Comment des athlètes de haut niveau parviennent-ils à enfin vivre de leur passion grâce à LinkedIn ?

HORS-TERRAIN Entrepreneur en marketing digital, Thibaut Perrillat a aidé l’an passé son frère jumeau Duncan, champion de France de marathon, à trouver des financements essentiels pour sa carrière sportive, via le célèbre réseau social

Jérémy Laugier
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Les frères jumeaux Perrillat, Duncan et Thibaut (29 ans), ont tous les deux donné un nouvel élan à leur carrière professionnelle l'an passé, via LinkedIn et la création du projet Lactique.
Les frères jumeaux Perrillat, Duncan et Thibaut (29 ans), ont tous les deux donné un nouvel élan à leur carrière professionnelle l'an passé, via LinkedIn et la création du projet Lactique. — Thibaut Perrillat
  • Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « Hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous consacrons au projet Lactique, lancé il y a six mois par l’entrepreneur Thibaut Perrillat afin d’aider son frère marathonien, puis une quinzaine d’athlètes français, à trouver de nouveaux sponsors via LinkedIn.
  • « Il faut désormais être un mélange d’athlète et d’influenceur », note Duncan Perrillat (29 ans), champion de France de marathon et enfin libre de vivre de sa passion, en partie grâce à la démarche de son frère jumeau.

Et si LinkedIn devenait le réseau social star des athlètes en vue des Jeux olympiques de Paris, nettement devant Instagram, Facebook, Twitter et Strava ? OK, on vous voit vous marrer en imaginant Teddy Riner et sa photo de profil en costard cravate nous dévoiler son business plan pour conquérir sa 57e médaille olympique en août 2024. Plus sérieusement, un passionné de sport et free-lance en marketing digital, Thibaut Perrillat, a lancé il y a six mois le site Lactique. Son objectif ? « Améliorer la notoriété de marques en les associant à des athlètes de haut niveau ». Pour bien comprendre la récente démarche professionnelle de ce jeune entrepreneur de 29 ans, originaire de Grenoble, il faut se pencher sur son histoire personnelle.

En septembre 2019, son frère jumeau Duncan rêve de haut niveau en course à pied, tout en étant sur le point d’accepter un emploi dans l’événementiel à Londres. « S’il s’engageait sur ce poste très prenant, il allait à coup sûr s’arrêter de courir, note Thibaut Perrillat. Je l’ai convaincu de tout tenter pour vivre de sa passion, et je me suis donné comme objectif de l’aider. » Côté sportif, Duncan Perrillat s’en sort très bien, une fois fixé sur sa distance fétiche, le marathon. Sur cette longue distance (42,195 km) depuis un an et demi, il enchaîne les performances, en devenant même champion de France… pour son tout premier marathon à Rennes, en 2h14 en octobre 2021.

Duncan Perrillat a changé de dimension en octobre 2021, en remportant le marathon de Rennes en 2h14.
Duncan Perrillat a changé de dimension en octobre 2021, en remportant le marathon de Rennes en 2h14. - STADION-ACTU/SIPA

Secrétaire médical à mi-temps au cabinet des parents

Une sombre histoire de maillot de club non porté le jour de la course lui coûte finalement ce titre. Mais ce n’est que partie remise, puisque le voilà bel et bien champion de France en novembre dernier à Deauville (en 2h17), et également champion d’Europe de cross-country par équipe sur 10.000 m (en décembre 2021 à Dublin), et détenteur d’un record personnel à 2h12. Mais malgré cet enchaînement de grosses performances sportives, sa réalité économique a longtemps été moins réjouissante. On parle en effet d’une discipline où même ce récent titre de champion de France ne lui a pas apporté de prime de la Fédération française d’athlétisme, hormis 500 euros de la part des organisateurs de la course à Deauville.

« A défaut de sponsors, j’ai longtemps eu besoin de garder mon emploi à mi-temps comme secrétaire médical dans le cabinet de mes parents à Grenoble, explique l’intéressé. Je pouvais ainsi m’entraîner le matin et le soir, mais ce n’était pas l’idéal pour progresser. » Le tournant a lieu en avril 2022, lorsque Thibaut Perrillat tente un message sur son compte LinkedIn pour parler de son frère, au moment où celui-ci va arriver à la fin de ses allocations-chômage.

Duncan avait atteint un super niveau et je cherchais le bon moyen pour l’aider. J’avais essayé de contacter directement des entreprises, puis j’ai compris qu’il fallait raconter son histoire pour le mettre en avant. Finalement, ce message LinkedIn était le bon canal B to B pour du "personal branding" [marketing personnel], comme on trouve sur LinkedIn tous les décisionnaires. »

Des revenus annuels augmentés de 25 %

Une démarche qui porte ses fruits, avec 25 entreprises rapidement intéressées par le parcours de Duncan. « Je n’y croyais pas plus que ça mais son post a vraiment touché beaucoup de monde, sourit le marathonien. En quelques mois, ça a clairement été un plus pour moi, à une période qui devenait compliquée sur le plan financier. J’ai maintenant de quoi partir en compétition et en stage, comme ce mois-ci au Kenya, sans me poser de questions. » Outre son partenaire principal, la marque Hoka, qu’il avait obtenu auparavant via ses performances sportives, Duncan bénéficie depuis cet épisode de l’aide d’une entreprise sous forme de mécénat (3.500 euros par an), et de 8.000 euros par an de sponsoring de la part de Peyce, une plateforme recensant les courses françaises.

Deux opportunités obtenues grâce à ce fameux message du frangin sur LinkedIn. Ce licencié à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), qui n’a plus besoin d’avoir un travail alimentaire, a ainsi vu ses revenus annuels augmenter de 25 % grâce aux démarches de Thibaut. Il s’est évidemment lui-même mis sur LinkedIn dans la foulée et n’est plus le seul athlète tricolore à bénéficier de l’aide de Thibaut. Car ce dernier, qui réside depuis deux ans à Valence (Espagne), ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Par le biais de Lactique, il collabore notamment avec Baptiste Mischler (demi-fond), qui a participé aux JO de Tokyo sur 1.500 m, le champion du monde de kick-boxing Ange Künzli, et Lilou Ressencourt, nageuse et championne de France de 200 m papillon.

Un cycliste professionnel touchant 1.000 euros par mois

« Dans tous les sports individuels, la plupart des athlètes de haut niveau sont confrontés à la même problématique que mon frère pour vivre de leur passion, note Thibaut Perrillat. Ces disciplines passent très peu à la télévision, et être performants ne leur suffit pas pour pouvoir bien vivre. Il ne faut pas croire que ça ne touche que des sportifs qui se lancent. J’ai même des médaillés olympiques qui m’ont contacté. » Le cycliste Louis Contal fait également partie des 15 athlètes qu’il a convertis à LinkedIn, « la plateforme numéro 1 pour obtenir du sponsoring sportif » selon lui. Ce Lorrain de 24 ans, actuellement dans sa deuxième saison professionnelle pour l’équipe espagnole Java Kiwi Atlantico (3e division internationale), ne touche que 1.000 euros par mois, en incluant ses sponsors personnels. Autant dire que ses débuts n’ont jusque-là de professionnels que le nom.

A 24 ans, le Lorrain Louis Contal entame sa deuxième saison de cycliste professionnel.
A 24 ans, le Lorrain Louis Contal entame sa deuxième saison de cycliste professionnel. - L.C.

« Je ne pourrai évidemment pas rester dix ans dans cette situation, confie-t-il. En fin de saison dernière, j’ai démarché 800 entreprises et je n’ai pas eu de véritable retour. Le marketing, ce n’est pas mon truc et j’avais besoin d’aide. » C’est donc là que Thibaut Perrillat intervient à la rescousse, comme justicier digital. « Deux fois par semaine, je raconte sur LinkedIn mes recherches de sponsors de cet hiver, ou je donne par exemple des conseils de cyclisme au grand public », détaille Louis Contal. Thibaut Perrillat précise pourquoi la formule du contenu sportif partagé par les athlètes sur ce réseau social a d’après lui de l’avenir.

Les entreprises sont prêtes à du sponsoring sportif mais elles veulent une contrepartie. Pour elles, ça a énormément de valeur d’être associées aux contenus digitaux d’un athlète. Ça humanise la marque et ça la démarque. Je forme donc les athlètes à écrire, à raconter leur sport de l’intérieur et à y associer ces entreprises, que ce soit dans un post LinkedIn, une newsletter ou peut-être bientôt un podcast. Pour susciter de l’engagement, ces contenus sont plus importants que d’annoncer combien de kilomètres ils ont courus à l’entraînement ou même de buzzer sur Instagram. »
Duncan Perrillat, ici lors des championnats d'Europe de cross country remportés en 2021 avec l'équipe de France à Dublin (Irlande).
Duncan Perrillat, ici lors des championnats d'Europe de cross country remportés en 2021 avec l'équipe de France à Dublin (Irlande). - GELLY/STADION/SIPA

« Quasiment obligés de communiquer sur les réseaux »

Thibaut Perrillat, qui compte près de 15.000 abonnés sur son compte LinkedIn, où il « raconte l’histoire de sportifs de haut niveau pour inspirer les entreprises », assure donc le lien entre les deux parties. Quelle est finalement la balance idéale entre sportif et communication sur les réseaux, en 2023, pour un athlète en quête de sponsors pour augmenter ses revenus ? « Le sportif doit rester la priorité, car tout part des résultats, tranche notre cycliste au profil de baroudeur Louis Contal, qui n’a pour l’instant obtenu qu’un seul podium sur une course de niveau national à Villaz (Suisse). A moi d’obtenir des places d’honneur pour être visible et attirer équipementiers et sollicitations. Jusque-là, je suis dans un engrenage car si je n’obtiens pas vite de meilleurs résultats, je n’ai pas de nouveaux sponsors, donc je ne peux pas me libérer d’un poids sur le plan financier. Mais il est certain qu’on est quasiment obligés de communiquer sur les réseaux sociaux après une course pour rester visibles auprès de tous. »

Duncan Perrillat, dont l’objectif ultime sera de faire partie des trois marathoniens français sélectionnés pour les JO de Paris, complète : « Plus tu as de visibilité sur les réseaux et plus tu intéresses les sponsors, ce qui n’était pas du tout un enjeu il y a dix ans. Il faut désormais être un mélange d’athlète et d’influenceur ». Ou avoir un frère jumeau à la pointe du marketing digital.