Les chaînes de télévision vous plongent dans la magie de Noël dès novembre et ce n’est pas innocent

Ça sent le sapin Téléfilms sur TF1, émission thématique sur Gulli… La saison des programmes de Noël est lancée et répond à une stratégie commerciale rodée

Maxime Fettweis
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Image tirée du téléfilm de Noël « Un Noël pour deux : retour à la maison », diffusé le vendredi 11 novembre sur TF1.
Image tirée du téléfilm de Noël « Un Noël pour deux : retour à la maison », diffusé le vendredi 11 novembre sur TF1. — Hallmark Channel
  • Gulli lance ce mercredi 9 novembre 2022 à 21h05 Noël, la fête préférée des Français présenté par Camille Cerf. De son côté, TF1 n’a même pas attendu qu’Halloween soit passé pour diffuser ses téléfilms de Noël.
  • Chaque année, on a l’impression que la télévision active son mode fin d’année avant nos cerveaux. Du côté des chaînes, on estime que ces programmes « rassemblent énormément ».
  • Ils débordent de signaux adressés aux téléspectateurs : « Ils ne déconstruisent rien et attirent un public domestique et les mettre devant les pubs pour les cadeaux », analyse Maureen Lepers, chercheuse sur les représentations médiatiques.

Alors qu’on vient à peine de terminer d’éponger le faux sang qu’on avait mis au bord de ses lèvres, cerise sur le gâteau de notre déguisement de vampire pour Halloween, la télévision est déjà passée à l’étape suivante : Noël. À coups de téléfilms qui sentent le marron chaud, de paillettes sur les bandeaux pubs et de neige synthétique sur le pupitre des présentateurs de jeux télévisés, les chaînes du petit écran nous rappellent sans arrêt à l’ordre, les cadeaux, les chocolats et la dinde farcie, c’est pour bientôt !

Après le lancement de téléfilms de Noël sur TF1 le 24 octobre 2022, Gulli s’apprête à lancer Noël, la fête préférée des Français présenté par Camille Cerf, répondant à son tour à l’appel de Mariah Carey - la queen incontestée de la saison - avec un premier épisode de cette émission hebdomadaire intitulé : Sapins, boules et guirlandes : que Noël commence !. Ce genre de programmes devrait s’accumuler dans les grilles télévisées dans les semaines à venir, comme des cadeaux au pied du sapin qu’on n’a même pas encore ressorti du grenier.

Mais alors pourquoi en plus des chocolats et autres plats de fin d’année dans les rayons des magasins, la télévision tient tant à nous rappeler que le décompte est lancé avant Noël ? Cette stratégie répond à une triple logique entre mythe festif, rituel et terrain commercial fertile…

« La promesse d’une fête heureuse et festive »

« Les téléspectateurs nous réclament les téléfilms de Noël tous les ans », se réjouit Sophie Leveaux, directrice artistique des acquisitions pour TF1, qui chapeaute la programmation des films de Noël diffusés chaque jour sur la chaîne du groupe Bouygues. Elle estime que ces contenus qui mobilisent une équipe près d’un an à l’avance « rassemblent énormément », tous comme les déclinaisons hivernales de programmes de la grille habituelle. On est désormais habitués à observer la mue des Douze coups de midi aux Douze coups de Noël ou à voir les personnages de Demain nous appartient fêter Noël sur la Une. « Cela permet de raconter des histoires qui couvrent l’atmosphère de Noël, sa musique, son ambiance… »

La relation entre Gulli et Noël est « une grande histoire d’amour », souligne de son côté Coralie Boitrelle Laigle, dircetrice des antennes jeunesse du groupe M6 qui s’apprête à ouvrir la saison des fêtes. Selon elle, deux temps forts structurent la vie des enfants : « Noël et leur anniversaire, donc on se doit d’être présents à Noël pour les enfants comme pour leurs parents », justifie-t-elle.

Pour la chaîne jeunesse comme pour toutes les chaînes du groupe M6, il est important de surfer sur l’actualité. Alors quand il s’agit de rappeler aux téléspéctateurs et téléspectatrices que Noël approche, on n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde. « En plus de l’émission de Camille Cerf qui décortique le côté conso de cette fête, on va avoir un concours de pâtisserie intitulé Les toqués de Noël, détaille Coralie Boitrelle Laigle. On aura aussi Wrap battle, un concours des plus beaux emballages. Et dès le 1er décembre, le site, les réseaux sociaux de l’ensemble des chaînes jeunesse du groupe M6 seront mis de manière coordonnée aux couleurs de Noël ! »

Programmes « rituels »

De quoi nous immiscer à Noël comme on pousserait l’arrière de la tête d’un camarade dans son plat de purée à la cantine. Mais la fin d’année n’est pas le seul moment-clé du petit écran. « L’agenda de la télévision est divisé de manière très précise avec, pour chaque période, son ambiance », explique Julie Escurignan, enseignante-chercheuse en industrie créative et culturelle à l’EMLV. Après l’été, septembre est consacré à la rentrée avant de laisser place à Halloween du 1er au 31 octobre. Le passage au 1er novembre marque ensuite officiellement le début des fêtes de fin d’année. « En créant cette récurrence d’une année à l’autre, on crée l’attente du public qui participe aussi au succès de ce type de programme. »

La société occidentale fait de Noël un moment important. « La télévision s’immisce dans toute une série de rituels. Ainsi on regarde une émission ou un téléfilm de Noël de la même façon qu’on allume le sapin, les bougies ou qu’on écoute Mariah Carey », pointe Maureen Lepers, chercheuse qui travaille sur les enjeux politiques et socioculturels des représentations médiatiques.

« Préparer le terrain commercial »

Les téléfilms de TF1 « structurent les audiences de l’après-midi jusqu’à l’access », estime la directrice artistique des acquisitions de la chaîne. Elle rappelle que « l’ensemble des marques et des commerçants surfent sur cette période », notamment avec des catalogues de Noël ou des calendriers de l’Avent. « On ne sait pas qui entraîne qui mais il y a toujours une adéquation… » Du côté de M6, Coralie Boitrelle Laigle confirme que tous ces programmes participent à « l’envie ambiante de se mettre sous un plaid avec un chocolat chaud ».

L’arrivée de flocons de neige et autres sucres d’orge sur nos écrans sont autant de rappels à la réalité : le sapin à décorer, les vêtements d’hiver à enfiler et (surtout) les cadeaux à acheter. « Noël s’insère dans un grand mouvement de consommation et la télévision envoie des signaux aux téléspectateurs par ses programmes », ajoute Maureen Lepers. Elle estime que les programmes de Noël, et principalement les téléfilms, sont construits autour de valeurs idéologiques particulières telles que le travail, la patrie, le couple. « On ne déconstruit rien, on met juste un peu de paillettes pour attirer un public domestique, souvent des mères ou des grands-mères, et les mettre devant les pubs pour les cadeaux. » Remettre en cause le système dans le contenu de ces programmes pourrait potentiellement froisser la logique commerciale, et fermer un robinet de revenus pour les chaînes.

Car la période est particulièrement faste en matière de revenus publicitaires pour les chaînes de télévision. Les marques savent que la période est propice aux achats et sont moins réticentes à dépenser d’importantes sommes pour vendre ce qui pourrait trouver sa place sous le sapin. Raison de plus pour tenter la télévision à mettre le paquet sur cette période. « Ces programmes préparent le terrain… D’un point de vue purement commercial, c’est parfait, juge Julien Escurignan. Cela fonctionne exactement sur le même principe que lorsqu’on met des publicités pour de la nourriture pendant la pub de Koh-Lanta. »