SEVRAGEMoi(s) sans tabac: Comment arrêter de fumer quand on est enceinte

Moi(s) sans tabac: «On sait qu’on fait du mal à son bébé»... Enceintes, elles luttent contre le tabac

SEVRAGEEntre 30 et 40 % des fumeuses continuent la cigarette durant leur grossesse. Une consultation en tabacologie peur les aider à « faire une pause »…
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

Partout, des ventres ronds. Un peu, beaucoup, voire vraiment très ronds. Rien de plus normal ici, dans les couloirs de dans le 12e arrondissement de Paris. C’est là, au fond d’un couloir aux portes rose tendre, que le Dr Isabelle Gérintes, anesthésiste-tabacologue, tient chaque jeudi une consultation de sevrage pour les Avant de recevoir sa première patiente, l’anesthésiste retourne la plaque sur la porte de son bureau : cet après-midi, c’est la tabacologue qui officie.

Ici, obtenir un rendez-vous n’est pas un parcours du combattant. « Il y a un délai de deux à trois semaines en moyenne », estime le docteur Gérintes. Des consultations prises en charge et désormais couplées à un forfait annuel de remboursement des moyens de sevrage tabagique, porté à pour tout le monde. L’occasion de se lancer alors que le commence le 1er novembre.

« Elles savent déjà que ce n’est pas bien de fumer»

En moyenne, 30 à 40 % des fumeuses continuent à fumer durant leur . « Au début, on se dit que la grossesse va suffire à nous faire arrêter le tabac, mais on se rend compte qu’on n’y arrive pas », regrette Valentine*, qui, il y a quelques années, avait réussi à s’en passer pendant deux ans. Aujourd’hui, la jeune femme de 29 ans fume une dizaine de cigarettes par jour, déjà loin du paquet quotidien qu’elle consommait avant d’être enceinte.

Si aujourd’hui, l’heure est au discours culpabilisant et à la tolérance zéro, ici, l’objectif est d’offrir un accompagnement bienveillant et efficace aux futures mamans. « Elles savent déjà que ce n’est pas bien de fumer en attendant un bébé, souligne le Dr Gérintes. Cette consultation est faite pour les déculpabiliser, leur donner confiance, leur faire prendre conscience qu’elles peuvent se libérer de l’addiction au . Certaines patientes pleurent ou me disent qu’elles pensaient se faire engueuler en arrivant. »

« On sait très bien que c’est mauvais, on a toujours en tête qu’on fait du mal à son bébé, confirme Valentine. Je culpabilise tellement que chaque regard me paraît moralisateur, le jugement des autres est terrible », raconte la jeune femme, qui « fume le moins possible dans la rue, aussi par crainte du regard des autres ». Pour elle, le sentiment de culpabilité et le stress forment un cercle vicieux qui lui donne encore plus envie de fumer. « Avant chaque échographie, je stressais tellement pour la santé du bébé que, finalement, je fumais encore plus, raconte-t-elle. Mais là, ça fait du bien d’être face à quelqu’un qui vous écoute, vous félicite pour chaque effort ne vous culpabilise pas. »

Des professionnels peu formés

Malgré tout ce qu’elles lisent sur Internet, la plupart des futures mères qui souhaitent arrêter de fumer sont peu informées des dispositifs existants. D’autres ne trouvent pas de professionnels de santé formés pour les conseiller efficacement. « Certaines patientes sont allées demander des à leur pharmacien et n’ont reçu qu’un discours moralisateur en retour, déplore le Dr Gérintes. Alors que cette démarche est possible et tout à fait cohérente. » C’est ce qu’a vécu Valentine, qui, au début de sa grossesse, s’est vue refuser gommes et patchs par son pharmacien. « Peu de professionnels de santé sont formés à cette question, certains pharmaciens leur font même des réflexions culpabilisantes alors qu’elles ont une ordonnance », ajoute le Dr Gérintes.

Côté médecins, même son de cloche. « Certains répondent un peu au hasard, allant de la tolérance zéro à pas plus de 5 cigarettes par jour, indique la tabacologue. Or, physiologiquement, ce n’est pas parce que l’on réduit le nombre de cigarettes allumées que l’on diminue sa pollution au monoxyde de carbone. Quand on fume, c’est l’apport en nicotine que l’on recherche. Plus on est en manque et plus on va tirer sur sa cigarette. Et plus on tire, plus on inhale de fumée au monoxyde de carbone, très nocif. »

Le monoxyde de carbone se fixe sur l’hémoglobine, qui transporte l’oxygène, et passe ensuite dans la circulation fœtale et se fixe sur le placenta. L’apport en oxygène du fœtus est donc réduit. « Le est responsable de retards de croissance, d’accouchements prématurés et augmentent les risques de grossesse extra-utérine », rappelle le Dr Gérintes.

« Il n’est jamais trop tard »

Au début de sa grossesse, Lila, enceinte de quatre mois et demi, a consulté un acupuncteur ainsi qu’un , qui travaille sur la mémoire de la dépendance, pour l’aider à arrêter de fumer. « Le premier a refusé de s’occuper de moi et le second a estimé que je n’étais pas prête », se souvient Lila, venue ce jour-là pour sa deuxième consultation. La future maman de 40 ans, accro au tabac depuis plus de vingt ans, confie « fumer encore beaucoup », sans donner de chiffres précis. « Pas dans une dynamique de sevrage complet », la jeune femme veut y aller par étapes : « C’est moins effrayant de se dire qu’on va faire une pause dans le tabac ». Déterminée à fumer le moins possible durant sa grossesse, Lila a guetté la première annulation de rendez-vous pour pouvoir consulter la tabacologue le plus vite possible. « Avec elle, on est accompagnée, mise en confiance et il y a un vrai cadre médical, ça rassure », estime cette femme.

« A n’importe quel stade de la grossesse, il y a toujours un intérêt à , il n’est jamais trop tard », encourage le médecin. Mais chaque patiente est différente, et la tabacologue travaille avec chacune d’elles pour leur proposer des solutions concrètes et personnalisées. « Pour certaines, l’accompagnement de la consultation suffit. Pour d’autres, plus dépendantes, on prescrit de l’homéopathie et des substituts nicotiniques sous forme de patchs, de gommes ou de pastilles, détaille-t-elle. Inhalateurs et sprays sont plutôt prescrits en deuxième intention. »

« Elle nous donne des solutions concrètes »

Pour la première consultation, chaque patiente remplit un questionnaire détaillé sur ses habitudes de fumeuse, sa consommation, son rapport au tabac et son quotidien. Après une explication sur les effets et les méfaits du tabac pour elle et pour le bébé à naître, chaque patiente souffle dans un boîtier pour mesurer sa concentration en monoxyde de carbone.

Au cas par cas, « je propose d’arrêter ou de réduire le tabac », explique le Dr Gérintes. Après sa déconvenue avec le pharmacien, Valentine ne pensait pas avoir droit aux patchs durant sa grossesse. C’est pourtant ce que lui a prescrit la tabacologue. « Elle nous donne des solutions concrètes, j’ai enfin l’impression de voir la lumière au bout du tunnel », sourit Valentine.

« J’ai moins fumé parce que j’ai moins eu envie de fumer »

Depuis sa première consultation quinze jours plus tôt, la jeune femme, qui porte des patchs à la nicotine et suit un traitement homéopathique, a déjà réduit de moitié le nombre de cigarettes grillées. « J’ai moins fumé parce que j’ai moins eu envie de fumer », se réjouit Lila, rassurée par « les bons résultats de son test respiratoire ». Désormais, la future maman ne fume plus que chez elle, « à la fenêtre de la cuisine. C’est moins agréable, donc ça aide à éliminer certaines cigarettes ». Plus sereine et déculpabilisée, Lila, pour qui « la cigarette est un calmant », veut se protéger du stress qui donne envie de fumer en se mettant à la méditation, pour mettre toutes les chances de son côté.

Valentine, elle, se prépare à sa nouvelle vie sans tabac. « Je vais commencer les patchs dès demain alors ce soir, je vais fumer les dernières cigarettes de ma vie ». Et les chiffres sont plutôt de son côté. Chaque année, la tabacologue accompagne près de 150 femmes enceintes. En 2014, « 75 % de mes patientes ont fini par arrêter de fumer pendant leur grossesse ».

* Le prénom a été changé.

Sujets liés