Equipe de France : « Je perçois déjà des ondes positives », se réjouit Guy Stéphan à deux semaines du début de l’Euro

INTERVIEW Guy Stéphan, le fidèle adjoint de Didier Deschamps en équipe de France depuis 2012, nous a livré ses premières impressions sur le groupe appelé à jouer la gagne lors de cet Euro 2021

Propos recueillis par Aymeric Le Gall
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Comme en 2018, Guy Stéphan sent des ondes positives autour de l'équipe de France, à la veille d'entamer l'Euro 2021.
Comme en 2018, Guy Stéphan sent des ondes positives autour de l'équipe de France, à la veille d'entamer l'Euro 2021. — AFP
  • Guy Stéphan va entamer sa sixième phase finale d’une grande compétition internationale, sa quatrième en tant qu’adjoint de Didier Deschamps.
  • Avant le début de l’Euro, le Costarmoricain a accepté de revenir avec nous sur l’état d’esprit qui anime le groupe à l’aube de cette nouvelle aventure.
  • S’il admet que les Bleus font partie des grands favoris de cet Euro 2021, le Breton a conscience que le chemin vers le titre de champion d’Europe n’est pas tracé d’avance.

Fidèle adjoint de Didier Deschamps depuis leur première aventure à l’Olympique de Marseille en 2009, Guy Stéphan est une pièce maîtresse du staff de l'équipe de France depuis bientôt dix ans. Aujourd’hui, il entame sa sixième compétition internationale – la quatrième avec DD – avec toujours le même plaisir. A quinze jours tout pile du premier match des Bleus à Munich contre l’Allemagne, le Costarmoricain s’est confié à 20 Minutes pour nous donner ses premières impressions sur la cuvée 2021 de l’équipe de France.

En préparant cet entretien, on est tombé sur vos carnets du Mondial 2018 que vous aviez partagés avec nos confrères du Parisien. Avez-vous entamé le nouveau pour l’Euro ?

Oui j’ai commencé à en tenir un autre. Je fais ça parce que je retiens mieux quand j’écris, c’est aussi simple que ça. Je suis peut-être de l’ancienne génération, sûrement même (rires) et même si je me suis mis aux nouvelles technologies, rien ne remplace le cahier. J’écris de tout. Ça me permet quand j’ai un petit trou de mémoire de revenir en arrière, de me replonger dans mes petits cahiers, qui sont quand même assez nombreux aujourd’hui !

Il vous arrive de les feuilleter en souvenir du bon vieux temps ?

Oui ça m’arrive, pas plus tard qu’il y a quelques jours d’ailleurs. On a fait une sortie en VTT mercredi, le premier jour du rassemblement, dans la forêt de Clairefontaine, et à un moment je me suis retrouvé à côté de Didier et je lui ai dit « tu te rappelles la super balade à vélo qu’on avait fait tous les deux en Russie ? ». Là-bas on ne sortait jamais à part pour les matchs, pour aller aux terrains d’entraînement, et un jour on avait décidé de faire une balade rien que tous les deux pour s’oxygéner, échanger, ça nous avait fait un bien fou. Voilà, un truc comme ça, je ne m’en serais peut-être pas souvenu si je n’étais pas retombé dessus quelques jours avant dans mon carnet de Russie.

A l’époque vous écriviez pendant la prépa que vous sentiez bien le groupe, que l’ambiance était extraordinaire et que ça allait donner le ton pour la suite. Aujourd’hui, si vous deviez décrire ce qui se dégage du groupe actuel, qu’écririez-vous ?

Je mettrais déjà un petit bémol car tout le monde n’est pas encore arrivé [l’interview a été réalisée le vendredi 28 mai], il manque Pogba, Zouma, Kanté et Giroud. Pour le reste, je perçois déjà des ondes positives, je trouve qu’en matière de cohésion, de complicité, pour des premiers jours, on est dans le vrai. Et je pense que ça ne peut qu’aller en se bonifiant une fois que le groupe sera au complet. Mais bon, une fois qu’on a dit ça… Confirmer c’est la chose la plus difficile qu’il y a dans le football. Quand on regarde ce qui est arrivé aux grandes équipes nationales par le passé, les Allemands qui sont champions du monde en 2014 et qui volent en éclat en 2018 en se faisant sortir au premier tour par la Corée du Sud, c’était inimaginable. Je pourrais donner plein, plein d’exemples encore : les Espagnols qui ont dominé le football européen et mondial en 2008, 2010 et 2012 et qui depuis ont beaucoup de mal à passer, ils ne sont jamais dans le dernier carré, voire jamais en quarts, ils ont énormément de mal. Alors évidemment que la France l’a fait en 98 et en 2000 et les gens espèrent qu’on le refasse – nous aussi, on aimerait le refaire – mais c’est dur de confirmer, il y a beaucoup d’obstacles nouveaux qui se présentent à nous.

Est-ce vraiment plus dur de confirmer ?

Oui parce qu’on a un peu tous tendance, même si on essaye de lutter contre ça, à s’installer dans une sorte de confort. Or le confort n’est jamais générateur d’efforts. Voilà, c’est ça qu’il faut combattre, même si pour le moment je ne ressens pas ça depuis le début de la préparation, mais il faut être extrêmement vigilant là-dessus. Et puis il y a une autre donnée qui est importante et dont on ne connaît pas encore les conséquences aujourd’hui, c’est le Covid. L’UEFA nous oblige à vivre en bulle pendant toute la durée de la compétition. Ça veut dire que du début à la fin, entre le premier jour de rassemblement et le dernier, que j’espère le plus tard possible, il peut s’écouler plus d’un mois et demi. Et pendant ce temps-là, on ne va voir ni nos épouses, ni nos compagnes, ni nos enfants, ne serait-ce qu’un jour comme on avait pu le faire à la Coupe du monde 2018. On ne peut pas savoir comment on va le gérer, le vivre au quotidien, puisque ça n’est jamais arrivé dans l’histoire. Aujourd’hui je vois des sourires, je vois les joueurs faire des efforts, je vois beaucoup de choses positives. Après il faudra que ça dure dans le temps.

Le regard du grand public et des médias a changé depuis le sacre en Russie, on a même la sensation qu’il y a un énorme engouement autour des Bleus cette année…

(Il coupe) Ça s’est même beaucoup amplifié depuis quelques jours, je ne sais pas pourquoi (rires) !

Le retour de Benzema y est aussi pour quelque chose. On sent de grosses attentes et une grosse confiance autour de l’équipe de France. Qu’est-ce que ça change dans la manière d’appréhender l’événement et de gérer le groupe ?

On sent que l’opinion publique générale, médias compris, est beaucoup plus positive aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a trois ans. Mais ça m’encourage à répéter qu’il faut être très vigilant parce qu’historiquement, la France n’a jamais été très bonne dans la compétition lorsqu’elle était favorite. Il faut donc être encore plus rigoureux que par le passé, beaucoup plus attentif, beaucoup plus exigeants aussi. Ça n’empêche pas de le faire en gardant le sourire, ça n’empêche pas la bonne humeur dans le groupe, mais aujourd’hui on n’est qu’au début de l’aventure et, même s’il y a des ondes positives, il faut garder le cap. Et garder le cap c’est faire des efforts.

Ça se traduit comment dans la vie de tous les jours ?

On va d’abord beaucoup travailler sur le terrain, on va faire en sorte de monter le niveau d’exigence au fil des entraînements, d’actionner tel ou tel levier si l’on constate qu’il y a moins d’enthousiasme ou moins de course dans les entraînements. Je ne vois pas pourquoi il y en aurait, mais on va être très attentif au moindre détail de ce genre. On va aussi être vigilant dans la vie de tous les jours, c’est-à-dire dans tout ce qui se passe en dehors des entraînements, les soins, la nutrition, la récupération, tout ce qui fait qu’un groupe travaille bien et peut espérer aller loin dans la compétition.

Vous avez certainement entendu Kinglsey Coman parler à maintes reprises de la « meilleure attaque du monde » et de la « meilleure équipe du monde ».

Oui, ça en Allemagne ça n’a pas dû passer inaperçu (rires) !

Comment lisez-vous ce genre de propos plein de confiance ?

C’est bien d’être confiant. Kingsley est un jeune joueur pétri de qualités, qui a confiance en lui et en son groupe. Déjà, c’est bien la preuve que les joueurs ne sont pas bridés, qu’ils peuvent dire ce qu’ils ont envie de dire, qu’il n’y a pas d’éléments de langage. Il l’a dit parce qu’il l’a ressenti comme ça sur le moment, mais ce n’est pas parce qu’on est les meilleurs qu’on gagne. Je ne sais pas s’il l’a ajouté mais il aurait pu (sourire). Mais on ne lui en veut pas pour ça !

Au fil de vos carnets de Russie, vous revenez souvent sur les critiques auxquelles a dû faire face l’équipe de France au fil de la compétition. Vous êtes même allé face à la presse avant le quart de finale contre l’Uruguay. Pourquoi en avez-vous ressenti le besoin ? Ces critiques ont-elles touché le groupe à l’époque ?

Je me souviens d’une question d’un journaliste sur le fait qu’on avait beaucoup changé de systèmes de jeu pendant la préparation et les matchs de poule, ce qui était vrai, on était passé du 4-3-3 au 4-4-2 pour finalement arriver sur un 4-2-3-1 qui nous a ensuite quasiment accompagnés jusqu’au bout. Évidemment qu’on avait entendu les critiques, qui étaient assez fortes surtout après le match nul (0-0) contre le Danemark, et j’avais expliqué qu’on jouait souvent contre des équipes qui avaient un bloc bas et qu’on avait des difficultés pour trouver la faille. Dire qu’on a été touché, non. Dire qu’on a été sensibilisé, oui, parce que je lis fréquemment la presse, ce qui se dit sur les sites. Didier beaucoup moins, il ne veut pas trop en entendre parler, même si à l’arrivée il finit par savoir beaucoup de choses (rires) ! Je me souviens bien de ce jour-là car ce n’est pas dans mes habitudes de me présenter en conférence de presse, mais là j’avais ressenti le besoin de venir face aux médias pour faire un peu de pédagogie, pour résumer la manière dont Didier abordait les choses lors de ce Mondial d’un point de vue tactique. C’est bien d’avoir des interactions de ce style avec les journalistes parce que vous nous suivez au quotidien, mais il y a parfois des séances à huis clos et c’est souvent durant ces séances qu’on est un peu plus pédagogique avec les joueurs.

Les critiques négatives ont-elles pu être un levier, même inconsciemment, pour motiver encore les joueurs ?

Oui, peut-être inconsciemment, mais Didier ne s’en est jamais servi dans ses causeries par exemple. Je pense que ça tient plus de l’inconscient en effet. Que les joueurs aient eu des retours sur les critiques, notamment après le Danemark, c’est possible. Mais le match de l’Argentine arrive très vite derrière et ça s’estompe un peu. Un match contre l’Argentine qu’on gagne parce qu’on a été meilleurs, parce qu’on a gagné le match tactiquement contre Messi et les autres. C’est un moment important dans notre aventure. Déjà, c’est le seul de toute la compétition où on a été mené au score, pendant neuf minutes, un match où on a marqué quatre buts, où il y a eu des retournements de situations. Et puis c’est l’Argentine, quoi ! Ça a donné une confiance énorme au groupe et c’est là qu’on a vu l’état d’esprit, la cohésion qui se dégageait. Quand on marque un but et qu’on voit dix remplaçants en train de rentrer sur le terrain alors qu’ils n’en ont pas le droit, voilà, on sent que ça bouillonne dans le bon sens.

Il y a une bascule qui s’effectue.

Voilà. Et évidemment que c’est venu sur un match à élimination directe parce qu’il y avait deux solutions : soit on passait, soit on rentrait à la maison. On a préféré renvoyer les Argentins à la maison (sourire).

Vous allez entamer votre quatrième compétition internationale avec le sélectionneur et votre sixième au total [Guy Stéphan était l’adjoint de Roger Lemerre en 2000 et 2002]. En quoi diriez-vous que vous avez évolué avec Didier ? Qu’avez-vous appris dans la gestion de ce genre d’événements ?

Je dirais aujourd’hui que chaque détail compte, voilà. Du flocage des maillots à l’utilisation de la meilleure tactique possible pour battre l’Allemagne, tout compte. L’expérience sert, c’est la quatrième compétition qui va commencer pour Didier en tant que sélectionneur (c’est d’ailleurs le seul dans l’histoire du foot français à avoir fait ça), donc forcément on n’est plus les mêmes qu’au départ. Mais ce qui change cette fois-ci, c’est quand même qu’on est un peu favoris.

Un peu ?

Oui, un peu (sourire). C’est une étiquette qu’on n’a pas eue jusqu’à présent. Pas en Russie, pas au Brésil, un peu en 2016 car on jouait à la maison mais ce n’était pas aussi fort qu’aujourd’hui. Donc c’est un élément nouveau et ça veut dire, encore une fois, plus d’exigences et de travail.