jeux de guerreEn Equateur, c’est les « gangs of thrones » de la cocaïne

Equateur : Los Choneros contre Los Lobos... ou les « gangs of thrones » de la cocaïne

jeux de guerreDeux principales fédérations de gangs criminels liées au trafic de cocaïne sévissent en Equateur où les assassinats dans les rues ont augmenté de 800 % entre 2018 et 2023
Une peinture murale sur un mur de la prison Guayas 1 à Guayaquil, Équateur, le 20 octobre 2023.
Une peinture murale sur un mur de la prison Guayas 1 à Guayaquil, Équateur, le 20 octobre 2023. - STRINGER / AFP / AFP
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • L’Equateur est entré mercredi, selon le président Daniel Noboa, en « état de guerre » contre les bandes criminelles liées au narcotrafic.
  • La rivalité entre les gangs de narcotraficants est à l’origine d’une hausse exponentielle de la violence dans le pays.
  • La domination sur le trafic de cocaïne est disputée entre deux principaux groupes criminels : Los Choneros et Los Lobos.

L’ego, l’argent, les armes. Trois éléments explosifs au fondement des rivalités entre les gangs criminels. L’Equateur ne fait pas exception. S’il y a, selon les experts, une vingtaine de groupes liés au crime organisé qui sévissent dans le pays, deux principaux se disputent aujourd’hui le trône de fer de la cocaïne. La ville de Guayaquil, port stratégique dans l’export de la drogue livrée depuis la Colombie et le Pérou voisins, est devenue le hub principal d’Amérique latine pour l’exportation de drogues.

Avec l’explosion de la consommation et de la production de cocaïne, l’Equateur a vu son niveau d’insécurité exploser jusqu’à « la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale » décrétée par le président Daniel Noboa mardi. Le résultat d’une guerre sans merci entre Los Choneros et Los Lobos pour devenir les rois de la coke.

Des petits délinquants devenus gros criminels

Aujourd’hui, les Lobos semblent dominer le jeu de la drogue. Pourtant, ils ne sont au départ qu’une émanation des Choneros. Ces derniers ont été créés en 1998, selon Lucie Laplace, chercheuse en science politique à l’université Lyon-2 et au laboratoire Triangle. « Il s’agit au départ d’une bande de délinquants, de petits trafiquants de drogue » qui ont saisi des opportunités de développement plus ambitieuses en « collaborant avec des cartels mexicains mais aussi d’anciens membres dissidents des Farc colombiennes, notamment le Frente Oliver Sinistera », explique encore notre chercheuse. « En raison de la fragmentation du paysage criminel à la suite de la démobilisation des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (Farc) en 2016, [le trafic de cocaïne] implique désormais des groupes criminels de toutes tailles, structures et objectifs », note en effet l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC).

Chacun son cartel

Los Choneros monteront alors en puissance, soutenus par le cartel mexicain Sinaloa. Ce dernier est forcé de diversifier son activité, principalement d’un point de vue géographique, poussé à élargir son territoire par la lutte armée engagée par l’armée colombienne et les Etats-Unis contre la drogue. Los Choneros prospèreront ainsi sur la côte équatorienne, géographiquement stratégique dans l’import-export de la cocaïne depuis la Colombie et vers les Etats-Unis et l’Europe. Mais plus il devient important, plus le gang est le théâtre de rivalités internes. C’est après l’assassinat du chef Jorge Luis Zambrano Gonzalez, dit Rasquiña, en 2020 que certains membres vont ainsi quitter la formation pour créer « une fédération de groupes criminels Nueva Generacion, dont l’organisation dominante s’appelle Los Lobos », précise Michel Gandilhon, chercheur associé au Conservatoire national des arts et métiers, au département sécurité défense.

Los Lobos vont finalement trouver le soutien d’un autre cartel mexicain : Jalisco Nueva Generación. Ce dernier étant le principal rival de Sinaloa au Mexique, et partout où ils sont implantés. Cette opposition va logiquement se développer en Equateur : « la rivalité des deux gangs y est une manifestation de cette rivalité entre cartels », résume Lucie Laplace. Désormais, ces formations de groupes criminels telles que les Lobos et les Choneros « ressemblent de plus en plus à celles des cartels mexicains, en ce sens qu’ils forment une alliance de différents gangs avec toujours l’un d’eux qui domine », développe Michel Gandilhon.

Domination fragile et montée en puissance

Revendiquant environ 8.000 membres, Los Lobos ont, semble-t-il, réussi à asseoir une certaine domination dans le game de la drogue en Equateur et « ont agrégé d’autres gangs criminels qui travaillent pour eux ». « C’est un peu comme un système féodal », décrit Michel Gandilhon. Signe qu’ils attirent davantage l’attention, les spécialistes ont d’ailleurs plus d’information sur Los Lobos que sur Les Choneros, pourtant dirigés par le fameux Fito.

Ce sont même les Los Lobos qui ont été filmés en direct ce mardi prenant en otage tout un plateau télévisé, probablement en réponse à l’évasion réussie de Fito, qui a provoqué le chaos dans les rues équatoriennes. Outre leur lien avec Jalisco Nueva Generación, Los Lobos font aussi affaire avec les mafias des pays de destination de la drogue, notamment les Serbes mais surtout les Albanais. « Des trafiquants des Balkans et des membres de groupes criminels italiens ont mis en place des réseaux d’entraide, se sont installés en Équateur pour établir des lignes d’approvisionnement vers les marchés européens », confirme l’UNODC. Enfin, Los Lobos ont diversifié leur trafic et ont également développé « une activité d’exportation de la mine d’or d’Imbabuza, outre l’extorsion et la traite d’être humain », ajoute Lucie Laplace.

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Et si la violence a explosé cette semaine dans les rues équatoriennes, c’est davantage dans les prisons qu’elle s’exprime depuis plusieurs années. « C’est de là qu’ils s’affrontent, qu’ils opèrent, qu’ils recrutent », souligne Lucie Laplace. En effet, « les gangs armés, cruels et puissants ont pris le contrôle des prisons grâce à la corruption, la violence et les menaces sur l’administration pénitentiaire », ajoute Michel Gandilhon. Quelque 178 gardiens et personnels administratifs sont d'ailleurs acutuellement retenus en otage dans les prisons du pays. Des exécutions, des émeutes, des mutineries sont régulièrement provoquées par les rivalités entre gangs avec des bilans toujours très lourds : quelque 460 personnes ont été tuées depuis 2021, les victimes étant retrouvées démembrées, décapitées ou incinérées.

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