INTERVIEWEst-ce la fin du camembert normand?

Est-ce la fin du camembert normand?

INTERVIEWPlusieurs personnalités ont signé une tribune qui dénonce un accord mettant un terme à la bataille entre le « camembert de Normandie » et le camembert « fabriqué en Normandie »…
Un fromager dans son usine de fabrication de camembert, à Camembert en Normandie, le 24 août 2016.
Un fromager dans son usine de fabrication de camembert, à Camembert en Normandie, le 24 août 2016. - CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Propos recueillis par Manon Aublanc

Propos recueillis par Manon Aublanc

L'essentiel

  • Un accord a été trouvé le 21 février dernier par les acteurs de la filière pour mettre un terme à dix ans de bataille entre le « camembert de Normandie » et le camembert « fabriqué en Normandie ».
  • D’ici à 2021, il n’y aura plus qu’un seul et unique camembert de Normandie AOP (appellation d’origine protégée), qui pourra désormais être élaboré au lait pasteurisé.
  • Une tribune signée par une cinquantaine et personnalités, publiée dans Libération mardi, fustige « une victoire pour l’industrie agroalimentaire, un risque fatal pour les fermiers et les consommateurs ».

La fin des haricots pour le camembert ? Dans une tribune, publiée mardi dans Libération, une cinquantaine de personnalités, dont plusieurs grands chefs étoilés, poussent un cri d’alarme. Ils s’inquiètent de voir le célèbre « calendos » normand se transformer en « une vulgaire pâte molle sans goût ».

Le 21 février dernier, un accord a été trouvé par les acteurs de la filière pour mettre un terme à dix ans de bataille autour de l’étiquette. D’ici à 2021, il n’y aura plus qu’un seul et unique camembert de Normandie AOP (appellation d’origine protégée), qui pourra désormais être élaboré au lait pasteurisé. Jusqu’à maintenant, deux camemberts se faisaient la guerre dans les rayons. D’un côté, le célèbre « camembert de Normandie » AOP, dont la fabrication se fait à partir de lait cru et moulé à la louche. De l’autre, le camembert étiqueté « fabriqué en Normandie », réalisé avec du lait pasteurisé, c’est-à-dire du lait chauffé sans ébullition ce qui permet de détruire les micro-organismes indésirables.

Désormais cette unique appellation va entraîner la mise en place d’un nouveau cahier des charges de production plus strict. Les signataires fustigent « une victoire pour l’industrie agroalimentaire, un risque fatal pour les fermiers et les consommateurs ». Ce qui est loin d’être l’avis de Patrick Mercier, producteur de camembert au lait cru et président de l’Organisme de défense et de gestion du camembert de Normandie, qui voit dans cet accord la fin d’une concurrence déloyale.

L’accord signe-t-il la mort du camembert au lait cru ?

Non, ils ont caricaturé énormément. On a l’impression que ce sont les grands industriels contre les petits producteurs. Je conçois qu’on veuille défendre le lait cru, mais ce texte ne prend absolument pas en compte tout le travail effectué autour de l’accord. Je suis un producteur de lait cru et pourtant je ne souhaite pas la mort de tous les industriels. Il peut y avoir une entente, ce n’est pas les gentils contre les méchants. Il est possible de faire du bon fromage avec du lait pasteurisé et ces nouvelles conditions vont garantir une hausse de la qualité. Cet accord signe la fin d’une concurrence déloyale qui faussait toute la filière. La copie d’un produit AOC était vendue dix fois plus cher que l’original en toute illégalité. Vouloir continuer la guerre entre les industriels et les petits producteurs alors que c’est fini, c’est regrettable.

Pourquoi de plus en plus de producteurs choisissent de fabriquer des fromages au lait pasteurisé ?

La généralisation de la pasteurisation est due à la pression sanitaire excessive sur les producteurs de fromage au lait cru. C’est très dur de fabriquer du camembert traditionnel. Je comprends tout à fait que certains producteurs soient amenés à pasteuriser le fromage parce que c’est plus simple, c’est moins cher, ça demande moins de normes sanitaires. Bien sûr, on a moins de plaisir gustatif avec les fromages pasteurisés, mais justement l’accord va permettre de rééquilibrer ça. Avec cet accord, le seul vainqueur, c’est le consommateur qui aura maintenant un produit au lait pasteurisé de meilleure qualité.

Que faudrait-il faire pour protéger la filière des fromages au lait cru ?

Il faut que les ministères de la Santé et de l’Agriculture imposent des normes sanitaires bien définies. Pour les fabricants de fromage au lait cru, la pression sanitaire est insupportable, elle oblige certains à passer à la pasteurisation. Il faudrait des normes plus intelligentes pour que le lait cru se développe. Il faut trouver des normes intelligentes pour avoir davantage de producteurs qui veulent faire du fromage au lait cru.

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