Coupe du monde: Comment la Fifa impose sa loi au Brésil

FOOTBALL La Fédération internationale cherche à retirer le plus de bénéfices possible du Mondial brésilien...

Julien Laloye
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Bebeto et Mario Zagalo posent pour la fifa devant le Corcovado, le 12 septembre 2013 à Rio.
Bebeto et Mario Zagalo posent pour la fifa devant le Corcovado, le 12 septembre 2013 à Rio. — B.LUZ/AFP

De notre envoyé spécial au Brésil,

Appelons-le Gabriel. La trentaine, employé par la Fifa à Curitiba, l’une des douze villes brésiliennes qui accueillera des matchs du Mondial cet été. Une connaissance l’avait convaincu de nous parler en off de son travail -«s’assurer que les autorités locales respectent leur cahier des charges»- malgré des clauses de confidentialité plus que contraignantes. Le jeune homme a changé d’avis au dernier moment. «Je n’ai pas le droit de parler à des journalistes. Et puis la situation est tendue en ce moment.» Décodage: Sepp Blatter vient d’annoncer que le stade de Curitiba était le chantier qui avait pris le plus de retard dans le pays, à deux jours du tirage au sort de la phase de poules. La nouvelle n’a pas dû enchanter Carlos Arcos, l’architecte responsable du projet, même s’il devait s’y attendre. Nous l’avions rencontré fin octobre, et il avait confié que le découragement le gagnait parfois.

«Les normes changent sans cesse»

«Ce stade a été rénové il n’y a même pas dix ans [en 1999, en réalité]. Mais les normes de la Fifa changent tout le temps. Là, il a fallu refaire tout un stade, tout ça pour gagner 7.000 places et construire des loges plus grandes.» A Porto Alegre, un peu plus au Nord, l’impression de gabegie est encore plus prégnante. La ville et la région ont laissé deux stades se construire presque en même temps, ceux du Gremio et de l’International Porto Alegre, les deux clubs rivaux. «Parce que la Fifa pensait que le nôtre ne serait pas prêt à temps. Alors elle a choisi l’autre projet», explique l’attachée de presse du Gremio. Inutile de préciser quel est le seul des deux stades actuellement sorti de terre… «Tout ça, ça coûte un milliard d’euros, et même s’ils disent qu’il s’agit de fonds privés, c’est de l’argent public avancé par l’Etat. La Fifa, elle, elle ne donne rien.» s’agace Claudia, membre du Comité populaire local, un mouvement de résistance citoyen qui s’est constitué dans tout le Brésil pour protester contre l’organisation de la Coupe du monde et ses dérives.

La jeune fille a participé à l’une des premières manifestations spontanées du pays, en octobre 2012. «Le maire avait interdit à la population d’utiliser le square pour des fêtes foraines, juste pour que Coca-Cola ait le droit d’installer une mascotte géante sur le parvis.» Un tour de passe-passe permis par l’adoption de la «Lei geral da Copa» votée courant 2012. Son principe? Adapter la loi brésilienne aux exigences de la Fifa. Lui permettre de contourner, par exemple, l’interdiction de consommer de l’alcool dans les stades, pour autoriser Budweiser à écouler ses bières. Ou écarter les vendeurs ambulants. Ceux-ci devront s’exiler à deux kilomètres des stades pour éviter de faire de l’ombre aux produits Fifa.

«La vraie présidente du Brésil, c’est la Fifa»

Sans oublier de mettre en place des «tribunaux d’exception» afin de punir dans la minute toute atteinte à l’image de la fédération internationale et de ses sponsors, pendant que cette dernière a donné quartier libre à l’Etat fédéral pour nettoyer l’espace urbain –Amnesty International évoque plus de 170.000 habitants déplacés dans tous le pays- sous couvert d’améliorer les infrastructures d’accès aux stades. Une commercialisation à outrance de l’événement qui a fait bondir Romario, l’ancien attaquant de la Seleção aujourd´hui député. «La vraie présidente du Brésil, ce n’est pas Dilma Roussef, c’est la Fifa. Elle pisse sur l'argent public, il y a un manque de respect, de scrupules.» Mais pas de bénéfices. En 2010, la Coupe du monde organisée en Afrique du Sud avait permis à la Fifa d’engranger deux milliards d’euros presque nets d’impôts. Le Brésil, qui a déjà mis 11 milliards sur la table -prévisions basses-, aura beaucoup plus de mal à rentrer dans ses frais.