DROGUERéactions, clichés, prix... Ne pas boire d'alcool, parcours du combattant

«T'es enceinte?», «prends pas une boisson de gonzesse»... Quand boire de l'alcool devient une injonction

DROGUEAlors que nombre de médecins alertent sur les dangers de l'alcool, la France peine à faire une prévention efficace, peut-être aussi parce que la sobriété n'est pas toujours encouragée...
Alcool. Image d'illustration.
Alcool. Image d'illustration. - Svancara Petr---Petr Sva/AP/SIPA / SIPA
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Une récente pétition lance un cri d'alarme pour sensibiliser sur les risques de l'alcool.
  • Une drogue dont les dangers ne sont pas toujours perçus en France.
  • Au point même que ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas boire ne sont pas toujours bien vus.

On trouve toujours une bonne excuse pour déboucher une bouteille. Et pourtant, nombre de Français ont dû ou souhaité renoncer à l’alcool. Que l’on soit au régime, à la veille d’un marathon, malade ou juste préoccupé par sa santé, ancien alcoolique, sous antibiotique, enceinte, qu’on prenne le volant ou plus simplement qu’on n’aime pas l’alcool, les raisons de rester sobre sont légions. Et pourtant, ne pas boire n’est pas bien vu dans notre société. Alors que des médecins demandent aux pouvoirs publics de prendre des mesures pour faire connaître les dangers de la consommation excessive d’alcool, 20 Minutes donne la parole à ses internautes sobres… et qui galèrent.

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« Ne pas boire d’alcool ne m’empêche pas de m’amuser et de rire »

« On ne s’étonne pas d’une personne qui ne fume pas, mais on s’étonne d’une personne qui ne veut pas boire un verre d’alcool, regrette Christelle, une internaute qui n’aime pas boire. J’ai souvent entendu des réflexions du genre :" Tu ne bois pas, tu es une ancienne alcoolique ?" Ne pas boire d’alcool ne m’empêche pas de m’amuser et de rire ! Pour ma part, j’ai eu la chance, même jeune, de savoir résister aux pressions des amis, des collègues », confie cette femme de 53 ans.

Chloé a, elle, renoncé à l’alcool pour cause d’endométriose. « Essayer de faire comprendre ça à son entourage est un calvaire : expliquer sa maladie, pourquoi certains aliments et boissons sont très mauvais voire aggravants : le parcours du combattant », résume-t-elle. J’ai l’impression d’être toujours obligée de me justifier "ah bon tu ne bois pas, pourquoi ?" Il faut forcément avoir une réponse (religieuse, médicale ou pire "t’es enceinte ? !"), c’est intrusif et déplacé mais ça nous forge nous, les sans alcool ! »

Clichés et intolérance

Côté réactions déplacées, Maryam en connaît un rayon. « A chaque fois, on me lance soit "que je cherche à garder ma ligne" "soit t’es musulmane" ? Soit "tu tiens pas l’alcool". C’est aucun des trois, je n’aime pas le goût et ça me donne des rougeurs au visage. Les gens ne comprennent pas. Et le côté "religion" c’est quelque chose que je n’apprécie pas du tout. Ma mère est française, mon père indien, et pourtant j’ai eu une éducation occidentale, mon père buvait du vin rouge et du champagne ! C’est terrible ces clichés. »

Une malveillance et des préjugés qui poussent certains à s’éloigner de leurs amis peu tolérants… « Maintenant on ne m’invite plus aux soirées car je ne bois pas et c’est bien mieux comme ça, analyse Charline. Je préfère être avec des gens qui acceptent ma façon de vivre plutôt que de devoir supporter les moqueries des autres. »

Illustration de verres d'alcool.
Illustration de verres d'alcool.  - Pixabay

Une pression plus forte encore sur les hommes

« Il y a un regard social bienveillant et facilitateur vis-à-vis de l’alcool en France, résume Michel Reynaud, professeur de psychiatrie et d’addictologie et président du Fonds Actions Addictions. Surtout pour les hommes. Car certains ont encore un regard plus dur pour les femmes qui boivent et donneraient l’image de la mauvaise mère ou de la fille facile. Pendant longtemps, être viril c’était bien tenir l’alcool, alors que c’est un facteur de risque de dépendance. »

Une pression accrue dont témoigne Philip, 25 ans, qui « n’aime pas le goût et l’alcool étant un poison, je préfère éviter d’en ingérer ». Et refuser un petit verre lui vaut des réactions agressives… « Le plus souvent malheureusement ce sont les remarques : "Commande pas une boisson de gonzesse", "Encore un cocktail pour gays", "Je trinque pas avec toi"… Mieux vaut anticiper et rentrer dans l’autodérision pour couper court à tout ça. »

« Mais cette différence entre les sexes en train de changer : les alcooliers font tout pour banaliser la consommation d’alcool chez les femmes, nuance Michel Reynaud, addictologue. D’ailleurs, les ventes de rosé, présenté comme un alcool de femme, ont dépassé celles de vin blanc. »

« Une incitation permanente »

Difficile de refuser un verre quand on subit une telle pression. Et pourtant, s’il y a bien une partie de la population qui doit être encouragée à abandonner la bouteille, ce sont les anciens alcooliques. « C’est un problème dont on parle peu, mais pour nos patients c’est très difficile d’être soumis à l’injonction permanente de boire : dans un bistrot, dans la publicité, au cours d’un repas familial, assure Michel Reynaud. Pour eux, c’est une incitation qui rend l’abstinence difficile. »

Et Flavie de partager une anecdote parlante… « Il y a quelques années, lors d’une fête de famille, il a été demandé de ne pas apporter d’alcool, car l’un des invités était alcoolique et en sevrage. Certains se sont sentis dépossédés de la fête, ils ont ronchonné, n’ont pas compris cette demande "il n’a qu’à ne pas boire". Il est souvent oublié que l’alcoolisme est une maladie, l’alcool une drogue et qu’il n’est pas si simple pour un alcoolique de dire non à un verre. Mettez de la drogue à disposition d’un drogué, à votre avis, que fait-il ? »

Changer de regard

D’où l’importance de changer ce regard sur l’alcool, un plaisir, mais aussi une drogue. Pas évident en France où les deux tiers des départements français sont producteurs de vin. « On sait que le combat sera difficile, reconnaît Michel Reynaud qui a signé la pétition. Le but n’est pas d’empêcher de boire, mais que les gens soient informés des risques. »

Illustration d'une pancarte non à l'alcool.
Illustration d'une pancarte non à l'alcool. - Pixabay

Jouer sur le prix

Michel Reynaud insiste sur les moyens pour lutter contre cette pression : « Il faut valoriser le fait de ne pas boire, donc proposer davantage de boissons sans alcool dans les bars et restaurants, comme des cocktails de jus de fruit. » C’est sûr, quand on pourra trouver dans tous les bars de France des bières sans alcool, des jus de fruits frais, des tisanes saines, peut-être qu’on pourra oublier tentation et frustration pour celles et ceux qui ne boivent pas.

A condition de revoir la politique des prix des softs… « On est contraint de payer 8 euros un soda et affronter les fameux "à ce prix-là autant boire !" », critique Chloé. « Il m’est difficile de comprendre comment une bière peut coûter moins cher qu’une menthe à l’eau », renchérit Laetitia. D’où la proposition des signataires de cette pétition : un prix plancher par unité d’alcool. « Il faut jouer sur le prix pour que le verre de rouge ne soit plus la consommation la moins chère ! Il faudrait que le prix de l’alcool augmente… et que celui de l’eau baisse », avance le médecin.

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