PROCèSAccusée de harcèlement, Laetitia Avia nie « imposer un climat de terreur »

Procès de Laetitia Avia : « Collaborateur-poubelle », « esclaves »… L’ex-députée face aux témoignages de harcèlement

PROCèSL’ancienne députée LREM n’a eu de cesse de nier les accusations de harcèlement portées par ses anciens collaborateurs
Laetitia Avia arrive au tribunal correctionnel. Elle est accusée par sept anciens collaborateurs de harcèlement au travail.
Laetitia Avia arrive au tribunal correctionnel. Elle est accusée par sept anciens collaborateurs de harcèlement au travail. - Thomas Samson AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Laetitia Avia est soupçonnée d’avoir entre juin 2017 et août 2020 « exprimé en public des moqueries, dénigrements, propos humiliants » sur le « comportement personnel » ou la « compétence professionnelle ».
  • L’ancienne députée, par ailleurs, avocate, n’a eu de cesse de contester les accusations portées à son encontre.
  • Les audiences qui ont duré plus longtemps qu’escomptées ont nécessité l’ajout d’une troisième journée de procès, le 1er juin.

Au tribunal correctionnel à Paris,

Agathe est la première à s’avancer à la barre, d’un pas déterminé. Cette jeune femme aux longs cheveux châtains et aux traits fins n’a pourtant pas l’intention de se constituer partie civile. « Tout ça », explique-t-elle, est derrière elle. « En tout cas, je m’en convaincs. » Cette ancienne collaboratrice parlementaire veut juste livrer son histoire, « laisser une trace » de ce qu’elle a vécu entre 2017 et 2018 – elle avait alors 23 ans – lorsqu’elle travaillait auprès de l’ancienne députée LREM de Paris, Laetitia Avia. Une année marquée, selon son récit, par des « humiliations » quotidiennes et un « rabaissement de [ses] qualités professionnelles, parfois en public ».

Elle cite, par exemple, ce jour où l’ancienne porte-parole du parti, militante de la première heure, a lâché devant des députés « je vous présente mes esclaves » en parlant d’elle et d’un collègue. Ou cette fois où elle lui a demandé d’aller chercher des clés dans son panier de linge sale. « C’est l’une des seules choses que j’ai refusées », précise-t-elle, la gorge nouée. Assise sur un strapontin juste derrière elle, Laetitia Avia, aujourd’hui retirée de la vie politique, ne peut s’empêcher de lever régulièrement les yeux au ciel ou de faire la moue pour marquer sa désapprobation. Jugée pour « harcèlement moral » sur sept anciens collaborateurs, elle a fait savoir dès les premières minutes de l’audience qu’elle « contestait fermement l’ensemble des allégations » portées à son encontre.

« C’est pas de l’humour »

Les récits qui se sont enchaînés mardi jusque tard dans la soirée et ce mercredi sont pourtant marqués par de nombreuses similitudes. Tous décrivent à la barre les accès de colère de la députée et ses remarques acerbes ou déplacées. A l’instar d’Aurélie qui a travaillé près d’un an et demi avec elle. Elle assure avoir subi des moqueries sur ses cheveux blancs – Laetitia Avia lui prendra même un rendez-vous chez le coiffeur – ou avoir été affublée du surnom « poubelle de table » par la députée. « C’est pas de l’humour, jamais, surtout quand c’est répété un nombre incalculable de fois dans des repas d’équipe », insiste-t-elle à la barre.

Patrick, diplômé d’une école de commerce, spécialisée dans la diplomatie, estime, quant à lui, être peu à peu devenu « le collaborateur-poubelle », celui à qui on donnait « les tâches qu’on n’attribuait à personne » : aller à la pharmacie, s’assurer qu’il y ait du coca zéro dans le frigo. Comme beaucoup, il raconte le « flicage sur Telegram ». « Il y avait un flot de messages, c’était très compliqué de travailler et tous les soirs, on se couchait avec la peur de rater un message qui pouvait tomber vers 23 heures, minuit 30. » Le jeune homme d’origine asiatique assure avoir également été surnommé le « Chinois ». Dans un enregistrement audio fait à l’insu de la députée et diffusée pendant l’audience, on entend ainsi Laetitia Avia déplorer que « malgré ses origines, Patrick n’est pas vraiment bon sur les sujets informatiques. »

Des liens de complicités forts

La présidente lui rappelle néanmoins qu’il s’est lui-même désigné comme « le faux-chinois » ou « la contrefaçon ». Il reconnaît également avoir appelé « une ou deux fois » Laetitia Avia « la blackos ». C’est bien là la difficulté de ce dossier, tous les plaignants ou presque affirment avoir eu des moments de complicité forts avec Laetitia Avia, bien loin des liens classiques qu’on entretient généralement au travail. A plusieurs reprises, l’assesseur interroge : certains propos vécus comme outrageant aurait-il pu être de l’humour mal compris ? Et les horaires à rallonge décrits par tous, les sollicitations multiples ne font-ils pas partie du travail de collaborateur parlementaire ?

Sur ce dernier point, Laetitia Avia le reconnaît sans difficulté : oui, elle envoyait des messages tard le soir. « C’est la vie politique qui veut cela, moi je travaillais tout le temps », insiste-t-elle. Sur le reste des témoignages, en revanche, l’ex-député se montre inflexible, discréditant pendant près de 2h30 les récits de ses accusateurs. Le surnom « poubelle de table » ou la référence à ses « esclaves » ? « Je n’ai jamais dit cela. » Les propos sur les cheveux blancs ? Laetitia Avia ne reconnaît que quelques remarques sur l’allure « débraillée » de son ancienne collaboratrice. Quid du groupe « Biiitch Talking » créé par ses soins pour se féliciter du départ de Patrick ? « Une gaminerie », reconnaît-elle. Mais immédiatement l’ancienne politique ne peut s’empêcher d’ajouter que ses anciens collaborateurs « passaient leurs journées » à critiquer leur collègue.

« Je ris beaucoup, je chante dans le bureau »

Sans jamais accorder de crédit à la douleur décrite par ses accusateurs, elle dépeint, au contraire, une atmosphère de travail sereine. « Je ris beaucoup, je chante dans le bureau, je n’impose pas un climat de terreur. » Si elle se dit « rigoureuse » reconnaissant volontiers attendre la même chose de son équipe, elle affirme ne jamais viser « les personnes », « seulement le travail ».

Que pense-t-elle, a posteriori, de tous ces messages que s’envoyait son équipe témoignant de leur crainte qu’elle ne se mette en colère, l’interroge la présidente. « Parfois, ils se montent des choses dans leur tête, il y a un effet de groupe », répond-elle. Sur leur banc, ces derniers ne peuvent s’empêcher de pousser des soupirs à chaque dénégation de leur ancienne cheffe. Le procès, qui a pris du retard, doit reprendre le 1er juin.


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