’imposer », Le Cléac’h se méfie des premiers jours de course
INTERVIEW Le skippeur sur Maxi Banque Populaire XI décrypte les conditions météo et fait le point sur les stratégies possibles alors que le départ de la Route du rhum 2022 vient d'être repoussé
Armel Le Cléac’h a une revanche à prendre avec la Route du rhum. Quatre ans en arrière, il y perdait son bateau et était bien heureux d’en sortir sain et sauf. La peur et le doute dissipés, « Le Chacal » s’est remis au travail et entend bien aller jouer la gagne sur l’édition 2022 chez les Ultim sur son Maxi Banque Populaire XI. A 24 heures du grand départ à Saint-Malo, l’ancien vainqueur du Vendée Globe se dit prêt à défier les Joyon, Coville et Gabart, mais se méfie la sortie de l’Atlantique nord, à une période de l’année où les mers sont particulièrement hostiles. Ça méritait bien un petit point météo et stratégie. Petit spoiler : les amateurs de foils devront se monter patients.
Comment s’annonce ce départ en termes de météo ?
Assez difficile pour cette Route du rhum. Pour le départ on aura 20-25 nœuds de vent avec un peu de mer, donc ça sera sportif pour le début avec ce passage au cap Fréhel qui est obligatoire, étant donné qu’on a une porte à franchir. Il va falloir tirer des bords pour aller chercher cette première marque. On va avoir 5-6 m de creux dès l’approche d’Ouessant, en début de nuit, et ça sera pour nous un passage très délicat.
C’est d’autant plus difficile de gérer ces conditions dès le départ qu’il y a cette disposition en flotte qui ajoute de la nervosité ?
Il y a un danger extérieur. En plus de la météo, il y a cette côte avec tous les rochers qu’on connaît bien sur la côte bretonne, et effectivement le trafic. En ce qui concerne les concurrents, nous les Ultim devrions être assez rapidement aux avant-postes. Mais mine de rien, on est huit bateaux et on va être assez serrés. Il faudra être vigilant car il y aura des manœuvres à effectuer, et très concentré pour ne pas faire de bêtises les premières heures de course.
Quelles sont les routes qui semblent se dégager et les stratégies possibles par rapport aux premières prévisions météo, à quelques heures du départ ?
En ce qui concerne la flotte des Ultim, on va surtout être un peu contraints par l’état de la mer. On sait qu’à partir de 5-6 m de creux, ça devient très difficile d’aller à des bonnes vitesses, et surtout on commence à mettre le bateau en péril. Ce ne sont pas des conditions idéales ou qu’on recherche pour naviguer. Ça va limiter les options, sachant que ce noyau de mer est très large et s’étend quasiment jusqu’au nord de l’Irlande.
Ça ne va pas être très simple de trouver le passage le moins douloureux, en prenant en compte la force du vent. On va un peu mettre entre parenthèses la route la plus rapide. Cette route-là pourrait être très nord aujourd’hui, mais elle est hyperrisquée voire complètement irresponsable parce qu’on peut rencontrer des creux de 7-8 m. C'est totalement impensable d’aller naviguer dans de telles conditions et d’atteindre des vitesses correctes. »
A votre avis, il y aura quand même des téméraires pour tenter le diable ?
Pour les premières 24 heures, je pense qu’un choix de raison dominera l’ensemble des concurrents. On verra quel niveau de curseur chaque concurrent mettra dans son passage dans la mer et le vent. Des gens seront sûrement conservateurs, d’autres tenteront une route plus osée mais payante si jamais ça passe. Il y a des routes gagnantes si tout s’y passe pour le mieux, mais est-on est prêt dès le départ à prendre le risque d’y foncer tête baissée, sachant qu’on a de grandes chances que ce soit douloureux pour le bateau et le marin ? D’expérience, la raison finit souvent par l’emporter et les routes convergent vers un passage où les conditions ne sont pas si pires. La course peut vraiment ne commencer qu’après 24 ou 48 heures, quand la difficulté sera passée.
L’intérêt, c’est à la fois de trouver le vent et la glisse dans une zone où il est quasiment impossible de trouver des mers plates pour mettre vos foils à contribution ?
Tout à fait. En début de course, ça ne sera pas un vol facile voire quasi impossible. On arrivera peut-être à tenir des vitesses correctes, mais très loin de ce que l’on sait faire avec nos bateaux. J’insiste, il faudra se préserver en vue de la suite de la course. Si on sort de ce premier piège avec des bateaux très proches de leur maximum de potentiel, on peut rattraper plus facilement un éventuel retard, par opposition à un bateau qui prend plus de risques sur un départ rapide et qui sera moins performant par la suite parce qu’il aura un peu souffert.
Y a-t-il d’autres zones clés dans cette Route du Rhum, où vous pourrez exploiter le potentiel maximal de votre bateau ?
Sur des routes un peu intermédiaires, on va dire que le point de passage des Açores permettrait de retrouver des conditions de mer beaucoup plus maniables. On se retrouverait suffisamment Sud pour sortir de ce noyau de mer forte qui reste en place pendant plusieurs jours parce que les dépressions s’enchaînent sur le nord Atlantique. A partir de la mi-course, ou pas loin, on pourra rentrer dans une période d’utilisation du bateau à son potentiel maximal et ce, jusqu’à l’arrivée. De manière générale, si le bateau est toujours en bon état, plus on ira vers l’arrivée, plus les conditions iront en s’améliorant avec des conditions de vent portant et de glisse.
L’arrivée en Guadeloupe peut par contre aussi s’avérer complexe.
L’arrivée est effectivement un élément complexe de la Route du rhum. La course peut se jouer sur ce tour de boucle obligatoire que l’on doit effectuer par l’Ouest. On doit passer sous le dévent de l’île, parce qu’on a des vents qui soufflent d’Est en Ouest de façon assez classique. Il y a aussi le volcan de la Soufrière sur notre route, comme on a une bouée à aller chercher au ras de la côte, et on se retrouve forcément coincé dans cette zone de vent très faible.
En fonction des moments de la journée, on peut se retrouver arrêté plusieurs heures et voir des concurrents revenir à égalité pour donner le coup d’envoi d’un nouveau départ sur les derniers milles de la course. Ça s’était passé comme ça il y a quatre ans. On sait que cette année ça peut se passer de la même manière. Mais il faut espérer que d’ici là, tout se passe bien.