Ali Baddou: «Moins les gens connaissent les risques, moins ils ont conscience des dangers»
INTERVIEW Le journaliste présente son premier documentaire ce mercredi sur Canal+ à 20h50, «Les nouveaux loups de Wall Street»...
Pour son premier documentaire, Ali Baddou traque Les Nouveaux loups de Wall Street. Sa proie? Le Trading Haute Fréquence (THF), une pratique boursière qui consiste à effectuer des transactions à une vitesse très élevée. Trop peut-être, dépassant ainsi l'entendement. A cette occasion, le présentateur de La Nouvelle Edition sur Canal+, a répondu aux questions de 20 Minutes, sur son enquête au sein de ce monde trop puissant et trop rapide qui semble définitivement perdre les pédales.
Il s'agit de votre premier documentaire, pourquoi avoir porté votre intérêt sur ce Trading Haute Fréquence?
Cela fait un an que l’on bosse sur le sujet avec Ivan Macaux, le réalisateur. On a découvert un livre aux Etats-Unis qui a fait trembler Wall Street, Flash Boys: a Wall Street Revolt, qui a dévoilé un nouveau visage de la finance dont on n'avait jamais entendu parler! Ce qui nous a impressionnés, c’est qu'après la grande crise de 2007-2008, quand on nous a dit qu’on allait moraliser la finance, qu’il fallait apporter de la sagesse et de l’éthique en Bourse, on a vu que ce n’était absolument pas le cas et qu’au contraire la planète finance était devenue complètement folle!
Folle?
Vraiment! Moi, ça m’a sidéré de découvrir qu’aujourd’hui il y a de nouveaux traders recrutés avec des profils extrêmement particuliers: des petits génies en mathématiques, en physique, en intelligence artificielle…Ce sont des supers programmateurs qui inventent des algorithmes pour gagner le plus d’argent possible et le plus rapidement sur les marchés.
Était-ce difficile d’enquêter dans ce milieu boursier?
Particulièrement dur, oui. Ça a été neuf mois d’enquête parce que les gens ne veulent pas parler. C’est un côté de la finance qui est très peu connu, et dans ce domaine, je crois qu’on a comme mot d’ordre «pour vivre heureux, vivons cachés». Moins les gens connaissent les risques, moins ils ont conscience des dangers…Dans le documentaire il y a des gens qui parlent face caméra pour la première fois!
Votre parti pris semble plutôt engagé, quel message vouliez-vous faire passer aux téléspectateurs?
En fait, l’idée c’était de s’engager dans le sujet plutôt que d’être engagé. Il s'agit moins d'un jugement moral que de la description des risques de cette nouvelle finance. Regardez François Hollande. De son discours du Bourget, on en retient toujours une phrase: «Mon véritable adversaire, c’est la finance». Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il explique que c’est un ennemi qui n’a pas de visage, pas de nom. Nous, nous avons donc voulu donner des noms et des visages.
Votre documentaire est construit comme un polar dans lequel vous êtes le détective. Pourquoi avoir adopté ce point de vue?
C’est un sujet compliqué et technique, pourtant quand on le raconte, ça devient une histoire quasiment romanesque. Il y a une course invraisemblable pour la vitesse, ce sont des dizaines, même des centaines de millions d’euros qui sont investis pour gagner des millièmes de seconde! On voulait en effet raconter cela comme un polar, dont on ne connaît pas la fin.
Ce qui est incroyable aussi, c’est que les traders eux-mêmes remettent en question ces nouvelles pratiques...
Oui! Ces financiers les remettent en question et vous disent que ce système est devenu complètement fou et qu’il faut plus de régulation et plus de règles. Et on voit que les politiques ont le plus grand mal à réguler cette finance-là.
Du coup c’est assez anxiogène, on se demande où cela va aller...
C’est exactement la question que je me suis posée. De très nombreux interlocuteurs nous ont dit qu’il va y avoir un krach. Ils ne savent pas quand, mais c’est sûr que cela va arriver.
On comprend que les machines et les ordinateurs prennent de plus en plus le contrôle. Ce futur vous fait peur?
Non, pas du tout, je suis vraiment fasciné par le progrès technologique et je trouve que c’est génial. Mais ce qui est frappant c’est quand vous voyez toute l’énergie et l’argent qui sont investis, on se dit que tout cela pourrait être consacré de manière plus intelligente.