En Lituanie, une petite République où « l’Homme a le droit d’être heureux »
Pays baltes De Vilnius à Trakai, entre édifices baroques et châteaux médiévaux, se percutent les épisodes chaotiques, mais aussi utopiques, de l’histoire lituanienne
Tout l’humanisme poétique d’Užupis est contenu dans le premier article de sa constitution : « L’Homme a le droit de vivre près de la petite rivière Vilnia et la Vilnia a le droit de couler près de l’Homme. » Au centre de Vilnius, et donc au cœur géographique de l’Europe, cette micro-république utopique occupe « le quartier de l’autre rive » délimité par un méandre de la Vilnia. Mais alors que l’Utopia originelle de Thomas More proposait un équilibre dans le labeur collectiviste, Užupis promet l’épanouissement personnel par la créativité.
Ancien repaire de canailles en tous genres, ce petit secteur déshérité de la capitale lituanienne a été investi par les artistes dans les années 1990. Aujourd’hui, les peintures murales égaient ses façades décrépies, et une vie culturelle intense anime son centre incubateur d’Art appelé « la petite maison au bord de la rivière ».
Dès le passage du pont de l’Amour chargé de cadenas rouillés, on retrouve dans ce quartier bohème tout ce qui fait une république. Le café Užupis, à l’entrée duquel une plaque souligne l’amitié avec la République de Montmartre, fait office de parlement. Depuis 1998, le conseil des ministres, animé par les artistes les plus actifs de la communauté, s’y réunit chaque semaine autour de pintes de bière.
Affichée en plus de 50 langues dans la rue Paupio, la constitution d’Užupis décline en 41 articles les droits et devoirs du citoyen, du chien et du chat. Une monnaie circule, l’eurouz. Et le 1er avril, fête des menteurs, est la fête nationale. Avis aux collectionneurs ! Ce jour-là, un poste de douane est improvisé pour tamponner les passeports.
Une passerelle entre deux mondes
De l’autre côté du pont, Vilnius présente le visage d’une bourgade paisible et cossue. Sa vieille ville, inscrite au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, se parcourt aisément à pieds, quelle que soit la saison. En été, la ville boisée à plus de 50% est une des plus verdoyantes d’Europe. Mais en hiver, elle ressemble davantage à un dessert aux couleurs appétissantes, couronné de crème fouettée.
Il règne alors une atmosphère feutrée dans les rues sinueuses et pavées du centre. Chacun vaque, emmitouflé dans d’épaisses doudounes pour affronter des températures sibériennes. Et c’est en emboîtant le pas décidé des Lituaniens, dopés par ce froid sec, que l’on pénètre dans l’intimité de la ville. Les visiteurs distraits pourraient ainsi rater la venelle Literatų aux murs tapissés de plaques surréalistes.
Des façades aux tons pastel, des corniches ouvragées, des campaniles en fer forgé... Tout un récital architectural de style Renaissance, gothique, classique et surtout baroque s’offre à la contemplation. Dressés vers le ciel, des dômes, des bulbes, des coupoles, des flèches et des clochers témoignent du profond ancrage chrétien de la Lituanie. Contrairement à Riga et Tallinn, ses voisines baltes à majorité orthodoxe et luthérienne, Vilnius est à 80% catholique.
Dans le quartier d’Užupis, les artistes se souviennent encore avec émotion de la visite du pape François venu bénir en 2018 la version latine de leur constitution. On dénombre aujourd’hui 53 églises à travers la ville. Mais les Soviets sont passés par là... Il y en avait plus de 100 avant l’occupation.
Les blessures de l’Histoire
À une trentaine de kilomètres de Vilnius, une région de collines enneigées, de forêts de bouleaux et de lacs gelés dissimule Trakai, l’ancienne place forte du grand-duché de Lituanie. Au XIVe siècle, ce véritable empire, englobant la Biélorussie actuelle, l’Ukraine et une partie de la Pologne, s’étendait de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire !
La récente restauration du château de Trakai symbolise le renouveau du pays. Car depuis cet âge d’or médiéval, la Lituanie du grand-duc Gediminas a collectionné les déboires. Les chevaliers Teutoniques, les Polonais, les Allemands puis les Russes l’ont tour à tour convoité et envahi. C’est que son territoire est stratégiquement situé, au carrefour des mondes slaves et germaniques.
En 1944 s’ouvrait le chapitre le plus sombre de cette histoire difficile. La Lituanie était alors annexée par l’Union soviétique, après trois années d’occupation nazie. Sur ordre du régime stalinien, les dissidents du pays furent arrachés à leur foyer et emmenés de force vers les goulags de Sibérie pour y travailler dans des conditions mortelles. Les tortures, les déportations et les exécutions de partisans continuèrent ainsi jusque dans les années 1980.
En 1989, alors que le mur de Berlin tombait, une chaîne de la Liberté rassembla environ deux millions de personnes à travers les pays baltes, de Vilnius à Tallinn. L’année suivante, la Lituanie retrouvait son indépendance. Depuis, le pays a relevé la tête, mais sans vraiment faire le deuil de cette époque tragique. Dans la République utopique d’Užupis, on parvient malgré tout à mettre un peu de légèreté dans la fatalité. « L’Homme a le droit de mourir, mais ce n’est pas un devoir. » Article 3 de la Constitution.
Y aller
En période de pandémie, il convient de se renseigner sur les conditions de départ et de retour avant tout voyage à l’étranger. Les Français vaccinés sont actuellement libres d’entrer en Lituanie sans test ni quarantaine. Il leur faut toutefois remplir un formulaire en ligne pour générer un QR code dans les 48h avant leur arrivée. Enfin, la présentation d’un certificat européen de vaccination est demandée dans tous les lieux recevant du public.
À seulement un quart d’heure de route du centre-ville, le petit aéroport de Vilnius a des allures de gare ferroviaire. Comptez 2h45 de vol depuis Paris.
Se restaurer
Le plat national cepelinai, sorte dumpling de pomme de terre fourré de viande, et le dessert crémeux Napoléon sont servis dans la plupart des établissements lituaniens. Ces deux mets nationaux sont particulièrement généreux dans la taverne de l’hôtel Stikliai, àVilnius. Reconnaissable à ses ramifications, le gâteau à la broche sakotis est une autre douceur emblématique du pays.
Chez Lokys, une cuisine d’inspiration médiévale, à base de gibier, fait voyager les convives dans le temps. Si on ne boit pas de vin, on peut y accompagner sa viande de kvass, une boisson sucrée au pain.
Premier produit laitier du pays, Dziugas est un fromage au lait de vache, primé dans plus de 70 concours internationaux. Sa pâte dure se décline en plusieurs variantes selon la durée d’affinage, de 12 à 48 mois.
La Lituanie possède également plusieurs tables très créatives, comme le restaurant Uoksas à Kaunas, où chaque assiette associe les saveurs avec audace. C’est enfin dans cette ville, sur un ancien site militaire russe, que Jonas Miezys a créé sa micro-brasserie Genys. Une des meilleures du pays.
Kaunas 2022
Afin de rapprocher les Européens autour de leur diversité culturelle, une ville est désignée chaque année pour organiser une série de manifestations artistiques. Une occasion pour elle de se renouveler et d’accroître son rayonnement. En 2022, Kaunas devient ainsi Capitale européenne de la culture. La seconde ville de Lituanie est une cité universitaire à l’architecture moderniste, très dynamique et tournée vers l’avenir. En guise de préambule à cette année culturelle, la Biennale d’art contemporain de Kaunas se tient jusqu’au 20 février 2022. Suite à la cérémonie d’ouverture du 22 janvier, plus de 1.000 événements réuniront 800 artistes lituaniens et internationaux sur 50 sites de la région.
Renseignement
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