Réchauffement climatique : Pourquoi la télévision nous prédit le pire pour 2050 ?
Futur BFM TV projette ses journalistes et téléspectateurs en 2050 ce lundi 14 novembre dans « 2050, ouvrons les yeux ! ». Une année symbolique permettant encore d’activer des leviers pour échapper au scénario catastrophe
- BFM TV diffuse ce lundi 14 novembre à 20h30 l’émission inédite 2050, ouvrons les yeux !.
- Cette dystopie pour laquelle les journalistes de la chaîne d’information en continu ont été vieillis dresse le portrait de deux France à l’horizon 2050. L’une dans le scénario où la neutralité carbone aurait été atteinte et l’autre dans le scénario inverse.
- De la carte météo d’Évelyne Dhéliat à des reportages sur France 2 ou W9, de nombreuses émissions et enquêtes nous projettent dans des scénarios presque catastrophes pour 2050. 20 Minutes s’est demandé d’où vient l’obsession des journalistes pour cette année.
2050, ouvrons les yeux ! sur BFM TV, La France à 50 °C en 2050 et 2050 : Ma vie sans pétrole dans Envoyé spécial sur France 2, 2050, climat : peut-on encore éviter le pire ? sur W9 ou encore les projections météorologiques actualisées sur la carte de la météo d’Évelyne Dhéliat, présentatrice météo de TF1… La télévision nous projette de plus en plus régulièrement 28 années après 2022.
De quoi laisser croire qu’un basculement est à venir, à l’instar de l’appréhension qui s’est emparée des nineties à l’aube de l’an 2000. Les théories allaient bon train sur ce passage à un nouveau siècle. Mais la moitié du siècle sera-t-elle aussi marquée par un basculement ? C’est en tout cas ce que laissent croire les dystopies télévisuelles qui se multiplient projetant leurs scénarios toujours sur la même année : 2050.
Alors de quoi 2050 est-elle le nom ? Pourquoi les chaînes s’emparent de plus en plus de cette année fatidique sur le plan climatique et doit-on se préparer à un basculement brutal entre le 31 décembre 2049 et le 1er janvier 2050 ? 20 Minutes a posé la question à Myriam Alma, cheffe du service de reportages Ligne rouge de BFM TV et Agathe Lanté, journaliste réalisatrice indépendante spécialisée sur les thématiques de climat et environnement.
Une échéance scientifique
La projection unilatérale en 2050 n’est pas due au hasard. « Ce sont les scientifiques qui nous projettent en 2050 car la plupart des rapports sur le climat pointent cette année pour établir des projections », commente Agathe Lanté, réalisatrice des reportages La France à 50 °C en 2050 et 2050 : Ma vie sans pétrole diffusés en 2021 et 2022 dans l’émission Envoyé Spécial. Du côté de la carte des températures à l’horizon 2050, actualisée récemment par Évelyne Dhéliat, c’est aussi car cette année a été choisie par les météorologues de l’Organisation météorologique mondiale, que la présentatrice s’est arrêtée sur cette date. « Il y a quelque temps, j’ai demandé à Météo-France s’il y avait de nouvelles projections pour cette même année afin de faire un comparatif avec les prévisions faites en 2014 », précise la présentatrice météo de TF1.
C’est aussi l’ultime recours établi par les scientifiques du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pour limiter la hausse des températures à +2,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Myriam Alma qui a travaillé sur la dystopie réalisée pour BFM TV précise que 2050 est l’échéance où les effets les plus importants du réchauffement climatique prédit dans le rapport du Giec commenceront à être les plus visibles.
Un « futur proche »
Se projeter en 2050 et pas au-delà permet aussi d’imaginer, sur base des propos scientifiques et climatiques, un « futur proche », ajoute Myriam Alma. « C’est une date qui reste accessible aux téléspectateurs, commente-t-elle. On a hésité pendant un moment car de gros changements seront encore plus visibles à partir de 2085 mais on voulait vraiment que ça reste proche pour les Français et Françaises. »
L’émission, construite en deux volets, imagine donc deux scénarios pour l’an 2050, l’un optimiste si de véritables mesures sont engagées en faveur d’une société plus sobre et respectueuse de l’environnement et l’autre plus catastrophique, si rien ne change.
Agathe Lanté précise que ce futur « projette dans un temps long antinomique avec la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui ». « On est dans une consommation débridée, une immédiateté dans tous les domaines… Le temps politique est lui aussi très court avec des mandats limités. Tous les intérêts sont court-termistes », estime la journaliste. S’emparer de l’an 2050 est pour elle une façon de s’orienter vers une projection plus longue dans laquelle « une réalité que l’on connaît déjà va s’amplifier ».
« 2050 c’est maintenant »
28 années séparent 2022 et 2050. Mais pour Agathe Lanté qui échange régulièrement avec des experts climatiques sur le sujet. « Ce futur il est aujourd’hui », assure-t-elle. Elle estime que « toutes les solutions de 2050 sont des solutions qu’on a aujourd’hui », hormis quelques innovations technologiques qui doivent encore être mises en œuvre. La connaissance scientifique des conséquences du réchauffement climatique pour 2050 pourrait être mise à mal si de vrais changements sont entrepris dès 2022. C’est pourquoi la réalisatrice, passionnée par ces projections dans le futur estime que « 2050 interroge notre déni car c’est le futur mais en même temps il est influencé par les choix que l’on fait maintenant ».
Futur apocalyptique ou maîtrisé ? C’est la question que posent les projections télévisuelles qui interrogent notre immobilisme face au réchauffement climatique. « Projeter les gens en 2050 crée à la fois une vision apocalyptique mais montre aussi qu’on a la maîtrise de choisir si ce scénario va se réaliser… Car la somme des choix de chacun peut peser sur le cours de l’histoire », insiste Agathe Lanté. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle clôture chacun de ses reportages par une note optimiste, pour signifier au téléspectateur que tout n’est pas perdu.
Pour Myriam Alma, l’objectif de ces projections dystopique est aussi « d’éviter le scénario catastrophe ». « On a besoin d’avoir des clés, des échéances », selon elle.
« Tout cela a déjà commencé »
Si le projet 2050, ouvrons les yeux ! a été lancé au lendemain de la sortie du film Don’t Look Up sur Netflix, Myriam Alma raconte que les équipes de BFM TV ont déjà été plusieurs fois rattrapées par la réalité. « On avait imaginé une "nuit carbone" avec des incendies jusqu’en Bretagne et ça s’est vraiment passé cet été », raconte la journaliste. Elle précise encore avoir consulté de nombreux scientifiques pour envisager un événement plausible pour générer un déclic engageant les changements nécessaires à limiter le réchauffement. « Ils étaient d’accord pour le scénario d’une méga canicule, c’est un peu ce qu’on a vécu aussi cet été. » Aura-t-elle suffi à devenir ce déclic ?
Agathe Lanté confirme que de nombreux scénarios envisagés dans ce type de production sont déjà partiellement réalisés. « La bunkérisation des riches, Elon Musk qui veut peupler Mars… Tout cela a commencé. » En revanche, peu de choses vont dans le sens d’un changement à contresens du changement du climat. Pourtant « le changement c’est extrêmement long », déplore-t-elle. « Il faut 20 ans pour renouveler une flotte d’avion, 20 ans pour transformer une ville, 20 ans pour renouveler un parc automobile, 20 ans pour renouveler des infrastructures ferroviaires et 16 ans pour qu’une éolienne sorte de terre. »
Mais l’exercice de projection présente aussi des inconnues comme « l’impact sur les démocraties » ou « la façon dont les populations vont réagir », liste la réalisatrice. D’autant que l’été 2022 a prouvé que certains changements sont plus que jamais déjà amorçés en France. « On sait que certains effets domino pourraient accélérer le mouvement. J’espère simplement qu’on n’aura pas à se dire "on aurait dû dire 2030". »
Loin de l’inconnu de l’an 2000
Lorsqu’on fait le parallèle entre le passage à l’année 2000, Agathe Lanté s’étonne. Pour elle, la comparaison est absurde. « Les années 2000, c’était une forme d’inconnu, se souvient-elle. 2050 aurait pu l’être sauf que là, on sait tout à fait ce qu’il va se passer. »
Si les scénarios dépeints dans ses reportages peuvent faire peur, elle y voit quelque chose d’enthousiasmant. « Dans chacun d’eux, je glisse quelque chose qui permet de se dire qu’aujourd’hui, on peut construire une société pour 2050 qui soit peut-être mieux que celle que les scientifiques prédisent… » Un monde plein d’opportunités, car envisager le pire permet de concrétiser l’avenir et d’en tirer les conséquences…