PARLEMENTSur les retraites comme depuis un an, à l’Assemblée, on fait « comme si »

Réforme des retraites : L’échec de l’abrogation, symbole d’une Assemblée qui fait « comme si » depuis un an

PARLEMENTL’opposition fait « comme si » elle pouvait faire tomber le gouvernement quand elle veut, et l’exécutif fait « comme si » il avait toujours la majorité absolue
Les membres du groupe Liot brandissent la Constitution.
Les membres du groupe Liot brandissent la Constitution. - Jacques Witt / SIPA
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Finalement, l’Assemblée nationale n’a toujours pas pu voter sur le recul de l’âge de départ en retraite à 64 ans.
  • Le débat, ce jeudi, s’est transformé en un ping-pong de leçons de démocratie.
  • Le symbole d’une Assemblée prometteuse il y a un an, mais désormais bloquée par les faux-semblants de tous parts.

On avait tout prévu pour cette journée, pas qu’elle serait percutée par un dramatique fait divers, avec l’attaque au couteau d’Annecy. Soudain, au milieu de la bataille engagée sur l’abrogation du recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans proposée par le groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), l’Assemblée se fait silencieuse. Un silence si étonnant, si inhabituel, dans cet hémicycle d’ordinaire si tumultueux. Instant de schizophrénie assez symbolique d’une matinée de débats où les oppositions ont finalement échoué à obtenir un vote sur la fameuse question des 64 ans.

Alors que la raison d’être de la proposition de loi Liot avait été supprimée en commission la semaine dernière, et que tous les amendements de rétablissement ont été déclarés – de manière contestable – irrecevables, le débat se résume à un ping-pong de leçons de démocratie. D’un côté, les oppositions dénoncent « un jour de vertige pour la République », d’après les mots du communiste Pierre Dharréville ; un « régime politique en état de mort cérébrale », pour l’insoumise Clémentine Autain. Toutes et tous dénoncent non seulement une application du règlement de l’Assemble et de la Constitution contraire à toute la jurisprudence, mais aussi le « coup de force » global que représente la méthode du gouvernement pour faire passer sa réforme depuis le début.

L’opposition bloquée

En face, les soutiens du gouvernement affirment haut et fort qu’au contraire, la démocratie est sauvée par son application - tantôt littérale, tantôt limite, et en tout cas inédite - des règlements. « On ne peut pas se moquer de l’Assemblée nationale comme vous le faites, lance Éric Woerth (Renaissance). Le chahut constitutionnel, c’est ça, la véritable atteinte à la démocratie. »

Un an après des législatives au résultat singulier, sans majorité absolue, et de loin, cette journée apparaît alors comme un symbole de ce qu’a été jusque-là la législature. Une année « comme si ». Profitant d’être, de fait, majoritaires, les oppositions font « comme si » le gouvernement pouvait tomber tous les trois jours. Alors qu’Élisabeth Borne n’a pas osé demander la confiance de l’Assemblée après sa déclaration de politique générale, elle a tout de même accumulé les victoires « en creux » lors des nombreuses motions de censures, toutes rejetées. Les oppositions se sont aussi souvent cassé les dents lors de leurs journées d’initiatives (les « niches parlementaires ») face à des macronistes qui se sont découvert de belles qualités d’obstructeurs, eux aussi.

Le gouvernement sauve les apparences

Face à une institution qu’ils jugent « verrouillée », comme le disait il y a peu le socialiste Arthur Delaporte, les oppositions se retrouvent donc coincées, avec peu de moyens d’action « à l’intérieur ». Et pour tenter d’interpeller l’opinion publique sur la manière de gouverner de l’exécutif, les voici obligées de crier toujours plus fort, peut-être jusqu’à devenir inaudibles. « Mais vous êtes devenus fous ! », lance le président du groupe Liot, Bertrand Pancher, devant le refus de la majorité de laisser faire le vote. « Cette situation ne peut pas durer quatre ans de plus », affirme Mathilde Panot, la présidente du groupe insoumis, qui a toujours la dissolution en ligne de mire. Pour l’instant c’est, au mieux, un pari.

Et le gouvernement ? De son côté, il ne tire aucune conclusion du résultat des législatives, et fait « comme si » il avait toujours une majorité absolue. Il use de tous les stratagèmes du « parlementarisme rationalisé » qu’instaure la Ve République pour, à tout prix, éviter toute défaite - et finalement tout compromis –, même majoritaires. Jean-René Cazeneuve (RE) loue tout en euphémisme des « institutions robustes ». Presque trop, serait-on tenté de dire, quand elles permettent de passer outre le défaut de majorité non seulement dans le pays, mais dans l’Assemblée, comme l’avait concédé Élisabeth Borne après le 49.3 sur les retraites.

Désenchanté

C’est vrai, le gouvernement a fait passer plus d’une vingtaine de textes sans 49.3. Mais avec quels compromis majeurs ? Depuis plusieurs semaines, quand on demande aux parlementaires de la majorité sur quoi ils ont le sentiment d’avoir cédé depuis le début du mandat, ils prennent presque la position du Penseur de Rodin. Puis, après un silence de quelques instants, sont bien obligés de concéder, un peu mezzo voce, que non, non, jusque-là, ils ont bien déroulé leur programme. Une exception : le deal entre LR et la macronie l’été dernier, les premiers voulant une ristourne de 40 centimes sur le litre de carburant, les seconds de 20 centimes, les deux s’accordant sur 30 centimes. Emballé, c’est pesé.



En juillet dernier, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, considérait dans nos colonnes que la nouvelle composition de la chambre basse instaurait un « parlementarisme de fait ». Ce jeudi, dans son discours, le même Boris Vallaud estimait que la macronie avait « échoué à inventer ce parlementarisme de fait ». Le désenchantement est clair. En seulement un an, l’Assemblée la plus représentative des grands courants politiques du pays depuis 1958 s’est transformée en chambre la plus déconnectée du pays. Un écart pas nouveau mais désormais béant. Et, peut-être, dangereux.

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