Les militants écologistes radicaux, symptôme et produit de la « télévision spectacle »

Radicalité Interpeller les médias sur l’inaction climatique des dirigeants français, c’est le credo des militants climatiques radicaux qui sont au cœur d’un reportage dans « Envoyé spécial » diffusé ce jeudi.

Maxime Fettweis
Mains collées sur le sol, sur des voitures ou jetant de la peinture sur des œuvres d'art, les militants écologistes radicaux sont au centre d'un reportage diffusé dans l'émission « Envoyé spécial », ce jeudi 9 février.
Mains collées sur le sol, sur des voitures ou jetant de la peinture sur des œuvres d'art, les militants écologistes radicaux sont au centre d'un reportage diffusé dans l'émission « Envoyé spécial », ce jeudi 9 février. — FTV
  • France 2 diffuse ce jeudi 9 février une enquête sur les écolos radicaux dans l’émission Envoyé spécial, à 21h10.
  • Après de nombreuses actions relayées par les médias entre septembre et novembre 2022, ce reportage part à la rencontre de ces militants n’hésitant pas à prendre des risques personnels pour faire savoir leurs revendications. Il marque un tournant dans le traitement médiatique de ce type de mobilisation.
  • Alexis Lévrier évoque une « télégénie de la violence », encourageant les militants climatiques à des actions toujours plus radicales.

Sur les routes, dans les musées, près des bâtiments institutionnels… Les militants écologistes apparaissent de plus en plus dans les médias. Résignés, révoltés et engagés, leurs limites sont de plus en plus floues car pour convaincre les décideurs de faire bouger les lignes, il faut d’abord se faire remarquer. Et si les mois de marches pour le climat n'ont pas suffi, certains ont décidé de monter d'un cran. Pour comprendre leurs motivations à se mettre parfois en danger pour « sauver la planète » face à l’inaction climatique, Envoyé spécial a suivi trois d’entre eux dans un reportage diffusé ce jeudi soir sur France 2.

« On voulait comprendre ce qui les pousse à faire ça parce que souvent dans les reportages d’actualité, on n’entend pas leurs arguments », détaille Romain Boutilly, le réalisateur du reportage, à 20 Minutes. « Tous se disent citoyens ordinaires, pas activistes ou militants. […] Ce sont souvent des jeunes qui ont conscience qu’il faut perturber, choquer, saboter et utiliser médias pour se faire entendre. »


Qu’un média leur laisse une tribune de plus de vingt minutes à une heure de grande diffusion n’est-il donc pas tomber dans un « piège » tendu par ces activistes ? Le réalisateur évoque surtout une « mise à jour » de la façon d’aborder le sujet doublée d’un pas de côté. Tandis que les émissions et journaux d’actualité se contentent souvent de traiter les faits et les éventuels désagréments qu’ils engendrent, ce reportage intervient plusieurs mois après la vague d’actions de la rentrée scolaire. « On ne peut plus parler du climat en pointant du doigt les écologistes radicaux ou en disant : "C’est génial il fait chaud". »

Le jeu médiatique

« On les a qualifiés soit d’extrémistes, soit de naïfs lors d’actions dans les musées où ils recouvraient des peintures de soupe mais je pense qu’ils ont simplement compris les règles du jeu médiatique », analyse pour 20 Minutes l’historien de la presse et des médias Alexis Lévrier. Il observe que malgré les avertissements des scientifiques, les enjeux environnementaux peinent toujours à intéresser le grand public.

C’était sans compter sur l’été 2022 en France, ses feux de forêts et ses intenses chaleurs. « Ces événements étaient extrêmes mais plutôt classiques pour l’été et c’est le type de sujet qu’on retrouve traditionnellement dans les médias mainstream à cette période et après, on n’en parle plus », déplore Anne-Lise Vernières, co-présidente du collectif Quota Climat, interpellant les médias sur leur traitement de la crise écologique. « Le sujet est traité de façon continue par des associations et personnalités politiques mobilisées sur le sujet. Tout ça reste dans une niche sociale très restreinte. Pour toucher la société en général, on est obligés de passer par des grands médias sauf qu’ils sélectionnent les interventions en agenda médiatique pas forcément axé sur les enjeux écologiques… »

Elle estime que grâce aux actions de désobéissance civiles, le sujet a pu perdurer au-delà de l’été. « À ce stade, à moins qu’il y ait une annonce politique sur le sujet, il n’y a pas d’autres actions qui ont mobilisé autant les journalistes », se réjouit-elle. Les blocages successifs du tour de France, l’intrusion sur un court lors de Roland-Garros sont autant d’exemples qui restent en tête. Jusqu’à aboutir parfois à des invitations sur les plateaux. Mais la bienveillance est rare dans ces cas-là selon Quota Climat qui cite l’exemple de Sasha, militante écologiste de Dernière Rénovation, interviewée par Apolline de Malherbe sur BFM TV en juin 2022.


La radicalité à l’épreuve de la critique

Selon Alexis Lévrier, il existe une « télégénie de la violence » qui impose de l’utiliser pour être filmé et se faire entendre, principalement sur les chaînes de télévision en continu. « Il y a un modèle Bolloré très visible sur C8 ou CNews, qui fonctionne sur le clash et donc les actions violentes et qui laisse difficilement place à autre chose. » Ce modèle est aussi à l’œuvre lors des débats ou des interviews. Reprise par d’autres chaînes d’informations, la focalisation médiatique sur la violence alimente une schizophrénie médiatique. Les médias montrent la violence, et donc l’encouragent indirectement, puis la critiquent.

L’usage de méthodes radicales a aussi ses aspects contre-productifs selon Quota Climat. « Dans les médias mainstream, on va les traiter avec des termes négatifs, avec une analyse critique en plateau. On observe une tendance à radicaliser l’action écologiste et à mettre ces militants dans la case des gens très politisés, radicaux, qui dérangent alors qu’ils ne sont pas forcément politisés », pointe Anne-Lise Vernières. Selon elle, ce type de traitement encourage une détestation de ces militants par une partie de la population. « Ça crée un fossé, une friction de la société. »

Envoyé spécial prend le pari de traiter le sujet à contre-courant. « Notre intérêt n’est pas de relayer vidéo pour faire le buzz mais comprendre pourquoi eux en particulier s’engagent à ce point, détaille Romain Boutilly. La nouveauté c’est qu’ils ont parfaitement compris que le grand public doit s’identifier à eux donc ils jouent le jeu de la communication et des médias et c’est un peu différent que les faucheurs d’OGM ou les activistes de Greenpeace », note le journaliste qui a déjà travaillé sur des sujets concernant les militants climatiques.

L’influence de la « télévision spectacle »

La remise en question des médias n’est pas nouvelle, indique Alexis Lévrier. « On peut leur faire tous les reproches mais ils ont une importante capacité d’introspection et d’auto-analyse. » Ce sera le cas une quinzaine de jours après l’incident nucléaire de Tchernobyl en 1986. Tandis que les autorités estiment que la population française ne court aucun risque, des journaux reviennent sur de précédentes publications. Le 12 mai, Libération titre « Le mensonge radioactif ». Sur les sujets climatiques, de nombreuses rédactions se sont récemment dotées d’un cahier des charges pour un traitement à la hauteur de l’enjeu après l’été 2022.

« La vraie question c’est est-ce que ces émissions d’enquête comme Envoyé Spécial auraient organisé de longs reportages sur des actions non-violentes ? Ce sont des émissions rigoureuses mais est-ce qu’elles sont elles-mêmes influencées par cette télévision spectacle ? », interroge Alexis Lévrier.

Aucun doute pour Romain Boutilly, « l’activisme écologique et environnemental sera un thème majeur dans les médias » dans les années à venir. Raison de plus selon lui pour « ne pas les caricaturer ».