«Desperate Housewives»: «La série est subversive et progressiste»
INTERVIEW A l'occasion de la diffusion aux Etats-Unis de l'épisode final de la série, «20 Minutes» s'est entretenu avec Virginie Marcucci, qui a soutenu une thèse sur «Desperate Housewives» en 2010 et vient de publier le livre «Desperate Housewives: Un plaisir coupable?»...
Sortez vos mouchoirs. Dimanche, l’heure sera venue de faire vos adieux à Lynette, Bree, Gabrielle et Susan. L’ultime épisode de «Desperate Housewives» -le dernier de la saison 8- sera diffusé à la télé américaine. Virginie Marcucci, docteure en civilisation américaine et auteure d'une thèse sur la série, dresse un bilan de ces huit années pour «20 Minutes».
Pourquoi la série a été innovante à ses débuts? Qu’est-ce qui a fait que le téléspectateur s’attache au quotidien de Bree, Lynette, Gabrielle et Susan?
Quand «Desperate Housewives» est arrivée sur ABC, elle était présentée comme une série sulfureuse sur les femmes au foyer. Ça ne s’était jamais vu. La série est grinçante. Il y a du politiquement incorrect. On peut la lire à plusieurs niveaux: on suit l’histoire de ces femmes au quotidien, ce qui n’est pas loin du soap opera, on peut s’identifier à elles. Et il y a aussi une dénonciation du rêve américain, de ce qu’il peut avoir de pervers, d’artificiel. Le tout avec beaucoup d’humour. Ça a plu au grand public et à la fois aux gens qui sont un peu en marge et qui regardent l’Amérique avec plus de recul.
La série met en avant l’émancipation de la femme, parle d’homosexualité. En même temps, les valeurs traditionnelles, incarnées par Bree, sont bien là, l’adultère est souvent condamné… La série est-elle réac’ ou pas, finalement?
Je pense qu’elle est subversive et progressiste. Ceux qui au contraire pensent qu’elle est lisse trouveront aussi des arguments en ce sens. Le téléspectateur va activer des lectures différentes selon sa sensibilité à lui. Certains ne seront pas d’accord avec le couple homosexuel, d’ailleurs à un moment ça ne marche pas entre eux. La position de l’entre deux est très présente. La série serait le miroir des propres contradictions de son créateur. Marc Cherry est homosexuel et républicain. On dit d’ailleurs qu’il a beaucoup d’affection pour les banlieues et n’a pas souhaité en faire la satire, tout en étant conscient que parfois elle n’apportait pas le bonheur à tout le monde.
Est-ce que l’on n’est pas tombé dans la caricature des femmes des suburbs américains?
Non. Les «desperate housewives» sont sauvées de l’aspect caricatural par les dialogues qui soufflent le chaud et le froid. Gabrielle est présentée comme vénale, mais elle joue de ce stéréotype. On voit aussi Lynette comme une femme très forte. Et Bree n’est pas que la républicaine. Elle ramène des quantités d’hommes, parfois elle se saoule. Les personnages ont plusieurs facettes. Je continue à trouver la série intelligente. Ce n’est pas la téléréalité américaine «Real Housewives» où elles se crêpent le chignon à longueur de journée.
La première saison a fédéré plus de 20 millions de téléspectateurs. L’enthousiasme s’est émoussé depuis un moment. Pourquoi?
Déjà, la première saison était tellement bonne que la deuxième est apparue moins excitante. Puis il y a eu la grève des scénaristes à Hollywood [fin 2007 – début 2008]. Aucune série ne s’en est vraiment relevée. Ca a mis un coup d’arrêt à «Desperate Housewives». Et puis c’est aussi comme l’usure du couple. Parfois on prolonge les séries de manière artificielle, c’est moins bon. Pour «Desperate Housewives», la mécanique qui consiste à faire courir le côté soap opéra et le côté automatique d’un mystère par saison (avec une famille qui arrive), fait artificiel. Et puis je pense que la série a perdu de son piquant quand Edie Britt est partie. La manière dont elle interagissait avec Susan était savoureuse. Elle a été remplacée par Renée qui joue un peu ce rôle-là mais en plus affadi.
En huit saisons, on ne compte plus les morts, les situations invraisemblables. «Desperate Housewives» n’a-t-elle pas aussi perdu en crédibilité?
Il y a un côté surenchère pour attirer le chaland. Les scénaristes ont tout piqué au soap opera: ainsi, quand Gabrielle se remarie avec Victor Lang, Carlos le jette d’un yacht et il revient alors qu’on le croyait mort. C’est de plus en plus énorme. Mais si on crée quelque chose qui porte uniquement sur le divorce, les enfants, on va avoir l’impression de regarder «The Real Housewives». Il faut arriver à créer du suspense à Wisteria Lane
La question du féminisme dans la série a toujours divisé. Avec du recul, quel est votre point de vue?
Les «desperate housewives» ont beau être poussées dans des conditions qui ne leur conviennent pas (femme au foyer parfaite, mère au foyer qui en a marre de ses enfants, femme trophée), on les voit développer des stratégies de résistance. Bree arrive à faire voler ça en éclat quand elle préfère virer son mari que d’abandonner son entreprise. Lynette, elle, est l’homme du couple. Gabrielle a du pouvoir et passe par des ruses pour arriver à ses fins. La série permet de montrer que lorsqu’on est une femme, on n’est pas forcément docile et maternelle. En revanche, l’avortement n’est jamais évoqué…