Harcèlement sexuel au travail: «Le premier combat c'est d'éduquer la société toute entière»

INTERVIEW France 2 diffuse ce mercredi « Harcèlement sexuel au travail : l’affaire de tous », documentaire d’Andréa Rawlins-Gaston dans le cadre d’une soirée spéciale sur le sujet…

Maria Aït Ouariane
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Image tirée du documentaire
Image tirée du documentaire — France2

Après plusieurs films chocs, dont Viol, elles se manifestent et Souffre-Douleurs, ils se manifestent, sur le harcèlement scolaire, la journaliste et réalisatrice Andréa Rawlins-Gaston signe un nouveau documentaire de témoignages, Harcèlement sexuel au travail : l’affaire de tous qui sera diffusé ce mercredi à 22h30, dans le cadre d’une soirée spéciale sur France 2.

Celle qui penche avec bienveillance sa caméra sur ces victimes, leur laissant exclusivement la parole, a répondu à nos questions.

Comment avez-vous sélectionné les témoignages de ces six femmes ?

Comme pour tous les films que je réalise pour les soirées Infrarouge de France 2, je propose à des femmes de devenir des porte-paroles, afin qu’elles puissent interpeller les pouvoirs publics, la société tout entière, les entreprises… J’ai rencontré une cinquantaine de femmes pour réaliser ce film. La plupart avaient très envie de participer à ce documentaire mais c’était à un moment de leur vie où ce n’était pas encore possible de le dénoncer publiquement. Et pour moi c’était primordial qu’elles soient à visage découvert pour donner cette dimension politique à leur dénonciation. La plupart des victimes ne sont pas prêtes à ça pour plein de raisons différentes. Parfois elles ont porté plainte, ou en ont parlé et leur dossier a été classé sans suite, ou on ne les a pas écoutées donc elles se sentent encore honteuses et coupables, ou parce qu’elles n’en ont pas encore parlé à leur enfant, ou à leurs parents, parce que c’est encore extrêmement tabou.

Image tirée du documentaire
Image tirée du documentaire - France 2

Les victimes mettent beaucoup de temps à se rendre compte de ce qui leur arrive et a libéré leur parole. Êtes-vous favorable au rallongement, ou à la suppression, du délai de prescription qui est actuellement de 3 ans ?

Le premier combat à mener c’est d’éduquer la société tout entière. Même nous, quand on a démarré, on n’était pas très au clair sur ce qu’était exactement le harcèlement sexuel au travail. On pensait à une sorte de drague qui dérape, alors que c’est beaucoup plus pervers. Nous avons intégré au film un petit quiz et la pièce de théâtre pour que chacun apprenne à identifier les situations de harcèlement sexuel au travail. Il faut que lorsque les femmes décident de briser le silence, cette parole soit entendue et accompagné. Il faut baisser notre seuil de tolérance à tous pour créer une espèce de contrôle social. La honte doit changer de camp.

Qu’avez-vous pensé de l’échange entre Sandrine Rousseau et Christine Angot dans l’émission On n’est pas couché ? Cette dernière estime qu’on ne peut pas être formé à l’accueil de la parole des victimes…

Je n’ai pas envie de rentrer dans la polémique. Je crois dans la force du témoignage, et les combats collectifs qui font que, tout d’un coup, la société entend une parole et s’interroge sur la façon de mettre un terme à des situations d’injustice. C’est toujours la même chose pour tous les sujets. Tant qu’on n’entend pas les Syriens parler, tant qu’on ne leur donne pas un visage, ça reste des chiffres. La pédophilie dans l’église, c’est la même chose : on savait depuis des années que ça existait mais il a fallu que des victimes se relèvent et se montrent à visage découvert pour que, tout d’un coup, on s’identifie et qu’on se dise que "ça pourrait être mon fils, ma fille, ma sœur"…

Image tirée du documentaire
Image tirée du documentaire - France 2

Guillaume Meurice est un des meneurs du quiz intégré au documentaire. Comment est-il arrivé dans le projet ?

C’est nous qui sommes allés le chercher. Marilyn Baldeck de l’Association contre les Violences faites aux Femmes au Travail a créé ce quiz pour sensibiliser les salariés au harcèlement. On oublie trop souvent que les entreprises ont l’obligation d’informer leurs salariés sur le harcèlement sexuel et les violences sur le lieu de travail. L’AVFT m’a gentiment prêté ce quiz pour le documentaire. Mais Marilyn, qui n’est pas animatrice, voulait créer un couple avec quelqu’un qui a plus l’habitude de l’animation. C’est elle qui a pensé à Guillaume Meurice parce qu’il est féministe et aussi extrêmement bienveillant dans sa façon de poser les questions. Dès le début, il dit qu’il s’est planté dans les questions. C’est un excellent intervieweur parce qu’il n’est jamais malveillant, jamais agressif, il se met vraiment à la hauteur des gens.

Sur la forme, votre documentaire n’a pas une esthétique neutre.

Ces femmes ont été victimes mais ce n’est pas pour autant qu’il faut les interviewer de façon crade dans un environnement pas réfléchie. Il faut mettre en valeur leur parole. Il faut un écrin. Avec Laurent Foléa, qui est l’artisan de l’image, nous voulions qu’elles soient maquillées, qu’elles soient bien éclairées. Ce ne sont plus des victimes, ce sont des femmes courageuses, dignes et belles, dans leur démarche, dans leur générosité.

Image tirée du documentaire
Image tirée du documentaire - France 2

Ce documentaire était-il pour vous une suite évidente après celui sur le harcèlement scolaire ?

Non, c’est vraiment l’affaire Denis Baupin qui a tout déclenché. Voir ces femmes qui dénonçaient publiquement le harcèlement qu’elles avaient subi… Avec mon co-réalisateur et mon producteur, on s’est dit que si ça existe dans le monde politique, ça doit forcément exister dans tous les milieux professionnels, dans la banque, dans les milieux hospitaliers, dans la boulangerie, à l’usine… Et effectivement une femme sur cinq est victime de harcèlement sexuel au travail au cours de sa carrière.