Tennis : Déprimé et obstiné, Benoît Paire est-il en train de se noyer dans sa propre caricature ?
ATP L'inquiétude grandit autour de Benoît Paire, qui cache son spleen derrière des provocations au point de tomber parfois dans la caricature
- Benoît Paire n'a remporté qu'un match en 2021 dans un circuit sous cloche qui lui plombe le moral.
- Le Français exprime son mal-être au travers de matchs balancés et de déclarations polémiques, au point d'agacer les observateurs.
- Paire ne compte cependant pas faire de break et sera présent à Monte-Carlo, pour le premier Masters 1000 sur terre-battue de la saison.
« Reprise du sport après cinq semaines d’arrêt. » Personne ne trolle mieux Benoît Paire que Benoît Paire lui-même. De retour sur ses terres après avoir bazardé une tournée américaine qui avait pourtant commencé par une victoire contre Jarry à Cordoba – son seul succès en 2021 – le Français continue d’amuser ses followers comme si de rien était. Quelques jours plus tôt, après son élimination au premier tour à Miami, il se filmait, bougie magique à la bouche, en train de s’ambiancer comme jamais. Avec un message pour ses détracteurs : « arrêtez de parler, ça sert à rien » .
La veille, sa grande amie Marion Bartoli suggérait dans un débat sur le site Tennis Majors de sanctionner le 33e joueur mondial, exhortant l’ATP à « prendre ses responsabilités » devant le manque de motivation affiché par Paire sur le terrain et derrière les micros. De fait, le hipster du circuit a déjà écopé d’une amende de 5.500 euros et formulé une lettre d’excuses au comité d’éthique de la FFT après son « Grand Chelem » – de Buenos Aires, où il avait complètement dégoupillé pour une banale histoire de trace mal interprétée par l’arbitre contre l’anonyme Francisco Cerundolo. Un ballet d’insultes qui s’était conclu par un sabordage de toute beauté sur balle de match et un tweet en forme de dérapage incontrôlé. « Finalement, ça vaut le coup d’être nul », publiait-il au-dessus d’une capture d’écran de ses gains en tournoi, le tout saupoudré d’emojis doigt d’honneur et bisous.
Money, money, money
Il est souvent question d’argent avec le Français en ce moment, lequel ne perd pas beaucoup à perdre, comme il l’expliquait à L’Equipe après n’avoir opposé quasiment aucune résistance à Tsitsipas, à Acapulco. « J’arrive, je prends un peu d’argent et je pars au tournoi suivant : je fais mon boulot. Là, si tu gagnes un ATP 250, tu n’empoches plus que 30.000 dollars. Moi, avec des bye (des exemptions de premier tour), j’ai pris 10.000 à chaque fois en perdant directement. Pourquoi t’arracher comme un dingue pour gagner à peine plus ? »
Si sa remarque a le mérite de souligner un dysfonctionnement du circuit version Covid, elle passe mal auprès des plus prestigieux suiveurs du circuit. Avant Bartoli, Andy Roddick était le premier à faire des appels de phares à l’ATP sur Twitter. « Un précédent a été établi pour infliger une amende à des personnes qui tankent. Ses propres mots sont un aveu d’un manque d’effort intentionnel. C’est généralement ainsi que se définit le ‘tanking’ ». Une fois n’est pas coutume, l’intéressé répondra par l’ironie dans des propos relayés par L’Equipe. « Me suspendre ? Parce que je n’ai pas le droit d’être ici ? Je fais mon maximum, parfois mon maximum n’est pas très élevé… » « C’est plus que ça. C’est le néant, commente pour 20 Minutes l’ancien DTN Arnaud Di Pasquale. Ce n’est pas très juste de sa part. Il faut avoir un peu d’honnêteté. »
Du côté de la fédé, le nouveau patron Gilles Moretton s’est bien chargé de passer un savon par téléphone à Benoît Paire (« vous imaginez ce que j’ai pu lui dire ») mais ne compte pas aller plus loin que le rappel à l’ordre du comité d’éthique. Il s’en remet, lui aussi, à l’instance du tennis mondial. A titre de comparaison, celle-ci avait obligé Nick Kyrgios à consulter un psychologue en 2016 pour soigner son mal-être. Car c’est bien de cela dont il est question.
« Benoît ne va pas bien, mais on sait qu’au fond c’est un mec bien, s’inquiète Di Pasquale. La première chose qui me vient à l’esprit c’est de lui tendre la main. On sent qu’il y a une sorte de détresse, même si c’est pas exprimé de cette manière. Est-ce que c’est par pudeur, ou par provocation ? En tout cas il ne dévoile pas ses vrais sentiments. On voit beaucoup de souffrance sur le terrain et de fait en dehors. ».
« Un mec qui fait du 9-18h version tennis »
A se demander si à bientôt 32 ans, on n’est pas en train de perdre le loustic, barricadé derrière une caricature de lui-même qui hérisse le poil des haters autant qu’elle enchante ses aficionados. Sauf que le running gag n’a jamais autant ressemblé à la blague de trop (cf « la chaaaaaaatte » transposé en spot publicitaire pour une obscure appli de loterie). On n’ira pas jusqu’à accuser sa fanbase de nuire au bonhomme, mais on peut quand même décemment se demander si elle lui rend service en l’encourageant dans sa chute. La désormais célèbre Fédération française de la Lose, ambassadrice officieuse des « Pairistas » :
« Est-ce qu’on l’a engrainé ? Peut-être… Il a eu 2-3 interactions pendant des’Stanpairo’ [lives Instagram avec son pote Stan Wawrinka pendant le confinement] où il disait que la FFL le faisait marrer. Mais au fond, de quoi parle-t-on ? D’un mec qui fait un 9-18h version monde du tennis. S’il faisait ça avec un boulot normal, on ne dirait rien. Ok, tanker des matchs c’est pas ouf. Mais il y a plus grave sur le circuit, comme des joueurs qui remettent en cause le vaccin contre le Covid et à eux, on ne leur dit rien. »
L’obstiné
Il y a bien des éclairs de lucidité dans l’océan de provocations pour expliquer le naufrage de Benoît Paire. Le monde d’avant manque à l’Avignonais, qui ne trouve pas son compte dans ce circuit-bulle sanitaire fait d’allers-retours entre les courts de tennis et l’hôtel. « Je sais, vous allez dire : 'Tu te rends pas compte de la chance que tu as bla-bla-bla', prévenait-il sur Instagram. Mais jouer dans des stades à huis clos, sans aucune ambiance, c’est pas pour ça que je joue au tennis. » « On ne peut pas lui enlever le droit d’être malheureux », abonde Di Pasquale.
Dès lors, pourquoi ne pas appuyer sur pause quand on a déjà amassé 8 millions de dollars de gains en carrière? Gilles Simon a profité du gel du classement ATP, récemment prolongé jusqu’à la semaine du 9 août pour s’arrêter sur le bas-côté histoire de « se préserver mentalement » et Gaël Monfils n’a plus pris part au moindre tournoi depuis ses larmes de l’Open d’Australie. « Couper un moment est une bonne idée pour les joueurs de ce profil, nous dit Stéphanie Sagaspe, coach en performance et préparatrice mentale spécialisée dans le tennis. Pourquoi pas couper une semaine, un mois, pour se poser les bonnes questions : où ai-je envie d’aller, qu’est-ce que j’ai encore envie de faire dans le tennis, comment je peux encore prendre du plaisir ? Il faut que ce soit un break constructif. » Pour des raisons qui nous échappent, il n’est pour l’heure pas au programme, puisque le Benoît Paire a pris rendez-vous pour le Masters 1000 de Monte-Carlo (10-18 avril). On espère quand même y retrouver une meilleure version du joueur. De toute façon ici, même éliminé au premier tour, il ne trouvera pas où faire la fête.