Coupe du monde de rugby : Comment les Springboks sont revenus au sommet

RUGBY Les Sud-Africains, repris en main par Rassie Erasmus il y a un an et demi, ont décroché samedi en battant les Anglais (32-12) leur troisième titre de champions du monde

Mathias Cena
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L'Afrique du Sud championne de rugby, à Yokohama le 2 novembre 2019.
L'Afrique du Sud championne de rugby, à Yokohama le 2 novembre 2019. — Daisuke Tomita/AP/SIPA

De notre correspondant à Tokyo (Japon),

1995, 2007, 2019. Réguliers comme des métronomes, les Springboks ont marqué l’histoire de la Coupe du monde de rugby, en remportant samedi face à l’Angleterre (32-12) leur troisième titre, douze ans après leur dernière finale au Stade de France, déjà contre le XV de la Rose. En mettant fin à la domination des All-Blacks, invaincus entre 2007 et le week-end dernier, et en les rejoignant au panthéon mondial, les hommes de Rassie Erasmus signent la fin de leur traversée du désert et leur retour parmi les forces incontournables de l’ovalie planétaire.

« Rassie nous a toujours dit les choses cash »

Rassie Erasmus est un homme qui ne ment pas. Le coach sud-africain avait promis du rugby sans fard, un jeu puissant comme les Springboks savent le dérouler. Il était même allé jusqu’à annoncer la composition de son équipe avec deux jours d’avance (un seul changement par rapport à la demi-finale contre les Gallois), pour bien faire comprendre qu’il n’y aurait pas de surprise.

Imprenable sur les métaphores qui invoquent des vieux pots et des soupes, le coach de 46 ans est revenu aux fondamentaux du jeu sud-africain autant par conviction que par manque de temps : rappelé en urgence début 2018 pour sauver le navire Springboks, dérivé à la 8e place du classement mondial, du naufrage pur et simple, il a donc eu moins de deux ans – « 618 jours », précise-t-il – pour sculpter son effectif de bataille, quand les autres coachs affûtaient leurs stratégies depuis 2015.


La première étape concernait le mental de l’équipe. « A notre première réunion, il a été très franc avec nous, raconte le capitaine Siya Kolisi, le premier joueur noir à mener les Springboks, nommé à ce poste par l’actuel coach. Il nous a dit exactement ce qu’il pensait de nous comme joueurs, que beaucoup d’entre nous touchaient beaucoup d’argent mais que la place qu’on donnait au rugby n’était pas suffisante. Il nous a dit qu’il fallait qu’on change, par respect pour tous ces gens qui dépensaient tout leur salaire pour venir nous voir. Alors on a changé notre façon de faire. L’une des grandes qualités de Rassie est son honnêteté. Il nous a toujours dit les choses cash. »

Le cœur de la stratégie d’Erasmus, un jeu lui aussi sans fards qui repose sur les biceps de ses joueurs, a fonctionné tout au long de cette Coupe du monde, malgré une défaite face aux All-Blacks en phase de poules. Il était toujours de mise samedi soir. « Le coach a fait simple et efficace, raconte Kolisi. Il nous a dit de continuer à jouer physique, et c‘est pour ça qu’on avait six avants sur le banc. On a perdu des joueurs au début, mais on a continué à faire ce qui marche pour nous. »

« Ils sont plus malins qu’on ne le pense et je ne les sous-estime jamais »

Conformément aux instructions d’Erasmus, on a eu droit à un match brutal, rugueux et puissant, où les Springboks ont commencé à étouffer méthodiquement le jeu anglais dès les premières minutes. D’abord de manière un peu laborieuse… Si les kilo newtons étaient bien au rendez-vous, ceux qui voulaient voir du jeu rythmé en première mi-temps ont dû repasser, face à l’abondance d’arrêts de jeu, à l’avalanche de pénalités et au ballet des soigneurs sur le terrain, qui se sont soldés par trois remplacements (dont deux chez les Springboks) dans les 22 premières minutes du match.

« C’est toujours brutal contre les Springboks. Mais ils sont plus malins qu’on ne le pense et je ne les sous-estime jamais », avait confié à son biographe Eddie Jones, qui les connaît bien pour avoir participé à leur campagne victorieuse de 2007. Malgré quelques occasions en deuxième période, les Anglais, dominés notamment dans les rucks, n’ont jamais semblé en mesure de trouver les clés pour revenir dans le match, et cinq minutes avant la fin, le nom des nouveaux vainqueurs était déjà gravé sur la coupe.


Ce troisième trophée, pense Erasmus, aura au-delà de la victoire sportive un effet considérable sur le moral des Sud-Africains. « En Afrique du Sud, la pression ce n’est pas d’avoir un emploi, c’est de voir un de ses proches assassiné. Le rugby ne devrait pas créer de pression, il devrait créer de l’espoir. L’espoir, c’est quand on joue bien, que les gens se font un barbecue tranquille, regardent le match et pendant 80 minutes ils se retrouvent sur quelque chose, quels que soient leurs désaccords politiques ou religieux. Nous avons un privilège, pas un fardeau. » Pour l’ancienne star des Springboks Bryan Habana, cette victoire restera « gravée pour toujours en chaque Sud-africain ».