INTERVIEWSonia Rolland peut « survivre au racisme, pas à la discrimination sociale »

« Un destin inattendu » : « Miss France a été mon plus grand rôle de composition », affirme Sonia Rolland

INTERVIEWSonia Rolland a réalisé « Un destin inattendu », un téléfilm autobiographique sur son aventure Miss France en 1999, que France 2 diffuse ce mercredi à 21h10. « 20 Minutes » l’a rencontrée au Festival de la fiction de La Rochelle en septembre
Sonia Rolland sur le tournage du téléfilm de France 2 « Un destin inattendu » qu'elle a réalisé.
Sonia Rolland sur le tournage du téléfilm de France 2 « Un destin inattendu » qu'elle a réalisé. - Pierre MARCHAL - FTV / Phototele
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • France 2 diffuse ce mercredi 3 janvier à 21h10 le téléfilm Un destin inattendu, réalisé par Sonia Rolland.
  • A travers cette fiction autobiographique, Sonia Rolland raconte ce qu’elle a vécu en 1999, lors de l’aventure qui l’a menée à être sacrée à l’élection de Miss France 2000.
  • Sonia Rolland insiste sur le fait que ce couronnement n’avait rien d’écrit d’avance pour elle qui vient d’un milieu populaire. « Je voulais mettre en lumière la résilience de la société française, cette dignité, montrer les quartiers joyeux même s’ils vivent la dureté du quotidien, expliquait-elle à 20 Minutes au Festival de la fiction de La Rochelle en septembre. Je suis profondément optimiste parce que je viens de ce milieu-là et que je sais que ces gens ont énormément de ressorts. »

L’histoire d’Un destin inattendu que France 2 diffuse à 21h10 ce mercredi vous sera sans doute familière. L’intrigue, qui se déroule en 1999, suit Nadia, 18 ans, qui vit dans un quartier populaire d’Angoulême (Charente). Métisse – son père est français, sa mère rwandaise – elle se retrouve candidate de Miss Poitou-Charentes, puis de Miss France… Le prénom a été changé, ainsi que la région d’origine de la jeune femme, mais le « destin inattendu » narré dans cette fiction est bien celui de sa réalisatrice, Sonia Rolland, sacrée Miss Bourgogne avant d’être couronnée Miss France 2000. « Ce film est une façon de me présenter aux gens, de dire : voilà ce qui m’anime depuis tout ce temps », confiait-elle à 20 Minutes en septembre au Festival de la fiction de La Rochelle. Entretien.

Depuis quand portez-vous ce projet en vous ?

Cela fait six ans que j’y pense. Cela a été compliqué de le mettre en marche. J’ai commencé par le documentaire avec Rwanda, du chaos au miracle. Lors de la commémoration des vingt ans du génocide [en 2014], personne n’évoquait la résilience de ce peuple, la reconstruction de ce pays. Or, c’est quand même inédit : peu de pays ont connu un tel drame et se sont relevés en si peu de temps. J’en avais parlé à des amis journalistes qui me disaient que j’étais la mieux placée pour le faire. Ils m’expliquaient que le documentaire était l’objet le plus libre : tu t’entoures des meilleurs pour la rédaction et, ensuite, c’est ton regard que tu poses dessus. TV5 Monde m’a suivi, France Ô. J’ai dû casser la tirelire pour payer tout le monde mais j’y suis allée, même si je ne savais pas où ça m’amenait. J’ai été plébiscitée par les plus grands journalistes politiques et à partir de là, l’attention posée sur moi a changé.

Et ensuite ?

Je traînais encore ce sentiment d’illégitimité dans ce métier, il m’était toujours difficile de formuler l’envie de la réaliser un long-métrage. Je suis revenue à mes premières amours en faisant un court métrage de fiction [Une vie ordinaire, en 2015], qui a plu à un premier producteur qui était Dominique Farrugia. Le projet de long était lancé, mais certaines choses n’ont pas bien fonctionné, le confinement est arrivé et je me suis dit que le film ne se ferait jamais.

Pourquoi avoir choisi de raconter votre histoire à travers une fiction et non via un documentaire ?

La fiction me permet de rendre l’objet plus universel. Je voulais que les gens se disent « Tiens, ça peut être aussi ma vie, mon parcours, dans un autre domaine. » Miss France, c’est un peu la carotte, ça permet de raconter une histoire, mais on peut transposer cela à un destin d’athlète, de cadre, de médecin…

Vous ne vouliez donc pas ne parler que de vous…

Quand vous venez d’un milieu populaire et que vous avez toujours un pied dedans, vous êtes informé de ce qui bouillonne dans la société. Miss France, ça a changé beaucoup de choses à ma vie, mais celle de mes proches est restée à peu près la même. Je voulais leur rendre hommage. Je voulais mettre en lumière la résilience de la société française, cette dignité, montrer les quartiers joyeux même s’ils vivent la dureté du quotidien. Je souhaitais montrer qu’il y a aussi de la lumière. Je suis profondément optimiste parce que je viens de ce milieu-là et que je sais que ces gens ont énormément de ressorts.

Vous souhaitiez célébrer les classes populaires en quelque sorte ?

Je ne sais pas si cela va parler à tout le monde, mais je m’adresse au plus grand nombre, aussi bien à la classe populaire qui ne rêve plus qu’à la classe la plus privilégiée qui doit aussi poser un regard sur cette majorité silencieuse qui en a suffisamment pris là, et qui a besoin qu’on la considère. Si on n’avance pas ensemble, ça ne va pas aller. Il faut qu’on reconsidère les ouvriers, les artisans, ceux que l’on appelle les « petites gens » et qui ne sont pas des « petites gens » mais des personnes importantes à notre société. On a tellement misé sur le numérique, les cadres, l’économie, etc. qu’on en a oublié ce qui faisait vivre ce pays.

Pendant votre aventure Miss France, vous avez vécu le racisme, mais aussi la violence de classe…

Sortie de l’adolescence, c’est vrai que c’est toujours compliqué à vivre, mais j’avais aussi l’expérience d’un vécu dans mon enfance. Quand on est métisse, on a le cul entre deux chaises, on nage entre deux eaux. Quand on a un papa blanc et une maman noire, cette problématique est forcément familiale, on la vit à travers des moqueries à l’école… Je peux survivre au racisme mais pas à la discrimination sociale. C’est compliqué, quand on est ado, d’évoluer dans la société avec un complexe social. C’est difficile de se projeter, d’ambitionner, de rêver grand, quand on n’a pas les armes qui vous rendent confiant. Mon père et ma mère, c’est le risque et la raison. Je ne crois pas qu’un pays ou une société puissent évoluer sans risque ni raison.

C’est-à-dire ?

Quand je m’adresse au monde populaire, je dis : « N’oubliez pas qu’on a notre part de responsabilité dans tout ça, il faut parfois ravaler nos colères pour avancer, entrer dans la matrice pour la faire exploser ». Je suis l’exemple parfait de celle qui est entrée dans la matrice pour changer le système à un certain endroit. On est nombreux à le faire. J’ai depuis longtemps la chance d’avoir un public qui a grandi avec moi, me porte et me permet de faire ces films. Les chaînes ne vous signent pas si vous n’avez pas une valeur. Moi, cette valeur, je l’ai acquise avec le temps grâce à la notoriété que j’ai obtenue avec Miss France et que j’ai pérennisée.

« Un destin inattendu » montre aussi que derrière le vernis Miss France, il y a des jeunes femmes qui disent des gros mots…

[Elle coupe] Oui, elles fument, elles vivent ! (rires)

Le concours n’aurait pas à gagner à montrer davantage cette spontanéité ?

Il le fait mais est-ce que ce n’est pas la lecture que l’on fait de cette élection qui altère notre perception ou les véritables enjeux du concours ? Pendant longtemps j’entendais dire que les filles qui participaient n’étaient pas très intelligentes. Non, ce sont des filles éduquées qui au regard de leur âge sont vraiment au-dessus avec les diplômes qu’elles ont. On est loin de « sois belle et tais-toi ». En revanche, il est vrai qu’il y a des codes. Il faut jouer le jeu. J’ai toujours dit que Miss France a été un tremplin, une clé qui m’a permis d’approcher de près un monde qui me paraissait inaccessible. Ce n’était pas une volonté personnelle. Enfant, je ne rêvais pas de devenir Miss France. Pour moi, il y avait un fossé entre le monde qui était le mien et celui du concours. Mais c’est un objet populaire et, s’il cartonne autant, c’est qu’il fait rêver, alors il faut se prêter à ce jeu-là. Miss France, c’est mon plus grand rôle de composition, parce qu’un rôle de composition vous demande d’interpréter des choses toute en gardant une certaine honnêteté. J’ai gardé mon honnêteté mais j’ai accepté de jouer le jeu. Après, il faut avoir des ambitions, sinon cela ne sert à rien de se présenter au concours,

Le règlement de l’élection Miss France a évolué récemment. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que Miss France s’adapte à l’époque, aux changements de la société qui va très très vite. Tout le monde est-il prêt à ce changement ? C’est la question. Parce que Miss France est de l’ordre du sacré, presque. Comme tout patrimoine, c’est difficile de le faire bouger. Je suis pour que les choses évoluent. Mais à un rythme suffisamment juste pour que tout le monde s’y retrouve. Il faut surtout voir ça comme un divertissement.

Le concours est désormais ouvert aux femmes ayant des enfants, aux femmes trans… Cela n’a pas plu à tout le monde dans l’univers Miss France…

J’avais émis des réserves sur les mamans parce que je vois l’enfant dans tout ça. Pendant une année, on est complètement dédiées à Miss France, on est sur les routes tout le temps. Est-ce que c’est équilibrant pour l’enfant ? C’est la seule question que je me pose. Concernant l’ouverture aux femmes transgenre, je trouve ça très bien. La société a évolué, tant mieux. Est-ce que toutes les filles vont se présenter ? Je ne suis pas sûre qu’elles soient animées par cette envie-là. On verra. Je suis pour la liberté.

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