« Piquantes ! » : On s’est glissé dans les coulisses de la seule émission 100 % féminine de la télé française
NON MIXITE Avec une équipe composée exclusivement de femmes, le talk-show « Piquantes ! » est l’émission phare de la chaîne Téva depuis trois ans
- A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Piquantes !, le talk-show d’actu et d’humour de Téva s’offre la case du prime time avec une émission diffusée ce mercredi 8 mars à 21 heures avec pour thématique : « Trop de féminisme tue le féministe ? »
- Depuis trois ans, ce programme est le seul dont les intervenants réguliers sont uniquement des femmes.
- Sur le plateau, les humoristes voient dans cette émission en non-mixité un espace sain. « On est toutes passées par les mêmes épreuves, genre se faire couper la parole, être toujours comparées aux autres meufs… Quand tu fais des plateaux où s’il y a deux meufs, c’est une à la fin et un ou début parce qu’il ne faut pas qu’elles soient à côté ou si tu es seule tu es au milieu, car c’est bien connu, une meuf c’est un intercalaire », confie Thaïs Vauquières à 20 Minutes.
« Ça va les p*tes ? », lance l’humoriste Florence Mendez à la trentaine de personnes installées dans le Grand studio de RTL pour assister à l’enregistrement de Piquantes !. « Ça, c’est quand elle est contente », temporise la maîtresse de cérémonie, Nicole Ferroni, tandis qu’Élodie Poux demande qu’on vienne lui retirer une pince des cheveux car « ils [lui] ont pris le cerveau avec ». Il est 16 heures, le ton est donné et l’irrévérence qui traverse l’écran chaque vendredi soir à 22h40 se diffuse jusque dans les coulisses.
Depuis octobre 2020, une bande d’humoristes entièrement composée de femmes est aux manettes de cette émission qui tire la programmation de Téva. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la chaîne sort son talk-show féminin et féministe du coin de la grille pour lui offrir le prime time ce 8 mars à 21 heures. 20 Minutes s’est glissé dans les coulisses de l’enregistrement de cette émission augmentée pour comprendre ce qu’elle a à offrir.
« Une team de super héroïnes »
Grimée en homme, une fausse barbe scotchée au visage, Thaïs Vauquières enchaîne les enregistrements de séquences destinées à ponctuer le programme. Arrivée parmi les pionnières de Piquantes !, elle dit ne pas regretter d’avoir tenté le pari de ne partager le plateau qu’avec des consœurs. « On est toutes passées par les mêmes épreuves, genre se faire couper la parole, être toujours comparées aux autres meufs… »
Ici, une femme répond à une autre, puis lui lance une vanne sans arrière-pensée. Et pas la peine d’attendre d’être devant les caméras. « Elles veulent toutes me pécho », assène-t-elle à Florence Mendez. Aussi chroniqueuse sur RTL, elle est ravie de ne plus être prise pour un intercalaire. « Quand tu fais des plateaux où s’il y a deux meufs, c’est une à la fin et un ou début parce qu’il ne faut pas qu’elles soient à côté ou si tu es seule tu es au milieu. »
Passée par la radio publique belge puis par France Inter, Florence Mendez a trouvé dans le programme une « team de super héroïnes ». « La RTBF et dirigée par des mecs blancs. A Inter il n’y a quasiment pas de personnes racisées et dès qu’il faut virer des humoristes, ce sont toujours les femmes qui prennent », commente-t-elle. Dans Piquantes !, l’humoriste belge a le sentiment d’être tombée dans un écrin cousu main pour « faire du bien à la télé, surtout quand on voit le pouvoir du groupe Bolloré ou de mecs comme Hanouna ».
Des femmes jusque dans les coulisses
Pourtant quand la chaîne Téva missionne Studio 89 de construire une émission portée par des femmes, l’idée est loin de convaincre la société de production. « Au début j’ai eu une petite appréhension en me disant que potentiellement, ça allait être un nid à problèmes. Ce ne serait que des artistes et que des filles avec des rivalités potentielles », rembobine Nathanaele Sisso, qui produit toujours l’émission trois ans plus tard. Mais dès les premières phases de casting toutes les humoristes contactées se réjouissent de voir naître un tel projet.
Pourtant, l’audiovisuel français a déjà vu naître plusieurs émissions 100 % féminines. « Frou-frou », portée par Christine Bravo ouvre le bal de 1992 à 1994. En non-mixité, elle échange avec ses chroniqueuses autour de sujets mode, conso, sexo, pompées sur la presse féminine. « Les téléspectatrices se reconnaissaient dans ces femmes complices et pas rivales. Il y avait une grosse, une vieille, deux jolies filles, une bourgeoise catho… qui riaient ensemble », confiera l’animatrice à Télérama pour les 20 ans de l’émission. Mais l’émission est produite par un homme, Thierry Ardisson. Tout comme « Le Grand 8 », un talk-show de débat diffusé sur D8 entre 2012 et 2016 où seules des femmes participent mais où des hommes tirent les ficelles côté production.
Tant à la direction de Téva qu’à la production de Piquantes !, pas un seul homme ne met son grain de sel dans les rouages de cette machine désormais bien huilée, si ce n’est parmi les équipes techniques. « C’est une émission cohérente entre la façade et ce qu’il se passe à l’intérieur », se réjouit Nicole Ferroni. Si elle n’est pas pour une sélection des membres de son équipe uniquement pour leur genre, elle est ravie que le programme ne soit pas la façade d’un homme décisionnaire surfant sur la vague porteuse du féminisme, très en vogue.
« Une poche de discrimination positive »
L’émission bénéficie d’un certain écho sur les réseaux sociaux mais est d’habitude cloîtrée sur une chaîne payante en seconde partie de soirée. Selon l’animatrice, cet horaire garantit la liberté dont jouissent les humoristes en plateau. « S’il faut être à la marge pour être libre, je préfère être à la marge », martèle-t-elle.
Car l’émission elle-même représente une marge des grilles des programmes de télévision. Nicole Ferroni reconnaît que le côté 100 % féminin peut paraître sectaire mais elle y voit plutôt une « poche de discrimination positive » dans des médias toujours majoritairement masculins. En 2022 le temps de parole des femmes à la télé 36 % selon l’Arcom. Là où personne ne serait choqué de voir uniquement des hommes pour décrypter un match de football, elle ne comprend pas que le casting de Piquantes ! puisse déranger. D'autant que les hommes ne sont pas totalement exclus puisque des invités masculins foulent ponctuellement le plateau.
L’émission mérite-t-elle malgré tout plus de visibilité ? « Pour l’instant on se dit sans doute que ça va déplaire, que ça va faire des vagues, on va encore dire que c’est le "wokisme"… », balance Florence Mendez. En attendant, la production assure que la chaîne Téva ne laisserait pas partir son « bébé », même sur une autre chaîne du groupe M6. Si une quatrième saison de l’émission n’est pas encore garantie, les équipes envisagent déjà des pistes d’évolutions avec des tournages délocalisés au cœur d’événements importants sur le droit des femmes.
Des réflexes à chambouler
A quelques minutes du début de l’enregistrement, plusieurs visages du programme manquent encore à l’appel, la faute au maquillage et à la coiffure qui s’éternisent. Car on le sait peu mais à la télévision, les intervenantes féminines sont toujours convoquées avant leurs homologues masculins.
« Au départ, j’ai eu une discussion avec la prod' qui voulait absolument que je porte des talons alors que c’était hors de question pour moi », raconte Nicole Ferroni. Au fil des tractations elle est parvenue à imposer ses baskets. « On a des réflexes qui sont un peu chamboulés », reconnaît Nathanaele Sisso. Preuve que même entre femmes, il y a encore du chemin à faire pour plus de liberté pour les femmes à la télé.