Comment une vidéo devient-elle un phénomène Internet?

WEB «Nyan Cat»,«Friday», «Gangnam Style», et le désormais célèbre «Harlem Shake» ont un point commun: ces vidéos publiées sur YouTube ont été reprises et déclinées en masse sur le Web. Mais comment sont-elles devenues aussi populaires?...

Anaëlle Grondin
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La parodie du phénomène «Harlem Shake» la plus vue sur YouTube à la date du 15 février 2013.
La parodie du phénomène «Harlem Shake» la plus vue sur YouTube à la date du 15 février 2013. — CAPTURE D'ECRAN/20MINUTES.FR

Chaque minute, 72 heures de vidéo sont mises en ligne sur YouTube. Et chaque jour, ce sont plus de 4 milliards de vidéos qui sont visionnées sur la plate-forme de Google. Le défi est de taille pour les producteurs de contenus. Comment faire en sorte de se démarquer aujourd’hui parmi ce flot spectaculaire de vidéos? «Seul un minuscule pourcentage devient viral et est vu des tonnes de fois», assurait déjà en novembre 2011 Kevin Allocca, directeur des tendances de YouTube aux Etats-Unis, au cours d’une conférence. «On a du mal à expliquer pourquoi une vidéo comme le ‘Harlem Shake’ par exemple bénéficie d’une telle viralité plutôt qu’une autre», reconnaît Virginie Courtieu, directrice des partenariats de la plate-forme en France, contactée par 20 Minutes. «C’est toujours fascinant, on est les premiers surpris.»

Le «Harlem Shake» est le dernier phénomène YouTube en date. Apparu le 2 février sur la plate-forme, un mini-clip de 30 secondes mettant en scène quatre amis déguisés en train de se trémousser sur le titre éponyme du DJ new-yorkais Baauer, a rapidement été suivi d’une myriade de parodies. En une dizaine de jours, 12.000 autres versions du «Harlem Shake» ont envahi YouTube. «C’était imprévisible», s’exclame Virginie Courtieu. Aussi imprévisible que le succès fulgurant du «Gangnam Style» de Psy, de «Call me maybe», largement détourné lui aussi, ou encore que l’engouement autour de «Nyan Cat», le chat arc-en-ciel qui rend fou

Humour, décalage et surenchère

«Si on connaissait la recette miracle, ce serait très bien!» rigole Jean-François Ruiz, blogueur et co-fondateur de PowerOn, une agence de webmarketing. Mais il note que ces mèmes Internet - phénomènes repris et déclinés en masse sur la Toile – ont tout de même quelques éléments clés en commun: ils ont «quelque chose d’original, de nouveau, qui n’a pas été fait avant, parfois qui peut choquer. Il faut que la vidéo soit chargée d’émotions.»

Les plus puissantes selon lui? L’humour et la perspective décalée. «Plus c’est décalé plus ça prend. Parfois il faut aller dans l’extrême, c’est la surenchère, estime Jean-François Ruiz. Et le rire est contagieux. YouTube c’est le vidéo gag du Web, il ne faut pas l’oublier. C’est à ça que servait beaucoup la plate-forme au départ.» Virginie Courtieu renchérit: «Quand vous riez devant une vidéo, vous allez vouloir la partager avec vos amis. L’humour traverse les frontières, on atteint facilement le million de visionnages.»

Emotions viscérales

Jonah Berger, professeur assistant à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, qui a publié une étude sur les vidéos virales, est de son côté persuadé que leur succès est lié aux émotions viscérales qu’elles suscitent. Il montre que les gens sont beaucoup plus susceptibles de partager de l’information quand ils sont dans un état d’excitation. Il écrit notamment en conclusion: «Les choses les plus populaires ne sont pas généralement très instructives, mais très émotives.» Kevin Allocca expliquait aussi fin 2011 que le côté «inattendu» d’une vidéo pouvait également expliquer sa popularité sur Internet.

Eléments déclencheurs

Mais cela ne suffit pas. «Il faut des éléments déclencheurs. Il y a tellement de concurrence sur la plate-forme que l’originalité et la créativité ne suffisent plus», affirme Jean-François Ruiz. L’un des meilleurs moyens pour cela? «Les influenceurs (personnalités, stars, blogeurs, médias), qui peuvent susciter une attention soudaine», répond-il. Si vous avez souffert ces derniers mois d’entendre (et d’entendre parler de) «Call me maybe» de Carly Rae Jepsen et ses innombrables parodies, vous pouvez blâmer Justin Bieber. Le chanteur canadien, qui est désormais la personne la plus suivie au monde sur Twitter avec plus de 33 millions d’abonnés, a eu le malheur d’entendre la chanson à la radio et de souligner sur le réseau social qu’il avait eu le coup de foudre pour le titre. Résultat? Cet unique message a suffi à susciter une curiosité monstre autour du morceau.

En plus de ces personnalités qui «donnent le ton», Kevin Allocca souligne également l’importance des «communautés» en ligne. Pour le «Harlem Shake», par exemple, le phénomène a commencé à «prendre» lorsque des employés de Maker Studios, producteur de contenus pour plusieurs chaînes YouTube, ont mis leur version «bureau» en ligne. Il s’agit de la version la plus regardée sur le site à ce jour (plus de 10 millions de vues). Le salarié qui a diffusé la vidéo est suivi par plus de 285.000 personnes sur la plate-forme. Ce n’est sans doute pas une coïncidence. Et lorsque la jeune Rebecca Black avait publié sa risible chanson «Friday» sur YouTube en septembre 2011, un groupe de personnes s’était moqué de la vidéo en la publiant sur les réseaux sociaux. Des internautes se sont alors mis à chanter «Monday», «Tuesday», «Wednesday», etc.   

«Les gens adorent être plus que des spectateurs»

Les parodies de vidéos virales comme celles-ci sont désormais légion sur Internet. «Aujourd’hui, tout le monde peut se les réapproprier. Les gens adorent être plus que des spectateurs», analyse Virginie Courtieu. «C’est une nouvelle phase et ça se fait à la vitesse de la lumière, poursuit  Jean-François Ruiz. Cette réappropriation peut d’ailleurs être un facteur à prendre en compte pour élaborer une vidéo virale. Etre courte et comporter une chorégraphie peut peut-être aider.» Avec la démocratisation des smartphones, toujours plus performants, et la facilité avec laquelle il est possible de publier du contenu sur Internet aujourd’hui, préparez-vous à voir les remixes et parodies se multiplier sur les plate-formes de vidéo et entretenir du même coup sur la durée la popularité de la vidéo originale.