Dans l’ombre du surf, le très populaire bodyboard a du mal à refaire surface

HORS-TERRAIN Alors que des millions d’amateurs s’amusent dans les vagues allongés sur leur planche, le bodyboard peine à attirer des licenciés, souffrant de l’écrasante médiatisation du surf

Camille Allain
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Le bodyboard permet de surfer sur toutes les vagues du monde, même les plus creuses et les plus rapides.
Le bodyboard permet de surfer sur toutes les vagues du monde, même les plus creuses et les plus rapides. — A. Lavernhe
  • Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous intéressons au bodyboard, à l’occasion de la relance du tour mondial, vendredi au Chili, où plusieurs Français espèrent briller.
  • Dans l’ombre du surf, la discipline est très pratiquée par les vacanciers mais ne parvient pas à fidéliser ses pratiquants.

Il a été le premier Européen à remporter le tour mondial. Mais dans les allées de l’aéroport de Santiago, Amaury Lavernhe est un voyageur lambda. Au moment où nous l’appelons dans le brouhaha de la capitale du Chili, le double champion du monde est sur le chemin d’Arica, où se déroulera la première des huit étapes du tour mondial de bodyboard vendredi. Dans ses valises, deux vieilles planches de la marque Sniper, trois combinaisons en néoprène, deux paires de palme et une grosse envie de briller.

Son objectif ? « Faire un top 3 », glisse le Réunionnais. Du haut de ses 36 ans, le rider français s’estime « à son meilleur niveau ». Pourtant, c’est sur son budget personnel qu’il se rend en Amérique du Sud pour la plus grande compétition mondiale d’une discipline en manque criant de reconnaissance. Une illustration ? Le vainqueur de cette étape chilienne devrait empocher environ 4.000 euros, soit l’équivalent du salaire mensuel d’un joueur de football de 3e division française.

« Certaines personnes du surf ont volontairement fait de l’ombre au bodyboard »

Depuis qu’il a commencé le bodyboard il y a 25 ans, Amaury Lavernhe n’a jamais vu son sport retrouver la hype qu’il avait dans les années 1990. Le rider français livre une explication franche à cette « crise ». « Au début des années 2000, certaines personnes du surf ont volontairement fait de l’ombre au bodyboard parce qu’il était en train de prendre trop de place. D’un coup, on a vu toutes les marques connues comme Rip Curl, Billabong ou Quicksilver abandonner le sponsoring. »

Lentement, la planche de mousse a vu sa popularité reculer et ne compte aujourd’hui qu’une poignée de licenciés. Ses pratiquants ne représentent désormais que 8 % des adhérents de la Fédération française de surf, contre 20 % dans les années 1990. « Et on ne peut pas avancer sans licenciés car en France, le sport fonctionne par fédération. Le mercredi après-midi, les parents veulent un prof, un club, un horaire d’entraînement comme au karaté. Mais on n’en a pas », regrette le champion français.

« On nous voit comme un sport de plage tel le frisbee »

D’autres grands noms de la discipline ont des mots durs pour analyser la situation. « On nous voit comme un sport de plage tel le frisbee. Et sur certains spots, on passe un peu pour des m… », reconnaît Julien Le Séhan. Celui-ci est le président du Minou Surf Club à Plouzané, dans le Finistère. A lui seul, le Breton est capable de dresser une liste longue comme le bras d’arguments en faveur du bodyboard.

C’est assez facile, plus léger à manier que le surf, moins cher en matériel. Les débutants passent plus facilement la barre et peuvent se faire plaisir très vite sans avoir peur. C’est un sport très complet. Dès que tu essaies, tu es séduit ».

Le hic, c’est qu’il est difficile de convaincre les gamins d’opter pour la planche de mousse. « Ils veulent tous devenir comme Kelly Slater ou Jérémy Florès. Les surfeurs, c’est un peu des rock stars ». Pourtant, tous ceux qui ont déjà barboté dans les vagues l’été se sont délectés des sensations de glisse de ce sport physique mais tellement euphorisant. « La sensation de vitesse est unique. Tu es au ras de l’eau, tu as l’impression de voler au-dessus de l’océan dans un environnement sauvage. C’est un sport formidable », abonde Pierre-Louis Costes.

Double champion du monde, Amaury Laverhne est l'un des meilleurs représentants français du bodyboard.
Double champion du monde, Amaury Laverhne est l'un des meilleurs représentants français du bodyboard. - AR Photographer

« Les mentalités peuvent changer »

Le champion du monde français est une des références de la discipline. Et le seul Français à en vivre, grâce à des sponsors fidèles qui l’accompagnent depuis plusieurs années. « J’ai l’impression que le bodyboard a souffert d’une image dégradée. Je pense que les mentalités peuvent changer si on arrive à avoir des résultats sur le tour mondial », estime celui qui a découvert son sport dans les vagues du Maroc avec une planche de piscine. Le grand défi de la discipline, c’est de fidéliser.

« C’est un sport peu connu que presque tout le monde a déjà pratiqué. C’est fou. Combien de gens ont déjà été dans les vagues avec une planche dauphin achetée au supermarché du coin ? », s’interroge Stéphane Sisco. Celui qui officie comme attaché de presse de la Fédération française de surf est un fou de bodyboard. Lui aussi a commencé dans les vagues abruptes de Saint-Leu, à la Réunion. Son regard sur sa passion invite à la réflexion. « Tout le monde veut faire du surf parce que c’est le rêve. C’est un peu la même différence entre le ski et la luge », estime Stéphane Sisco. Mais qui prendrait un cours pour apprendre à faire de la luge ?

Les épreuves olympiques de surf des JO de Paris 2024 se dérouleront à Tahiti sur le spot mythique de Teahupoo.
Les épreuves olympiques de surf des JO de Paris 2024 se dérouleront à Tahiti sur le spot mythique de Teahupoo. - G. Boissy/AFP

Le surf règne en maître sur le monde de la glisse

Devenu sport olympique depuis les JO de Tokyo, le surf règne en maître sur le monde de la glisse, écrasant les autres disciplines. A deux ans d’accueillir les épreuves à Tahiti pour les JO de Paris en 2024, le bodyboard français a déjà fait les frais de l’hégémonie de son « grand frère ». Il y a quelques semaines, il a été sorti de la liste des sports de haut niveau du ministère français. Conséquence : le robinet des aides publiques est coupé. A la place du bodyboard, le ministère préfère subventionner le stand-up paddle et le parasurf, privant plusieurs athlètes de haut niveau d’une aide modeste mais précieuse. L’histoire est cruelle quand on sait que la vague de Teahupoo, où se dérouleront les épreuves olympiques, a été découverte par un bodyboarder.

Réputée comme l’un des spots les plus dangereux du monde, la vague de Tahiti est autant adorée des bodyboarders que crainte des surfeurs. « Le bodyboard a cet avantage de passer partout. Tu peux rider toutes les vagues », assure Pierre-Louis Costes. Le Français reconnaît avoir frôlé l’impossible quand il a participé à l’Annaëlle Challenge l’hiver dernier.

La fameuse vague Annaëlle déferle près d'une petite île située au large de Lampaul-Ploudalmézeau, dans le Finistère.
La fameuse vague Annaëlle déferle près d'une petite île située au large de Lampaul-Ploudalmézeau, dans le Finistère. - E. Berthier

L’avenir de la discipline se dessine chez les plus jeunes

Cette compétition organisée sur un spot secret du nord Bretagne a donné lieu à des murs d’eau dans lesquels aucun surfeur ne se serait aventuré. « C’était absolument énorme, je n’avais jamais vu ça », reconnaît le local Julien Le Séhan. Ces vagues très creuses et très rapides sont la meilleure publicité qui existe pour le bodyboard, qui ne se prive pas pour vanter son côté très spectaculaire. « On peut envoyer des manœuvres aériennes impossibles à faire en surf avec des vagues immenses que les surfeurs ne peuvent pas prendre », assure Stéphane Sisco.

Comme toujours, l’avenir de la discipline se dessine chez les plus jeunes. Et il y a de bons motifs d’espoir quand on regarde les spots français, où les planches en mousse font un retour discret. La raison est « cyclique ». Bercés par leurs parents qui ont connu l’âge d’or du bodyboard, de plus en plus d’adolescents optent pour la biscotte par mimétisme. Bodyboard is not dead.