Le Tour de France déraille: Quand la montagne assomme les coureurs du Tour

CHUTE A L'ARRIERE (2/3) Les coureurs s'y subliment ou y sombrent. Sur le Tour de France, la montagne n'épargne personne et encore moins les maillots jaunes

François Launay
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La Montagne ou l'incarnation de l'homme au marteau  dessinée par Pellos
La Montagne ou l'incarnation de l'homme au marteau dessinée par Pellos — Capture d'écran
  • A l’occasion des étapes des Alpes du Tour de France, 20 Minutes, en partenariat avec Retronews, vous propose de revenir sur les grandes défaillances de coureurs.
  • Les étapes de montagne font souvent office de juges de paix dans la course et les défaillances y sont nombreuses.
  • Exemple avec la détresse de Maurice Archambaud en 1933, un maillot jaune en galère dans le col de Vars.

Cet été, 20 Minutes revient sur des grandes défaillances du Tour de France​ à l’occasion des étapes des Alpes, en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Aujourd’hui, retour sur les défaillances des coureurs du Tour de France en montagne avec un éclairage particulier sur celle de Maurice Archambaud en 1933.

Elle peut fasciner, irriter, casser le moral ou glorifier. Depuis que le Tour de France existe, soit 116 ans, la montagne a toujours fait partie de son paysage. Pour les coureurs, c’est un enfer ou un paradis dans lequel on se jette depuis des décennies. Pour ceux qui y perdent leurs moyens, les cimes peuvent même prendre une apparence humaine, celle de l’homme au marteau comme l’image Pellos, grand dessinateur de presse et de BD, en 1933 dans Match.

« Quels sont les ennemis du coureur du Tour de France sur la route qui passe à travers champs, montagnes, plaines, coteaux, villes, villages, hameaux ? Le froid, le soleil, la chaleur, la pluie, le vent, la boue, la foule trop compacte, les espaces déserts, les boyaux qui s’effondrent, les clous qui surgissent, l’homme au marteau qui brusquement vous prend pour cible », écrit l’illustrateur sous son célèbre dessin.



Et quand un coureur rencontre l’homme au marteau, la défaillance est proche. « Quand il gravit les monts et que les cimes des rocs à tous les détours de la route semblent de plus en plus inaccessibles, il lui semble que ces rocs ont pris visage humain et que d’invisibles bras lui assènent des coups de marteau sur la tête », poursuit Pellos.

« Tu es à la limite du zombie »

Juge de paix de chaque Tour de France ou presque, la montagne peut se révéler impitoyable quand on y perd ses moyens. « La défaillance peut être de deux natures : physique et morale. Tu ne sais plus mettre ton braquet, tu n’as plus de forces, tu redeviens un quidam quelconque. Tu es à la limite du zombie que ce soit en plein cagnard ou sous des trombes d’eau », raconte Christian Palka, ancien coureur professionnel et désormais journaliste à Radio France

Qu’ils soient simples porteurs d’eau ou célèbres maillots jaunes, ils sont nombreux à avoir rencontré cet homme au marteau, mauvais génie qui vous casse le moral sur les routes du Tour. Surtout qu’il n’épargne personne à commencer par les plus grands. Que ce soit Anquetil, Merckx, Hinault ou Indurain, les quintuples vainqueurs du Tour ont tous connu une défaillance en montagne. Tout sauf un hasard.

La défaillance n’épargne pas les plus grands

« Personne n’est à l’abri. La défaillance arrive le plus souvent quand tu es en forme, que tu es au-dessus de ton réel niveau. Et quand tu es maillot jaune, tu te sublimes. C’est pour ça que la défaillance est inattendue. Le coureur est au top de sa forme et d’un coup, le corps lâche », poursuit Christian Palka.

Dans l’histoire du Tour, certaines défaillances ont été plus impressionnantes que d’autres C’est le cas de celle de Maurice Archambaud lors du Tour 1933. Maillot jaune au départ de la neuvième étape entre Gap et Digne, le Parisien, membre de l’équipe de France, va vivre un véritable calvaire dans l’ascension du col de Vars.

La défaillance de Maurice Archambaud en 1933

Dans Paris Soir, le journaliste Gaston Bénac raconte la scène vécue de l’intérieur. « Archambaud s’écroule au sommet du col. Il défaille, il pleure, on crie : " Allez Archambaud, courage ! " Et après quelques secondes d’arrêt, il remonte en compagnie de Leducq [un coéquipier]. Hélas ! il a probablement perdu son maillot jaune. »



Toujours dans Paris Soir, le reporter Albert Baker d’Isy décrit l’agonie du coureur « Archambaud, les traits crispés, a l’air d’avoir 50 ans. Il s’affale le long d’une voiture. On lui passe une bouteille d’armagnac. […] Maurice Archambaud est incapable du moindre mouvement. On le hisse sur son vélo et, tiré par Leducq et poussé par Lapébie, il s’élance à son tour dans la descente. ».

A l’arrivée à Digne, Archambaud perd 15 minutes dans une étape remportée par son coéquipier Français Georges Speicher. Celui qui remportera cette édition du Tour de France revient sur cette défaillance le 16 août 1933, moins d’un mois après son sacre, dans les colonnes de Match. Dans un article appelé « Comment j’ai gagné le Tour de France », Speicher détaille ses sentiments ambigus quand son compagnon de chambre s’est effondré.

Speicher prend le dessus sur Archambaud dans le col du Galibier lors du Tour de France 1933
Speicher prend le dessus sur Archambaud dans le col du Galibier lors du Tour de France 1933 - AFP

Speicher raconte la détresse de son coéquipier

« Je ne connus pas tout de suite cet incident, ni sa gravité, parce que j’étais parti avec les hommes de tête, me sentant bien en jambes. Ce furent mes camarades demeurés en arrière qui purent voir Archambaud mal en point et l’aidèrent de tout leur pouvoir. Que serait-il arrivé si ce matin-là, je ne m’étais pas enfui ? J’aurais assisté au recul de Maurice et j’aurais fait mon devoir qui consistait à l’aider. Je n’avais pas à choisir. […] Je n’avais plus qu’un objectif : battre Guerra et venger Archambaud pour qui je ne pouvais être d’aucune aide. »



Georges Speicher revient aussi sur la détresse de son coéquipier dans le huis clos de leur chambre d’hôtel. « Il était à bout, seulement soutenu par ses nerfs. Ses nerfs bientôt le trahirent aussi et il eut une crise douloureuse. La perte de ce maillot, pour la conquête duquel il avait si durement travaillé, lui paraissait une injustice abominable. Il était le vaincu qui ne veut pas se rendre. »

D’ailleurs, Archambaud ne s’est pas rendu après cette déconvenue. Deux jours plus tard, il reprendra le maillot jaune en remportant la 11e étape entre Nice et Cannes avant de céder définitivement la tunique à son pote Speicher. La preuve qu’on peut toujours se remettre des coups de l’homme au marteau.