Albi: Née sous l'aile de Jaurès, la verrerie fait vibrer un fonds de pension américain

ECONOMIE Couvée par Jaurès et première coopérative ouvrière fondée en France, la Verrerie d'Albi est en passe de tomber dans le giron d'un fonds de pension américain...

Hélène Ménal
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Une chaîne de production de la VOA.
Une chaîne de production de la VOA. — Alexandre GELEBART/20MINUTES

Jean Jaurès, dont la statue de bronze domine encore l’entrée de la Verrerie d’Albi, va-t-il se retourner dans sa tombe ? Le temps est loin où le député du Tarn soutenait les verriers de Carmaux en grève contre un patron âpre au gain et les incitait à fonder leur propre coopérative ouvrière, la première de France.

Cent vingt ans plus tard, les verriers fournissent certes des modèles de bouteille exclusifs pour le domaine provençal d’Angelina Jolie et Brad Pitt, mais ils semblent retourner à la case départ. C’est du moins ce que laisse entendre la banderole accrochée par la CGT : « Saint-Gobain nous jette aux requins de la finance ! », assure-t-elle.

Sept usines françaises concernées

Propriétaire de la VOA depuis 1998, le groupe français veut en fait vendre depuis 2007 sa filiale Verallia (10.000 employés, 34 usines dans le monde, dont sept en France). Et début juin, Saint-Gobain est finalement entré « en négociations exclusives » avec le fonds d’investissement américain Apollo, prêt à racheter Verallia pour près de trois milliards d’euros.

le fonds d’investissements US #apollo achète Verallia, ses 6 sites de production dont la « VOA » d’Albi, pour 2,95 milliards d’euros. A suivre
— Antoine RENAULD (@AntoineRENAULD) June 8, 2015

Mais vendre l'« historique » verrerie à une société financière étrangère, « c’est tout un symbole », dit Sylvain Artigau, délégué des cadres CGT.

Salariés choyés

En 1986, la VOA avait déjà perdu son statut coopératif, avant d’être vendue et revendue. Mais à présent, les salariés déplorent que le rachat de Verallia par Apollo se fasse par une très large part d’endettement, en LBO (Leveraged Buy Out). « Cela signifie que c’est l’entreprise rachetée qui rembourse la dette ayant servi à son acquisition… Notre inquiétude, c’est qu’Apollo prenne nos profits et nos trésoreries pour payer les intérêts du prêt et fasse pression sur nos salaires, nos acquis sociaux », s’inquiète Sylvain Artigau.

« On n’est pas prêt à accepter n’importe quoi », avertit Raymond Martinez, ouvrier retraité de 62 ans, souvent là pour soutenir les 300 employés de « sa » verrerie. « La VOA a fait l’an dernier huit millions d’euros de bénéfice net, ça montre que quand le salarié a de bonnes conditions, il est plus rentable que quand il est trituré jusqu’à la moelle ! »

« Si ça se trouve, les Américains nous revendront »

A la direction du site, Benoît Chatillon se montre rassurant : « Le fonds Apollo a clairement indiqué qu’il avait fondé son offre sur la base du plan stratégique à trois ans de Verallia ». Il présente également comme un « gage de stabilité » le fait que la banque publique d’investissement Bpifrance ait annoncé son entrée au capital à hauteur de 10 %.

Mais « si ça se trouve, dans trois ans, les Américains nous revendront. Les fonds d’investissement ne restent jamais longtemps », glisse Didier Ibanez, salarié entré « il y a 40 ans à la VOA », comme « fils et petit-fils de verriers » tarnais.