Des balades pour découvrir le Paris noir, une histoire capitale
Visite Trois parcours permettent d'en apprendre plus sur la place des Noirs dans la capitale et leur histoire
Vous croyiez connaître la capitale ? Du Sacré-Cœur au Louvre, de Jacques de Molay à la Commune ? Il existe pourtant une autre histoire, méconnue ou inconnue, celle des Noirs à Paris, du Paris noir. Pour la découvrir, il suffit de suivre Kévi Donat en ce samedi ensoleillé. En bon fan de stand-up, il mobilise tout son humour et son dynamisme pour remonter le temps jusqu’à celui de la « première diaspora noire, qui fut américaine » et transporter son petit groupe, trois femmes et trois hommes, dans les rues du Pigalle des Années folles.
Fuir la ségrégation
On disserte sur la personnalité et l’aura de Joséphine Baker, « un héritage un peu trop instrumentalisé » selon lui, qui regrette que son engagement politique soit effacé derrière sa carrière artistique. Et on plonge dans les salles fiévreuses de l’après-Première Guerre mondiale, où les Harlem Hellfighters, des soldats noirs américains, y introduisirent le jazz. La négrophilie de l’époque fait le reste. Fuyant la ségrégation, musiciens, romanciers et peintres afro-américains se retrouvent à Paris, où des artistes Picasso, puisent leur inspiration dans l’art “nègre”.
« En 2011, sur le Panthéon, était affiché une grande photo d’un homme noir, Aimé Césaire, raconte Kévi Donat. A chaque visite, il y avait toujours une Américaine pour dire : “Qui c’est cet Afro-Américain ?” Et je m’exclamais alors : “Mais pas du tout, il est Français et vient d’une île absolument magnifique, la Martinique.” » A l’époque, le jeune Martiniquais (forcément) était simple guide parisien, une profession qu’il a rejointe un peu par hasard après des études à Rennes.
« Le fait que je sois noir ne mettait pas les touristes en confiance », se rappelle-t-il. Et les personnages historiques qu’il présentait étaient presque tous blancs. Alors une idée commence à germer, et, deux ans plus tard, il inaugure les balades du Paris noir. Une autre visite, de deux heures elle aussi, parcourt la rive gauche, du Panthéon à Saint-Germain-des-Prés et d’Alexandre Dumas à Gaston Monnerville, et une troisième réunit les deux en trois heures et demie.
Barbès, porte ouverte sur l'Afrique
Après Pigalle, Kévi Donat nous embarque dans le temps présent, direction Château-Rouge puis la Goutte-d’Or. Tout sourires, le groupe se retourne sur un trio de sapeurs* sur le boulevard Barbès. Le quartier – « qui génère beaucoup de fantasmes », rappelle-t-il – est historiquement populaire et représente une « certaine centralité africaine » : on y vient toujours trouver du foufou, de l’huile de palme ou un service de fret, rencontrer des compatriotes. Si les magasins Western Union ont peu à peu disparu, le wax a toujours largement pignon sur rue.
Durant la marche, on parle gentrification et brasserie Barbès, délinquance réelle ou supposée… Les visiteurs, réunis via l’association culinaire africaine Aperaf, complètent avec leurs expériences personnelles du quartier. L’histoire que conte notre guide a ses héros, ses martyrs et, comme souvent, ses victimes anonymes. En 1996, la police expulsa des familles de sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Bernard, en plein cœur de la Goutte-d’Or, en défonçant la porte à coups de hache. Au moment de dire au revoir au groupe, un vieux du quartier s’arrête, écoute et rappelle les conflits autour du manque de mosquées et des prières de la rue Myrha.
Bien sûr, « l’histoire du Paris noir me concerne directement », souligne Kévi Donat. Mais son objectif est d’abord de faire connaître un Paris inconnu, méconnu. Tout en s’adaptant à son public : « Une visite avec des jeunes noirs français n’est pas la même qu’une avec des vieux Américains blancs. » Mais tous trouvent le sujet passionnant. Et même les Parisiens y apprennent beaucoup sur leur ville.
*Adepte de la sape, une mode vestimentaire congolaise.