Twitter racheté par Elon Musk : Liberté d’expression, transparence, chasse aux bots… Que va changer le nouveau propriétaire ?
CULTURE NUMERIQUE Elon Musk va axer la transformation de Twitter autour de la liberté d’expression, de la chasse aux bots et d’un nouveau modèle économique
- Elon Musk a passé un accord définitif avec le conseil d’administration de Twitter pour racheter le réseau social, valorisé à 44 milliards de dollars lundi. Le conseil d’administration avait initialement tenté d’empêcher ce rachat.
- Il va racheter le réseau social au prix de 54,20 dollars par action – soit 38 % de plus que sa valeur à la clôture de la Bourse de New York le 1er avril 2022 – et en faire une entreprise privée, non cotée en Bourse.
- La nouvelle inquiète de nombreux observateurs tant le magnat de la tech est attaché à une vision absolutiste de la liberté d’expression.
EDIT : Après des mois d’une saga à rebondissements, Elon Musk a finalement racheté Twitter jeudi soir. Le nouveau patron a immédiatement licencié le DG Parag Agrawal et deux autres dirigeants, le directeur financier Ned Segal et la responsable des affaires juridiques Vijaya Gadde, selon des sources anonymes de la chaîne CNBC et du Washington Post. A cette occasion, nous vous proposons de relire cet article.
Mais que va faire le dirigeant de Tesla de son nouveau jouet ? En dix jours seulement, la proposition de rachat de Twitter d’Elon Musk s’est concrétisée. L’homme le plus riche du monde s’est offert le réseau social pour 44 milliards de dollars, un accord qui devrait être finalisé fin 2022 d’après le communiqué officiel. Ce rachat questionne sur l’orientation future de l’oiseau bleu alors que le fondateur de Space X est connu pour ses prises de position radicales, notamment en faveur d’une liberté d’expression décomplexée. 20 Minutes s’est interrogé sur les bouleversements que ce changement de direction pourrait provoquer sur Twitter.
Le « free speech » à l’américaine
« La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie fonctionnelle et Twitter est la place publique numérique où sont débattues des questions vitales pour l’avenir de l’humanité », a déclaré Elon Musk dans le communiqué officiel du rachat. La première volonté du milliardaire en s’achetant Twitter est donc de sacraliser cette liberté de parole. « Il a une vision extrêmement libertariste de la liberté d’expression et voit Internet comme une frontière à conquérir, à dépasser », réagit Anuchika Stanislaus, spécialisée en politiques publiques du numérique.
La marge de manœuvre d’Elon Musk en faveur d’une expression sans contrainte sera cependant limitée. L’Union Européenne vient de trouver un accord sur le DSA, «Digital Service Act», qui imposera aux plateformes de retirer « promptement » tout contenu illicite et de suspendre les utilisateurs qui violent « fréquemment » la loi. Si l’homme d’affaires a stipulé être conscient que Twitter devra se soumettre aux lois des différents pays, ces dernières pourraient donc se durcir dans les années à venir.
Moins de modération pourrait revenir à encore plus de modération
Car « toutes les plateformes vont être confrontées à cette question [de modération] et vont devoir évoluer alors que jusqu’ici elles jouissaient d’un environnement peu contraignant », analyse Henri Isaac, qui dirige le master Management, Télécoms et Médias de l’université Paris-Dauphine. « Peut-être qu’aux Etats-Unis, il pourra faire quelque chose mais en Europe, ça sera plus difficile », ajoute-t-il. D’autant que le milliardaire aspire à modérer uniquement ce qui est illégal dans un pays donné, une vision qui obligerait la plateforme à former et à assigner des modérateurs à des législations précises.
Car « ce qui est à modérer en Inde, ne l’est pas forcément aux Philippines », souligne Anuchika Stanislaus qui estime que l’entrepreneur « retourne 15 ans en arrière avec 0 réflexion sur la modération ». Par exemple, le négationnisme n’est pas sanctionné outre-Atlantique alors qu’il est interdit chez nous. La volonté d’Elon Musk de ne pas établir de règles à l’échelle mondiale pour modérer au minimum pourrait donc pousser Twitter à dépenser plus en modération. D’autant qu’en 2021 la plateforme avait révélé employer moins de 2.000 modérateurs dans le monde.
Le maître-mot : la transparence
Elon Musk souhaite aussi s’attaquer au manque de transparence de la plateforme. Pour ce faire, le magnat de la tech souhaite rendre son algorithme public afin « d’augmenter la confiance » des utilisateurs. Pour Henri Isaac qui a dirigé le Think-tank Renaissance Numérique, mettre la recette de Twitter en open source « pourrait permettre d’améliorer le réseau collectivement, de le rendre plus sain et plus efficace ». Cette annonce permettrait de « vérifier comment fonctionne l’algorithme » qui est, d’après lui, « trop facilement manipulable ».
Au contraire, Anuchika Stanislaus s’inquiète que des « acteurs malveillants en profitent pour promouvoir leurs propres produits alors que les codes sources ne sont habituellement révélés qu’à des chercheurs, des personnes habilitées ». Parmi les acteurs malveillants de Twitter figurent les bots que le cofondateur de PayPal veut « vaincre ou mourir en essayant ». Ces comptes automatisés sont souvent utilisés afin de harceler en masse des utilisateurs ou de faire remonter des sujets sur la plateforme. Pour s’en débarrasser, Elon Musk ambitionne notamment d’authentifier tous les humains qui utilisent Twitter.
Sortie de bourse
Afin de « réaliser le potentiel » de Twitter, Elon Musk souhaite sortir de la Bourse, une opération qui donnera plus de marge de manœuvre à son nouveau propriétaire et la protégera économiquement le temps d’une métamorphose dont de nombreux aspects restent flous. Libéré des contraintes du marché, le milliardaire va pouvoir travailler à un nouveau modèle économique pour Twitter.
Car, avec ses 217 millions d’utilisateurs quotidiens contre 1,929 milliard pour Facebook et 500 millions pour Instagram, Twitter fait office de nain dans son monde. L’oiseau bleu est aussi à la peine quand il s’agit de faire les comptes : l’entreprise a mis douze ans à dégager un bénéfice et son chiffre d’affaires de cinq milliards de dollars en 2021 reste faible à côté de ceux de ses concurrents. « C’est un réseau social qui a toujours eu du mal à monétiser ses audiences », souligne Henri Isaac qui dirige le master Management Télécoms et Médias de l’université Paris-Dauphine.
Twitter bientôt en freemium ?
Avec une parole libérée, Twitter qui peinait déjà à attirer les annonceurs frileux à l’idée d’être associés à des contenus sulfureux, devra probablement changer de modèle économique. Jusqu’ici basé sur la publicité, le réseau social pourrait passer à un modèle freemium qui allie une offre gratuite et une offre payante, avec plus de fonctionnalité. Le bouton « edit » (modifier) pourrait, par exemple, être réservé aux Twittos qui payent.
La plupart des réseaux sociaux sont gratuits mais « il existe des modèles alternatifs même s’ils sont peu nombreux », souligne Henri Isaac qui cite notamment Linkedin et Xing, un réseau social professionnel germanophone. Elon Musk a toutefois assuré que son acquisition de l’oiseau bleu n’était pas « du tout » à des fins économiques dans une conférence Ted Talks le 14 avril dernier.
Nouvelle aventure pour l’oiseau bleu
Reste que le fondateur de Space X est un entrepreneur aguerri. De PayPal jusqu’à la conquête spatiale, Elon Musk a su rivaliser d’audace et de détermination afin de faire fructifier ses entreprises. Le défi pourrait être de taille avec l’oiseau bleu qui n’est jamais parvenu à trouver son modèle économique.
Les changements qu’Elon Musk pourrait insuffler à la plateforme sont donc nombreux et, au-delà des questions prévisibles qui se profilent, pourraient nous surprendre. « Jusqu’ici, on ne voyait pas très bien où ce réseau social allait. C’est peut-être une opportunité de se réinventer pour Twitter », souligne Henri Isaac pour qui c’est, « en tout cas, un signal que les choses sont en train de changer dans cet espace ».