PROCES« Et là, je prends une balle dans la tête »… Il a survécu au tueur de Trèbes

Attentats de Trèbes et Carcassonne : « A ce moment-là, je prends une balle dans la tête », raconte une victime

PROCESAvant de tirer sur des CRS et d’ouvrir le feu dans le Super U de Trèbes le 23 mars 2018, Radouane Lakdim a commencé son parcours meurtrier sur le parking des Aigles à Carcassonne
A l'ouverture du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, le 22 janvier 2023.
A l'ouverture du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, le 22 janvier 2023.  - Benoit PEYRUCQ / AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, perpétrés en 2018, s’est ouvert lundi devant la cour d’assises spéciale. Quatre personnes avaient été tuées par le terroriste, Radouane Lakdim.
  • Renato Silva, qui témoignait ce vendredi, a survécu. L’assaillant lui avait tiré dans la tête puis volé son véhicule sur un parking de Carcassonne. Mais la balle, par miracle, ne l’avait pas tué.
  • Un autre homme qui se trouvait sur les lieux, Jean Mazières, avait quant à lui été abattu.

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

Il a fallu près de 24 heures à Renato Silva pour comprendre qu’il venait d’être victime d’un attentat. « J’ai pas compris qu’il était terroriste, on ne pense pas toujours à ce genre de chose », insiste le jeune homme de 31 ans ce vendredi, les mains accrochées à la barre de la cour d’assises spécialement composée. Il a fallu que trois policiers débarquent dans sa chambre d’hôpital pour qu’il comprenne : il est la première victime de Radouane Lakdim, et sa survie tient du miracle. Le terroriste a commencé son périple meurtrier sur le parking des Aigles, sur les hauteurs de Carcassonne, avant de tirer sur des CRS puis d’ouvrir le feu dans le Super U de Trèbes. « En fait, il avait les mains dans sa veste, je n’ai même pas vu d’armes, je n’ai rien vu », précise celui qui est aujourd’hui facteur dans la région de Narbonne.

Ce 23 mars 2018, peu avant 10 heures du matin, il décide de faire un crochet par le parking des Aigles avant d’aller faire les quelques courses que lui a demandé sa mère. L’endroit est connu pour être un lieu de rencontres homosexuelles. Lui affirme simplement qu’il souhaitait admirer la « vue fantastique ». Renato Silva n’est arrivé que depuis une poignée de minutes lorsqu’il croise la route de Radouane Lakdim. « Le terroriste arrive et me demande ce que je fais là, je lui ai dit que je terminais ma cigarette », retrace-t-il, d’une voix douce marquée par un léger accent portugais. Au même instant, arrive Jean Mazières, 62 ans. Il sera sa « dernière vision ». « C’est à ce moment-là que je prends une balle dans la tête. » Il ne verra pas le terroriste tuer à bout portant le sexagénaire. Il ne le sentira pas, non plus, se pencher sur lui pour lui voler ses clés de voiture.

« Je n’arrivais pas à dire le lieu où j’étais »

« D’un coup, je me réveille, je regarde le ciel, j’essaye de me relever », poursuit-il. Par miracle, la balle ne l’a pas tué. Elle lui a néanmoins laissé de lourdes séquelles. Renato Silva a perdu l’usage d’un œil, il est sourd d’une oreille. Ces quelques grammes de plomb, toujours logés dans son crâne – l’extraction est trop risquée – lui provoquent régulièrement des douleurs.

Lorsqu’il reprend connaissance – environ une heure plus tard, selon les données de la téléphonie - il appelle sa mère. « Je savais où j’étais, mais je n’arrivais pas à dire le lieu où j’étais, se remémore-t-il. C’est à cause de la balle, j’ai perdu des mots. » Renato Silva cherche alors à aller jusqu’à sa voiture, garée à l’entrée du parking, il ignore que le terroriste l’a dérobée. Il mettra près d’une heure et demi pour faire 50 mètres. Un automobiliste fini par l’apercevoir sur le bord de la route et donne l’alerte. « Tout le monde dit que j’ai une seconde vie, c’est aussi comme ça que je vois les choses », insiste-t-il.

« Personne ne savait où il était »

Si Renato Silva affirme qu’il ne connaissait pas Jean Mazières, il se souvient qu’il avait déjà croisé le sexagénaire sur ce parking. Ce vigneron à la retraite était arrivé depuis quelques instants lorsqu’il a été abattu d’une balle dans la tête. Ses proches l’ont cherché toute la journée. « Personne ne savait où il était », retrace à la barre Martine, sa veuve. Ce jour-là, cette femme menue et au fort accent du Sud-ouest est rentrée vers 11 heures du matin de son travail. Elle constate alors que son mari est absent. Surtout, il ne répond pas à son téléphone, ce qui est contraire à ses habitudes. Elle appelle les voisins, les amis. Personne n’a vu cet homme que tous décrivent comme « attentionné », « bienveillant », « toujours souriant ». Il venait de revendre ses vignes pour s’occuper de leur fils, qui souffrait d’un handicap.

L’angoisse prend un nouveau tournant lorsque la nouvelle d’un attentat dans un supermarché voisin se répand. Un ami se rend au Super U pour voir si sa voiture est garée sur le parking. Ils n’apprendront qu’en fin d’après-midi, vers 17 heures, la terrible nouvelle. C’est le frère de Martine Mazières, ancien gendarme, qui sera le premier averti. « Il m’a dit "j’arrive tout de suite", c’est à ce moment-là que j’ai compris », retrace-t-elle.

« Au mauvais endroit au mauvais moment »

« Pourquoi lui » ? Cette question tourne aujourd’hui en boucle dans la tête des proches de la victime. « Pour deux raisons qui n’en sont pas, entame délicatement le président de la cour d’assises. Il était au mauvais endroit au mauvais moment et il se trouvait dans un lieu fréquenté par des homosexuels ». En visant spécifiquement ce lieu, Radouane Lakdim, dont l’homophobie était notoire, vise expressément la communauté gay. Le terroriste s’en vante d’ailleurs auprès de son otage du Super U. « J’ai allumé deux pédés […] je leur ai mis deux balles dans la tête », l’entend-on dire dans une bande sonore issue d’un enregistrement au 17, diffusée en fin de journée. Il s’agit du premier attentat homophobe perpétré en France.


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